Le Cri du Peuple
Le Cri du Peuple défend l'idée de la République Sociale et sera le quotidien de la Commune le plus célèbre et le plus lu. Il tire à 50 000, 80 000, voire 100 000 exemplaires certains jours. Il s'étale sur cinq colonnes en une page recto-verso et coûte cinq centimes (1 sou).
Difficile de parler du Cri du Peuple sans se pencher sur la personnalité de Jules Vallès, figure emblématique de la Commune. Quand il lance Le Cri du Peuple avec le proudhonien Pierre Denis, Vallès a déjà à son actif depuis 1861 la publication d’articles et la création des journaux La Rue, Le Peuple puis Le Réfractaire qui lui vaudront amendes et séjours en prison.
Le 6 janvier 1871, Vallès est l’un des quatre rédacteurs de L’affiche Rouge, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison du gouvernement du 4 septembre » et pour réclamer « la réquisition générale, le rationnement gratuit, l'attaque en masse ». La proclamation se termine par :
Place au peuple ! Place à la Commune !
18 numéros du Cri du Peuple paraissent avant la Commune, du 22 février au 12 mars 1871.
Dès le n°1 du 22 février, Vallès donne le ton dans l’éditorial « Paris vendu ! » :
La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut. Elle enjambe par-dessus les ruines et elle crie : « Malheur aux traîtres ! Malheur aux vainqueurs! »
Vous espérez l’assassiner. Essayez ! Debout entre l’arme et l’outil, prêt au travail ou à la lutte, le peuple attend
Après l'interdiction des journaux républicains ordonnée par le Général Vinoy le 11 mars, la parution du Cri du Peuple est interrompue ; elle reprendra au n°19 daté du 21 mars. Le Journal paraîtra régulièrement durant la Commune jusqu’au n° 83 daté du mardi 23 mai 1871.
Parmi les collaborateurs du Cri du Peuple, on trouve aussi la plume d’Henri Bellanger ainsi que celles de plusieurs blanquistes dont Henri Verlet, Casimir Bouis et Louis Lucipia. Y contribuent également des écrivains connus et engagés aux côtés de la Commune : Eugène Vermersch, Jean-Baptiste Clément. Pierre Denis, un peu plus âgé, y exerce une grande influence idéologique, il assurera le poste de rédacteur en chef à la suite de Vallès quand celui-ci, élu membre de la Commune, cessera d’écrire pour se consacrer à ses fonctions au sein de la Commune.
Dans son éditorial du 21 mars Jules Vallès annonce : la Révolution doit se borner à Paris, qui doit laisser le reste de la France agir à sa guise et qui, donc, doit se déclarer ville libre. Il faut immédiatement constituer un Gouvernement provisoire formé d’un conseil communal, du groupe des députés de Paris et du Comité central, élire cinq administrateurs municipaux par arrondissement, abolir la préfecture de Police, élire l’état-major de la Garde, élire un syndicat commercial qui établira un projet de loi sur les échéances, envoyer cinq délégués à Versailles pour traiter et cinq aux Allemands pour les assurer que Paris respectera les traités.
« La victoire fatigue autant que la persécution. Tout l’équipage du Cri du Peuple, rédacteurs, compositeurs, imprimeurs, a le cœur joyeux mais les jambes cassées, on tombe de lassitude, de sommeil : Chacun a monté la garde derrière les barricades ou à l’Hôtel de Ville.
Demain on pourra laisser son fusil et retourner à l’écritoire. Pour aujourd’hui, nous prions le peuple de réfléchir aux mesures que nous lui proposons. Et surtout, que le Comité Central continue à rester neutre, calme et fort et qu’il demeure, au milieu des bataillons qui l’ont élu, l’intermédiaire désintéressé entre le peuple et la bourgeoisie » |
Le lendemain, dans le n° 20 du 22 mars, dans « Paris, ville libre», Vallès dans un élan d’enthousiasme et d’optimisme appelle la bourgeoisie « ouvrière » à collaborer à la Commune :
Il y a la bourgeoisie travailleuse et la bourgeoisie parasite. Celle que le Cri du Peuple attaque, que des rédacteurs ont partout attaqué, attaqueront toujours, c’est la fainéante, celle qui fait des places un commerce et fait de la politique un métier.
Troupeau de bavards, cohue d’ambitieux, pépinière à sous-préfets et à conseillers d’Etat.
Celle aussi qui ne produit pas, qui écume, qui rafle, par des spéculations de bourse éhontées, les bénéfices que font ceux qui se donnent du mal, spéculateurs sans vergogne, qui volent au pauvre et prêtent aux rois, qui ont joué aux dés sur le tambour de Transnonain ou du 2 décembre et qui songent déjà à tailler leur banque sur le cadavre de la patrie ensanglantée.
Mais il y a une bourgeoisie ouvrière honnête et vaillante celle-là ; elle descend en casquette à l’atelier, rôde en sabots dans la boue des usines, reste par le froid, le chaud à sa caisse ou à ses bureaux ; dans son petit magasin ou sa large fabrique, derrière les carreaux d’une boutique ou les murs d’une manufacture : elle avale de la poussière et de la fumée, s’écorche et se brûle devant l’établi ou la forge, met la main à la pâte, a l’œil à la besogne, elle est par son courage et même par ses angoisses la sœur du prolétariat (….)
C’est tout ce monde de travailleurs ayant peur de la ruine ou du chômage qui constitue Paris, -le grand Paris- Pourquoi ne se donnerait on pas la main par-dessus toutes nos misères d’homme et de citoyen et pourquoi en ce moment solennel n’essaierait-on pas d’arracher une bonne fois le pays où l’on est frère par l’effort et le danger à cette incertitude éternelle qui permet aux aventuriers de toujours réussir et oblige les honnêtes gens à toujours trembler et souffrir !
Le journal ne donne pas à lire que des éditoriaux enflammés. Sa lecture nous révèle ce que nous appellerions aujourd’hui des « brèves ». On y lit aussi des petites annonces et le courrier de lecteurs attentifs qui, en pleine guerre civile, relèvent les coquilles et en demandent la correction !
Le Cri du Peuple ne ménagera pas ses efforts pour appeler la population à participer aux élections. Dans le n°25 du 26 mars, on peut même lire un appel au vote signé Élie Reclus, F.D. Leblanc, Élisée Reclus et Paul Reclus exhortant les «républicains à ne pas s’entr’égorger»
Vallès joue un rôle majeur en rassemblant le soutien électoral autour de candidats de gauche lors des élections à l’Assemblée nationale et plus tard à la Commune. Il sera lui-même élu de la Commune dans le XVe arrondissement par 4 403 voix sur 6 467 votants.
Le n° 26 du 27 mars publie la liste des candidats et le manifeste du Comité central républicain des vingt arrondissements, manifeste qui contient les idées essentielles du communalisme.
Dans le n° 27 du 28 mars, le calme dans lequel se sont déroulées les élections et leur succès inspirent à Vallès une envolée lyrique sur cette révolution tranquille du 26 mars:
Au fil des numéros, l’enthousiasme des journées de mars laisse place à la rage contre l’ennemi versaillais et les pertes humaines chez les Communards.
L’ouverture des hostilités suscite la colère. Dans le n°32 du 2 avril, dans l’éditorial « Hostilités lâches », Pierre Denis annonce :
Les hostilités ont commencé. Versailles a déclaré la guerre à Paris
Plus loin Casimir Bouis dans "Etre ou n’être pas" s’écrie :
Nous voulons vivre à la fin…
Nous avons été les déshérités éternels, nous autres. Nous sommes ce peuple d’exploités, qui pendant six mille ans, a saigné sur tous les chemins, râlé sur tous les calvaires, et nous avons à prendre notre revanche – la revanche de la justice.
Dans le n°33 du 3 avril, Vallès lance un appel à la bourgeoisie : "Décidez-vous". Il y prédit les massacres à venir :
Un coup de surprise peut même livrer Paris républicain à Versailles infâme et jeter les révolutionnaires dans la mort (…)
La bourgeoisie pourrait aider à notre massacre mais nous ne serions que quelques-uns de plus au cimetière et elle roulerait le lendemain criminelle et ruinée dans l’abîme !
Qu’elle se rallie à la Commune, nous lui offrons aujourd’hui. Peut-être demain il sera trop tard. Décidez-vous !
Vallès signe son dernier éditorial « Est-ce vrai ? » dans le n° 49 du 19 avril et choisit désormais de se consacrer à ses devoirs d’élu de la Commune et aux combats. Son nom apparaîtra cependant dans le bandeau du journal comme rédacteur en chef jusqu’au dernier numéro.
(….) C’est Paris qui est l’accusé, c’est lui qui pille et qui tue : c’est lui qui écrase l’égalité sous le coup de talon des faubouriens ivres. Voilà ce que M. Thiers raconte et ce que les provinciaux croient.
Le Cri du Peuple s’est imposé comme un devoir de ne rien défendre qui ne lui parût juste, de ne rien affirmer qui ne lui parût exact et vrai : il sait que le sang-froid vaut autant que la passion, dans les moments d’angoisse suprême et de bataille décisive.
Aussi sommes-nous à l’aise pour juger la situation, dans le brouhaha solennel des coups de fusil et des coups de canons.
N’ayant insulté personne, point calomnié un homme, point dénaturé un acte, pas menti un instant et point balbutié jamais, placé au dessus des querelles qu’entraînent les colères d’un jour, ne jugeant pas les moyens, poursuivant le but, dévoué au seul triomphe des idées sociales et attaché jusqu’à la mort à la cause du prolétariat, le Cri du Peuple a le droit d’être écouté, quand il jette un cri d’indignation.
Il le jette aujourd’hui
Dans le n°53 du 23 avril, Jean-Baptiste Clément évoque les décrets de La Commune mais sa mise en garde présage les jours à venir de la Semaine Sanglante. Puis dans le n° 59 du 29 avril , il s’insurge contre ceux qui jugent la Commune comme « Une poignée de factieux » et livre un pamphlet enflammé par l’anaphore :
(…) Cette poignée de factieux, c’est tout un peuple, c’est la révolution qui enfante des héros et plante son drapeau.
Cette poignée de factieux a des canons qui portent juste et bien et des pointeurs qui ont l’œil.
(…) Cette poignée de factieux a planté son drapeau sur tous les monuments de la grande capitale son drapeau tout rouge comme le sang des martyrs du travail et de la liberté.
(…) Tous les jours la lumière se fait ici ; et demain, s’ils ne cessent, ils auront, non plus à combattre les armées de la Commune, mais tout Paris : les bourgeois exaspérés, les femmes furieuses, les enfants affolés, les vieillards courroucés !
Et quand ils les auront assassinés par milliers, ils oseront encore dire que c’était une poignée de factieux !
Le 24 avril, le journal dénonce la presse versaillaise menaçante et revancharde qui ne fait pas mystère du sort auquel elle voue les partisans de la Commune :
Supposons que le peuple soit vaincu, supposons que les bonapartistes et les royalistes rentrent dans Paris en barbotant dans des mares de sang et en piétinant des cadavres, -que restera-t-il de la Commune ?
Des décrets sur des murs, des affiches qu’on déchirera, répondront ceux qui n’y voient pas plus loin que le bout de leur nez.
Ah ! Vous vous trompez ! Quand bien même ces décrets n’auraient pas reçu leur pleine éxécution, quand bien même vous déchireriez toutes les affiches, quand bien même vous passeriez les murs à la chaux, vous ne parviendrez pas à enlever de nos esprits les principes qu’ils ont affirmés, vous n’empêcherez pas que le peuple ait senti la différence qu’il y a entre les gouvernants de Versailles et les membre de la Commune, vous n’empêcherez pas que le peuple ait vu là le salut des travailleurs et l’avenir du monde
Les rédacteurs réaffirment dans le n° 60 du 30 avril :
Le Cri du Peuple ne poursuit qu’un but : le triomphe de la Révolution. Voilà pourquoi toutes les opinions révolutionnaires y trouvent l’hospitalité. Voilà aussi pourquoi chaque rédacteur est responsable de ses articles. Nous disons cela pour hier et pour demain, pour le passé et pour l’avenir.
En mai, Le Cri du Peuple reflète les opinions de la minorité et son hostilité au Comité de Salut public. Mais les derniers numéros vont appeler à l’union. Dans le n° 75 du 15 mai, Pierre Denis demande :
Paris doit se préparer pour déjouer ses espérances et ses calculs, pour faire mentir ses promesses et ses prophéties. Il doit tout entier, debout, actif, vigilant, calme et ferme, travailler à sa défense et à son salut.
Mais à cette heure suprême, peut-être, où va s’engager l’action, où se prépare mystérieusement la soudaine attaque, il faut que tout se taise devant l’organisation, le travail et le combat.
Silence à la politique !
Dans le n° 78 du 18 mai, l’éditorial de Pierre Denis est consacré à « La Colonne » :
Elle est tombée ! La sentence du peuple est exécutée. Justice est faite !
Elle est tombée cette colonne faite de canons achetés par tant de cadavres qui se dressait sombre, rigide, brutale (…)
L’éditorial signé Le cri du peuple du n°79 du 19 mai « L’Union » dit clairement :
Le Peuple, uni dans une revendication suprême a le droit d’exiger que ceux qu’il a mis à sa tête sacrifient au salut commun les vaines discussions et toutes les futiles querelles.
Il n’y a plus aujourd’hui, il ne peut plus y avoir qu’un peuple prêt à vaincre ou prêt à mourir.
Il ne peut plus aujourd’hui, il ne peut plus y avoir qu’une politique : la défense, la défense quand même, la défense d’un peuple libre.
Les 65 numéros parus entre mars et mai 1871 constituent un témoignage unique de l'intérieur de l'insurrection parisienne. Au fil des numéros, le récit des batailles, le décompte des pertes humaines et matérielles annoncent inexorablement une fin tragique. Le journal paraîtra sans interruption jusqu’au 23 mai, début de la Semaine Sanglante.
À partir du n° 34, les "Dernières Nouvelles", les nouvelles des combats : "La Bataille", les actes officiels, les avis et les comptes-rendus, prennent de plus en plus de place aux dépens des articles de fond puis, à partir du n° 48, les articles de fond deviennent rares car les rédacteurs participent aux combats ou sont à leurs postes de membres de la Commune !
Sources :
https://archivesautonomies.org
Bernard Noël Dictionnaire de la Commune.
La Commune de Paris 1871, ouvrage collectif coordonné par Michel Cordillot
Podcast Radio-France Henri Guillemin raconte l’Histoire 2 : Jules Vallès
Article de Claude Jaqueline Le patriotisme de Jules Vallès sur notre site : https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/illustres-communards/972-le-patriotisme-de-jules-valles
Histoire des journaux publiés à Paris pendant le siège et la Commune-4 septembre au 28 mai 1871- par Firmin Maillard. éd. E . Dentu, 1871; reprint Liberac, Amsterdam 1971. C'est le point de vue versaillais, dit " de bonne foi " avec 7 références à Jules Vallès et 13 pages consacrées au " Cri du Peuple ", pas inintéressantes ; Robert Le Quillec dans sa biblographie critique 1871-1997 note : Notices sur 183 journaux de toutes tendances classés chronologiquement avec table alphabétique et index des noms. Souvent anecdotique; lui préférer Lemonnyer
Les journaux de Paris pendant la Commune par Jules Lemonnyer, libraire, octobre 1871. Revue bibliographique complète de la presse parisienne du 19 mars au 24 mais avec l'Indication détaillée des Titres... et une table alphabétique donnant le prix courant de chaque collection
Le Quillec: très précieuse bibliographie de la pressse sous la Commune, dont Del Bo lui-même s'est inspirée.( Guiseppe Del Bo:2 ouvrages sur la Comune Di Parigi, 1952 et 1957) Et cependant, ce n'est que le catalogue d'un libraire qui offre des collections de journaux devenus rares.
11 mai 1871 :
Parution au JO du décret sur la maison d’Adolphe Thiers
Le 10 mai 1871, un décret ordonnant la démolition de la maison parisienne de Thiers est signé par le Comité de Salut Public. L’ hôtel particulier immense qu’il occupait avant de fuir la ville, situé au numéro 27 de la place Saint Georges dans le IXème arrondissement doit être détruit et les biens meubles saisis.
Le matin du 12 mai, place Saint Georges dans le IXème arrondissement, ouvriers et gardes nationaux se retrouvent pour commencer un chantier inhabituel, commandé la veille par le Comité de Salut Public; la destruction de l’hôtel particulier d’Adolphe Thiers.
“Adolphe Thiers, le chef du pouvoir éxécutif de la République monarchiste, fier représentant des capitulards et des bourgeois, Thiers l’homme de Versailles, désormais, n’aura plus de demeure dans la ville insurgée. “ (site “RaspouTeam”).
Extraits de La chute de la “Maison Thiers” de Bernard Vassor :
À l’heure prévue du « démontage » (16h), les délégués de la Commune sont là : Jules Andrieu, Eugène Protot, Jules Fontaine, Gaston Da Costa, substitut du procureur de la Commune.
Le commissaire de police du quartier Saint-Georges, Noguès, les accompagne. L'atmosphère est électrique dans ce quartier très bourgeois et des cris hostile à la Commune fusent ça et là.
Maintenant, des rues Saint Georges et Notre Dame de Lorette, on entend des slogans hostiles à la Commune …
Inquiets, Andrieu et Protot ordonnent à Da Costa de requérir des renforts. Une estafette à cheval équipé d’une carabine à répétition Scharp, un bonnet phrygien maladroitement gravé sur la crosse qui suscite l’admiration de quelques soldats, est envoyée à l’ex-préfecture, rue de Jérusalem, d’où un bataillon des « Vengeurs de Flourens » commandé par Filleau de Saint Hilaire (l’organisateur du corps des Vengeurs) arrive une demi-heure plus tard. Il va frayer un chemin aux « officiels », faire reculer la foule menaçante et former un cordon jusqu’à l’abreuvoir à chevaux du milieu de la place.Protot, avocat dans le civil, tente un discours vite étouffé par les clameurs.
Un peu désemparé, Gaston Da Costa va chercher des paveurs qui travaillent à l’angle des rues Notre-Dame-de-Lorette et Martyrs, devant le marchand de couleurs Gouache. Ceux-ci, pas très à l’aise devant l’hostilité des manifestants, refusent dans un premier temps de faire ce qu’on leur demande.
Alors, pour donner l’exemple, Gaston Da Costa monte les étages et, par le grenier, arrive sur le toit. Armé d’une pioche empruntée à un ouvrier, il entreprend maladroitement de casser une cheminée. Encouragés par l’exemple les paveurs se mettent bientôt à la tâche, pendant que Protot au rez-de-chaussée, sous les huées, de la foule, brise à l’aide de sa canne les vitres de la véranda.
Nerveux, les Gardes nationaux repoussent les passants et interpellent quelques « braillards » pour les conduire au poste de la mairie rue Drouot. D’après Da Costa dans ses souvenirs, ils seront relâchés aussitôt ...
Vers 19 heures, une escouade de gardes du 116° stationnent quelques instants sur la place. Puis ils se rendent au bureau des contributions 21 rue d’Aumale, accueillis par Antoine Gourdon (29 ans, ancien tailleur de pierre), percepteur des 9°, 13 et 14° arrondissements. Un vin d’honneur les attend pour célébrer l’événement.
L’entreprise de démolition durera plusieurs jours.
Le 15 mai (25 floreal an 79) un arrêté est signé par Jules Fontaine. Est décidé, après une perquisition en bonne et due forme, que tout le linge provenant de la maison de Thiers sera mis à disposition des ambulances de la Commune. Les nombreux objets d’art et livres précieux seront envoyés aux bibliothèques et aux musées nationaux.
Le 15 mai, un journal constate :
Les travaux de destruction avancent ; la maison de monsieur Thiers est dévastée peu à peu ; on travaille à sa démolition avec continuité et lambinerie, comme si, prenant plaisir à la chose, on voulût la faire durer longtemps.
On peut lire dans La Patrie du 20 mai :
La nuit dernière, une vive lueur partant de la place Saint-Georges avait jeté l’émoi dans le quartier Notre-Dame-de-Lorette. C’était simplement un feu de bivouac allumé par les gardes nationaux dans l’hôtel de M. Thiers, avec les débris provenant de son déménagement forcé. Cette opération n’était point terminée ce matin, car des voitures de déménagement stationnaient encore dans la cour ; la bibliothèque et les tableaux n’étaient point encore enlevés. La démolition avait commencé cependant (…). On aurait pu croire, à voir la foule se porter dans la journée à la place Saint-Georges, que la population parisienne se rendait à un pèlerinage. La place était littéralement encombrée. Les gardes nationaux avaient fort à faire pour maintenir la circulation. On peut déduire de l’activité des travaux qui ont été commencés hier seulement que, dans deux jours, il ne restera plus une pierre de l’immeuble de la place Saint-Georges. A l’heure où nous écrivons, la toiture de l’édifice a disparu, ainsi que l’attique de l’aile gauche.
L’Illustration du même jour déplore la perte des archives privées de l’homme d’État, fustigeant « le coup de pioche impie de la Commune » ne respectant ni la propriété ni l’art. Georges Bell, un de ses rédacteurs, énumère scrupuleusement la richesse de la collection Thiers, comparable à un musée, autrefois visité par des élites européennes admiratives.
Pourtant conformément aux instructions de Jule Fontaine, la collection de tableaux, les meubles, les porcelaines, les livres, ont été envoyés au garde-meuble, avenue Rapp, les objets d’art au musée du Louvre. L’argenterie transportée à la Monnaie servira, cruelle ironie, une fois fondue à la fabrication de la fameuse pièce de 5 francs argent destinée à la solde des Gardes nationaux le 20 mai.
Devant les risques d’accident, les travaux sont abandonnés, laissant debout seulement les pans de mur du premier étage.
A la veille de la Semaine sanglante, le bâti est réduit à une carcasse éventrée.
Une fois la maison rasée, la Commune avait prévu d’établir un square public sur le terrain qu’occupe l’hôtel particulier.
Mais en 1873, la IIIème république victorieuse et reconnaissante participe financièrement à la reconstruction de l’Hôtel Dosne-Thiers à la même place.
Même si comme l’écrit Alain Plessis (dans Adolphe Thiers (1797-1871) et l’argent) l’Assemblée nationale n’a voté qu’une indemnisation de 1 053 000 F, qui était loin de couvrir le coût des dommages subis par Thiers.
Sources
Cet article doit beaucoup à Bernard Vassor auteur de La chute de la “Maison Thiers” – Février 2006 disponible à :
https://www.terresdecrivains.com/La-Chute-de-la-Maison-Thiers,602
Voir également le Procès verbal du 12 mai (pages 359, 360 et 361) :
https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/commune/communedeparis/proces-verbaux/seance-1871-05-12.pdf