Ardent communard, Maxime Vuillaume nourrit pendant les semaines qui précèdent la Commune le grand projet  de faire renaître le Père Duchesne (1), de Jacques-René Hébert, journal des Sans-culottes, né sous la Révolution française.

Les trois rédacteurs du Père Duchêne :  Eugène Vermersch (1845-1878), poète et journaliste - Maxime Vuillaume (1844-1925), ingénieur et journaliste - Alphonse Humbert (1844-1922), militant blanquiste et journaliste.
Les trois rédacteurs du Père Duchêne : Eugène Vermersch (1845-1878), poète et journaliste - Maxime Vuillaume (1844-1925), ingénieur et journaliste - Alphonse Humbert (1844-1922), militant blanquiste et journaliste.

Vuillaume raconte cette genèse dans Mes cahiers Rouges

au temps de la Commune 

J’ai rendez-vous, rue du Croissant, avec Alphonse Humbert. Un projet de journal. Non pas un journal, à la vérité. Le cautionnement nous fait défaut. Mais une suite de placards quotidiens, dans le genre des placards de la Révolution. Marat ou Hébert. L’Ami du Peuple ou Le Père Duchêne. Le Père Duchêne surtout. 

De grandes colères, de grandes joies, des lettres bougrement patriotiques, dans le style du temps.

Nous avons causé de cela ces deux ou trois jours. Je confie nos projets à Eugène Vermersch.

— Le Père Duchêne! J’en suis… Quand nous réunissons-nous? Où? Chez moi, si vous voulez.

Rue du Croissant, nous trouvons Humbert. Entendu. Le lendemain chez Vermersch, rue de Seine, au troisième, dans la maison de l’éditeur Sartorius.

 

Lecture du Père Duchêne, 1871 - Tableau de André Devambez, 1913
Lecture du Père Duchêne, 1871 - Tableau de André Devambez, 1913

L’un de nous avait apporté quelques numéros du journal d’Hébert (…) Nous avions aussi le petit livre de Charles Brunet « Le Père Duchesne» (….) Je l’ouvre au hasard, et je lis :

Numéro 253. La Grande Colère du Père Duchesne contre les gredins de financiers, grippe-sous, monopoleurs, accapareurs, qui font un Dieu de leur coffre-fort, et qui excitent le désordre et le pillage pour faite la contre-révolution… Un peu plus loin: Numéro 260. La Grande Colère du Père Duchesne au sujet de Marat, assassiné à coups de couteaux par une garce du Calvados…

D’une seule voix : — C’est cela qu’il faut faire!

(…..) Deux ou trois jours après cette première conversation, Frédéric Régamey dessinateur et graveur, nous montrait l’admirable composition qui devait figurer en tête de notre journal. Quand Régamey mit sous nos yeux cette merveille d’art et de pensée révolutionnaires (signée des deux initiales F. R.) ce fut plus que de la joie. De l’enthousiasme.

— Bravo! À quand le premier numéro ? À quand la première grande colère!

Le Père Duchêne était né.

Le Père Duchêne n°1 – 16 ventôse an 79 – 7 mars 1871 (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)
Le Père Duchêne n°1 – 16 ventôse an 79 – 7 mars 1871 (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)

Maxime Vuillaume décrit ainsi la vignette dessinée par Frédéric Regamey:

Assis sur un tas de pavés, tenant le triangle égalitaire de la main droite, embrassant du bras gauche un canon, un sans-culotte, coiffé du bonnet phrygien, s’appuie sur le lion popuIaire. À ses pieds, gisent couronnes, mitres et crosses. Une volée d’oiseaux noirs fuit à l’horizon. Sur le ciel clair se détache l’immortelle devise des grands ancêtres : La République ou la mort !

La filiation avec le journal d’Hébert est clairement exprimée par la date du calendrier révolutionnaire, qui inscrit la Commune dans la lignée des combats menés par les Parisiens depuis 1789.

Le 7 mars 1871 (16 ventôse de l’an 79) paraît « Le Père Duchêne, marchand de fourneaux » (sous l’orthographe modernisée de Père Duchêne).

C’est un journal de huit pages au format 16x25 cm Il coûte 1 sou (5 centimes). Le premier numéro, tiré à 30 000, est vite épuisé et doit être réimprimé à 25 000.

Le 11 mars 1871, après le cinquième numéro, le journal est l’un des six journaux supprimés par le décret du général Vinoy.

Le numéro 6 ne pourra sortir que le 21 mars puis il paraîtra tous les jours jusqu’au numéro 68 le 22 mai 1871 (3 prairial d l’an 79)

Les articles sont signés « Père Duchêne, marchand de fourneaux.  ». Le Comité de Salut Public de la Commune décrètera le 18 mai que tous les articles de journaux doivent désormais être signés. Les trois derniers numéros porteront donc la signature collective de Vermersch, Humbert et Vuillaume.

Le Père Duchêne n°17 – 12 germinal an 79 (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)
Le Père Duchêne n°17 – 12 germinal an 79 (source : La presse communarde - archivesautonomies.org)

Chaque numéro porte un titre qui évoque à lui seul la terminologie irrévérencieuse et provocatrice du journal :

1. La Grande colère du père Duchêne à propos des pauvres bougres de patriotes que les propriétaires veulent jeter dans la rue

17. La Grande motion du père Duchêne pour que les citoyens membres de la Commune suppriment le traitement des calotins ;

43. La Grande joie du père Duchêne parce que les jean-foutres d'huissiers et de notaires ne pourront plus foutre les patriotes dans la débine

 

Sources :

Pour voir les n° du Père Duchêne : La partie Commune du site "archivesautonomies.org" 

Blog de Michèle Audin, voir l'article Le Père Duchêne (et sa fille)

Histoire du journal de Jacques-René Hébert : Le Père Duchesne

 

Notes

(1) Personnage fictif, le Père Duchesne apparaît pour la première fois en 1788. Ancien marin devenu marchand et réparateur de fourneaux à Paris, éternel insurgé toujours enclin à dénoncer les injustices, cet homme colérique au physique imposant incarne le petit peuple parisien Associée au feu, sa profession revêt un caractère symbolique, qui renvoie à la lumière et à la force vitale mais aussi à la violence populaire. Les journaux portant son nom relaient ses joies et ses colères, et se caractérisent par l’emploi d’un langage familier, souvent outrancier, teinté d’argot.

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