Le 3 mars 1871, conformément aux accords de prolongation d’armistice signés le 27 février, les troupes prussiennes et bavaroises quittent l’Ouest parisien. Thiers a militairement les mains libres. Son objectif principal est désormais de mettre au pas une capitale toujours frondeuse. De fait, Paris – qui n’a cessé de s’agiter pendant la présence allemande - ne semble pas prêt à se ranger.

Joseph Vinoy (1800-1880)
Joseph Vinoy (1800-1880)

Dès le 3 mars, quatre bataillons de gardes nationaux s’emparent du dépôt de munitions des Gobelins. Le 4, le mouvement se poursuit, à la caserne Mouffetard et à la Chapelle St-Denis, sans que les autorités soient en état de riposter. Elles font pourtant appel aussitôt aux « bons bataillons » des quartiers sûrs des 10 premiers arrondissements. Leur déception est totale : les « bons » ne bougent pas… La veille, le gouvernement a toutefois décidé d’aller plus loin. Il a demandé officiellement au chancelier Bismarck de laisser passer trois divisions de 20 000 hommes venues de l’Ouest et il a nommé à la tête de la Garde nationale le général d’Aurelle de Paladines. Celui-ci vient ainsi seconder le général Vinoy, qui a remplacé Trochu au commandement en chef des armées et qui fait fonction de gouverneur militaire. D’Aurelle et Vinoy sont ainsi les bras armés du gouvernement dans Paris. L’importance de leur rôle est attestée par leur participation quotidienne au Conseil des ministres, où ils ne manquent pas de critiquer les positions qui leur semblent trop conciliatrices et d’appeler à une solution de force.

Tous deux ont un point commun : militaires de carrière, ils ont forgé leur expérience dans les compagnies d’Afrique, sont engagés en politique - d’Aurelle a été très actif dans le coup d’État du 2 décembre 1851 et Vinoy a été sénateur d’Empire -, sont ultraconservateurs et n’ont jamais caché leur hostilité à la gauche républicaine, radicaux compris. Leur carrière militaire récente n’a rien de brillant, surtout celle d’Aurelle. Il peut certes se prévaloir d’une modeste victoire sur les troupes bavaroises dans le Loiret, mais son indécision ultérieure entraîne la perte d’Orléans, ce qui lui vaut d’être mis à l’écart, avant d’être rappelé pour diriger la Garde nationale. Il sera donc « le vainqueur de Coulmiers » pour les Versaillais et, pour les autres, le « vaincu » ou même le « capitulard d’Orléans »…

Louis d’Aurelle de Paladines (1804-1877)
Louis d’Aurelle de Paladines (1804-1877)

Le 5 mars, le « capitulard » prend ses fonctions à Paris. Ce jour-là, le ministre des Affaires étrangères, Jules Simon, se dit optimiste :

Le Comité central continue à agir, mais il serait fort simple d'y couper court. D'Aurelle est arrivé, c'est un grand point. Je ne crois plus au péril.

Le 6 mars, Thiers donne lui-même l’ordre à Vinoy d’occuper avec des troupes de ligne les forts abandonnés par les Allemands :

Faites avec les Prussiens les marchés de fusils dont vous me parlez, mais veillez à leur qualité et à leur prix. J'espère que l'arrivée des renforts fera une suffisante impression sur les agitateurs, qui semblent se fatiguer et se diviser. Chaque jour qui s'écoule est pour vous et contre eux. Ne livrons pas bataille. Les légions bien résolues donneront vigoureusement, si elles doivent donner.

Le 7 mars, l’Assemblée met fin au moratoire des loyers et des effets de commerce — il avait été décidé en août 1870 — ce qui place théoriquement la moitié de la population parisienne sous la menace d’expulsions et inquiète un petit commerce affecté par le blocus du siège. Le 9 mars, les populaires Auguste Blanqui et Gustave Flourens sont condamnés à mort par contumace, pour leur participation à la journée du 31 octobre 1870. Le 10 mars, l’Assemblée quitte Bordeaux et s’installe, non pas à Paris, mais à Versailles. C’est un double camouflet, pour les Parisiens et pour les républicains. Le 11 mars le général Vinoy suspend le Cri du peuple de Jules Vallès, le Vengeur de Félix Pyat, le Mot d'ordre de Rochefort. le Père Duchesne de Vermersch, la Caricature et la Bouche de fer. Par un décret du même jour, les clubs sont fermés et un autre général bonapartiste Louis Valentin est nommé préfet de police.

Les va-t-en-guerre de Thiers vont être cruellement déçus. Le 7 mars, d’Aurelle lui-même avait pourtant fait savoir à l’état-major de la Garde réuni au grand complet qu’il avait « la ferme intention de réprimer avec énergie tout ce qui pourrait porter atteinte à la tranquillité de la cité ».

Types de fédérés parisiens
Souvenirs de la Commune. - Types d'insurgés. Anonyme, gravure sur bois (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

Au lieu de calmer les rues, le bras de fer met un peu plus au premier plan les bataillons de la Garde nationale et active son processus d’organisation autour de son Comité central. Bien plus tard, le Rapport d’enquête parlementaire sur les événements du 18 mars devra noter l’échec de la contre-offensive de mars.

Chaque jour les causes de désordre s’accroissaient et l’armée de l’insurrection se recrutait de tout ce que la guerre avait fait surgir d’aventuriers, non-seulement en Franco mais en Europe. Les bandes garibaldiennes dissoutes, les francs-tireurs de l’ouest et de l’est, les condottieri révolutionnaires de tous genres et de tous pays, appelés par un mot d’ordre, se concentraient à Paris où la démagogie cosmopolite allait jouer une suprême partie. (Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, volume 1, rapport général de Martial Delpit, page 51).

Affiche du 10 mars 1871 - Adresse de la Garde nationale à l'Armée (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche du 10 mars 1871 - Adresse de la Garde nationale à l'Armée (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Le gouvernement pensait prendre la main après le 3 mars. Il va perdre provisoirement la partie.

À suivre…

 

Sources

(disponibles sur le site gallica.bnf.fr)

Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars (tome 1)

Louis Fiaux, Histoire de la guerre civile de 1871, Charpentier, 1879.

Yriarte, Charles (1833-1898), Les prussiens à Paris et le 18 mars (avec la série des dépêches officielles inédites des autorités françaises et allemandes du 24 février au 19 mars), Paris, 1871.

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