L’histoire des révoltes montre les luttes incessantes de la paysan­nerie consciente contre l’ordre des dominants. Au moment de la Commune de Paris, trois Français sur quatre sont des ruraux. Pourtant le rendez-vous manqué avec cette paysannerie est un fait déterminant. Des jalons historiques per­mettent de faire cette histoire, par une approche rigoureuse à même d’appréhender sa réalité.

 

La nécessité d’une connaissance historique de l’espace rural.

Paysan au 19ème siècleCette connaissance apporte la contextualisation fai­sant prendre conscience de la spécificité de la province rurale distincte de celle urbaine. Pour chaque espace, les éléments d’étude préalables concernent les facteurs physiques, humains, économiques ; les conditions de vie, de com­munication, d’information ; les pesanteurs éta­tiques et religieuses ; le niveau d’instruction ; le degré de politisation, dépendant de l’his­toire et des mœurs. Sans oublier la prise en compte du modèle agricole acquis, la petite exploitation, des terres libres et de la tradition d’autonomie communautaire. Tout en ayant une longue pratique des contestations antifis­cales, la lente mutation des campagnes explique que l’entrée réelle en politique n’in­tervient qu’en 1848 avec le suffrage universel masculin : l’électorat rural est capté par les ex-aristocrates repliés sur leurs terres.

 

Le bonapartisme rural face à un vide.

Le régime impérial contrôle les campagnes en favorisant la petite propriété et la paix, rassu­rant les paysans plus ou moins aisés, tandis qu’une masse de journaliers agricoles et de paysans pauvres survivent. Le réveil des mou­vements républicain et ouvrier se fait dans les grandes villes, délaissant toute propagande dans les campagnes, les revendications pay­sannes étant occultées. Mais le fond de contestation demeure bien.

Une entrée en république à la suite d’une guerre perdue : une conséquence essentielle.

Le déclenchement de la guerre de 1870 et les défaites, avec leurs malheurs, éloi­gnent les campagnes de l’Empire : la proclama­tion de la République, le 4 septembre, n’y entraîne pas d’enthousiasme marquant. Les conseils municipaux, avec de nouveaux arri­vants, soutiennent l’effort de guerre : un patriotisme rural existe bien. Mais après l’ar­mistice, l’élection de l’Assemblée nationale dans un pays occupé installe une chambre monarchiste, les campagnes désorientées vou­lant la paix et considérant tous les républi­cains comme partisans de la guerre.

Affiche de la Commune de Paris N° 170 du 19 avril 1871 de la Commune au peuple français  Au travailleur des campagnes - André Léo 28 avril 1871
Affiche de la Commune de Paris N° 170 du 19 avril 1871 de la Commune au peuple français / Au travailleur des campagnes - André Léo 28 avril 1871 (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

 

              

Le temps de la Commune.

L’état d’esprit des campagnes au moment de la Commune résulte de l’ensemble de ces composantes avec l’absence d’intérêt porté par les milieux urbains progressistes aux revendications rurales et les convergences communautaires unissant les paysans.

L’insurrection du 18 mars : une réception orientée de façon réactionnaire.

Le bascule­ment des soldats ruraux le 18 mars démontre leur possible sensibilisation. Des délégués de villes de la province rurale, comme Limoges, se précipitent à Paris : l’échange avec les respon­sables du comité central de la Garde nationale exprime une claire différence de perception de la situation locale. Les adresses des municipa­lités, à la demande des préfets, pour soutenir Versailles, sont bâties sur les désinformations versaillaises et stéréotypées. Des différences sont visibles suivant les territoires et l’attitude durant la guerre.

Le Conseil de la Commune élu sans vision sur les campagnes.

Malgré l’extrême diversité des courants du Conseil de la Commune, aucun d’entre eux ne porte une attention aux cam­pagnes pour des raisons jamais déjugées : absence de lien avec la terre, méconnaissance de la paysannerie, défiance, non-visibilité de la nature populaire de la révolution, Paris ayant fait jusqu’à présent les révolutions. Cette indifférence est confirmée par les appels paraissant dans le Journal Officiel de la Commune, tous destinés à la province urbaine des villes ou aux départements sans aucune référence au monde paysan et à ses revendications ; de même dans la Déclaration au Peuple français appelant pourtant à une fédéra­tion de communes. Les émissaires de la Commune ont atteint rarement les campagnes, où un han­dicap majeur transparaît : un manque de républi­cains vraiment politisés.

Le rôle de la presse et des femmes pour « penser » l’union.

C’est une presse proche des couches populaires qui va nourrir l’idée d’une alliance. Ainsi La Sociale, La Commune, Le Père Duchesne, tout en critiquant la paysan­nerie (arriérée, réactionnaire …) avancent des pistes comme l’instruction et des mesures ciblées pour la paysannerie pauvre, proche en condition de vie de l’ouvrier exploité.

Deux femmes vont aller bien plus loin par leur réflexion novatrice : Paule Mink bat la campagne durant la Commune pour « la révo­lutionner » et André Léo lance un Appel aux Travailleurs des campagnes, formidable texte, considérant le paysan comme un citoyen res­ponsable et conscient, appelant à l’union de l’ouvrier et du paysan. Son appel, malgré l’im­pitoyable censure versaillaise, touche cer­taines contrées mais, hélas, ne pourra avoir la répercussion qu’il mérite.

Les élections municipales d’avril 1871, un marqueur républicain partagé.

Ces élections confirment la poussée républicaine, tout en accentuant la démocratisation des conseils municipaux, avec l’entrée de travailleurs manuels et de paysans de différents milieux, pas tous farouchement républicains, mais un consensus s’opère.

Les faits prouvent les multiples soutiens ruraux à la Commune de Paris tout au long des 72 jours de son existence et après ces élections. Ce sont souvent des espaces déjà en vue en 1849-1851 ou en 1870, favorisés par leurs conditions objec­tives d’histoire et de situation. La province n’a envoyé aucun volontaire des campagnes à Versailles et a recherché la conciliation dans une neutralité tacite, malgré le poids du « légalisme » de l’assemblée versaillaise.

Un oubli de classe qui confond l’histoire.

398 agriculteurs sont arrêtés durant la répres­sion. Cette frange réduite, mais identique à celle des métiers du cuir, représente à coup sûr dans sa composition un assemblage représen­tatif de la paysannerie, propriétaires plus aisés et engagés, mais aussi paysans pauvres et journaliers agricoles : l’image d’une classe tou­jours présente dans l’histoire des rébellions françaises et continuellement sous-évaluée.

 

JEAN ANNEQUIN

 

Source :

150e anniversaire en Berry. Conférence à Chassignolles, le 25 septembre 2021 : « Il y a 150 ans la Commune de Paris : la révo­lution parisienne et la paysannerie »

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