Manet et Degas

 « T. a rencontré deux Communeux au moment où on les fusille tous, Manet et Degas ! Encore à présent, ils blâment les moyens énergiques de la répression. »

écrit sa mère à Berthe Morisot (1) peu après la Semaine sanglante. C’est dire l’amitié des deux peintres, leur désir de voir la vérité en face et l’intérêt qu’ils pouvaient avoir pour la Commune à laquelle ils n’avaient pourtant pas participé. C’est dire aussi la proximité de la famille Morisot qui tenait salon ouvert aux artistes que fréquentaient leurs filles toutes deux peintres.

La belle exposition qui a réuni cette année Manet et Degas au musée d’Orsay permet de comparer leurs œuvres et met en évidence le rôle de Berthe Morisot qui posait comme modèle pour Manet et qui a entraîné Degas dans le groupe des Impressionnistes.

      

Durant l’hiver 1870-71

Ces artistes n’ont que deux ans de différence, ils sont tous deux de milieu aisé, et Manet, fils d’un haut fonctionnaire au ministère de la Justice est franchement républicain. Degas, le plus jeune, fils de banquier est indifférent à la politique mais développera dans son art un intérêt pour l’humain pris dans sa réalité quotidienne, des jockeys aux repasseuses. En juillet 1870, alors que Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, les deux peintres sont réquisitionnés dans la Garde nationale et demeureront à Paris comme volontaires pour défendre la ville durant le siège. Dans une lettre du 17 septembre à sa femme restée en famille à Oloron-Sainte-Marie dans les Pyrénées, Manet écrit :

« Il faut absolument que nous sacrifiions chacun cent francs pour avoir un bon revolver, il y va de la sûreté personnelle ».

L’équipement des gardes nationaux ne devait pas être suffisant ! Un peu plus tard en novembre, dans une lettre à Eva Gonzales, peintre elle aussi :

« Degas et moi sommes dans l’artillerie, canonniers volontaires… je compte qu’à mon retour, vous ferez mon portrait avec une grande capote d’artilleur ».

Mais leur engagement patriotique ne résiste pas à la suppression de la solde par l’Assemblée élue en février 1871 et Manet rejoint sa femme dans les Pyrénées non sans avoir gravé une eau-forte La queue devant la boucherie visible dans l’exposition. De cette période datent probablement deux caricatures de Napoléon III et Bismarck par Degas dans un petit carnet de dessins appartenant maintenant à la BNF.

Lorsque la Fédération des artistes élit en avril 1871 Manet au comité directeur, il n’intervient pas pour refuser cette nomination au contraire de Millet, ce qui vaut acceptation. Il ne fait pas de doute qu’il a assisté avec Degas à la répression, peut-être pilotés par leur ami commun James Tissot resté à Paris pendant la Commune. La Barricade, dessin au lavis et gouache de 1871 appartenant au musée de Budapest, en témoigne. Il en tirera une lithographie en 1874, diffusée malgré la censure. De même Guerre civile où git un fédéré dans la rue.

Degas collectionne des œuvres de Manet

À la suite d’une longue dépression de Manet pendant l’été qui suit l’écrasement de la Commune, les carrières artistiques des deux amis divergent. Degas survivra plus de trente ans à la mort précoce de Manet en 1883, et n’aura de cesse de réunir le plus possible de ses œuvres. Dans sa collection on trouve les lithographies de La Barricade et de Guerre civile, mais aussi de L’Exécution de Maximilien de 1868.

L’exposition nous permet aussi de découvrir un tout petit dessin de Manet inséré dans une lettre datée du 14 juillet 1877, avec deux drapeaux bleu/blanc/rouge croisés et l’inscription « Vive l’amnistie ! ». Je ne parle pas des œuvres magnifiques de ces deux grands artistes et dont certaines n’ont jamais été exposées à Paris comme un étrange Bains de mer, petite fille peignée par sa bonne de Degas, venu de la National Gallery de Londres ou Courses à Longchamp de Manet appartenant à l’Art Institute de Chicago.

Mais le clou est sans aucun doute le grand tableau qui clôt l’exposition, L’Exécution de Maximilien, éphémère empereur du Mexique placé là par Napoléon III. Manet s’était consacré en 1867 à une composition historique sur ce thème pour le Salon de l’année suivante. Une esquisse, trois versions de grand format et une lithographie pour la diffusion au plus large public. Puis plus rien, pas de présentation au Salon. On peut comprendre qu’après le scandale de l’Olympia, Manet recule devant l’affrontement politique avec le pouvoir responsable de la mort de Maximilien. Nul doute que ce thème de l’exécution a préparé l’artiste à celui de La Barricade !

Après la mort de Manet, la seconde version, restée dans l’atelier du peintre, est découpée en plusieurs morceaux ! Degas fait alors l’acquisition de fragments et remonte partiellement le tableau qui fait partie actuellement des collections de la National Gallery. Cette belle preuve d’amitié et de respect par Degas n’est pas rare chez les artistes. Signac collectionnait Seurat, Caillebotte tous ses amis peintres. C’est cette empathie, venue de la formation en ateliers qui a permis l’avancée extraordinaire de la Fédération des artistes pendant la Commune.

EUGÉNIE DUBREUIL

Exposition Manet/Degas, musée d’Orsay, Paris

(1) Voir l’article de John Sutton dans La Commune n°47 : https://www.commune1871.org/nos-actualites/actualites/1433-manet-linventeur-du-moderne