Le père de Francisco Salvador-Daniel est un noble espagnol, capitaine dans l’armée rebelle de Don Carlos (1). Après la défaite des carlistes et de ce prétendant au trône d’Espagne, il se réfugie en France dans la ville de Bourges où il enseigne l’espagnol et la musique. C’est dans cette ville que naît Francisco en 1831.

Celui-ci est élève à l’École normale de Bourges et reçoit de son père une solide formation musicale. La famille quitte Bourges pour Paris en 1843. Il débute comme copiste chez un éditeur de musique et entre comme altiste au Théâtre lyrique. Il découvre alors un oratorio à succès Le désert de Félicien David, où l’on entendait, pour la première fois en Occident, un appel à la prière en langue arabe.

En 1853, pour l’inauguration de l’Opéra d’Alger, il part pour l’Algérie. Il y enseigne le violon, apprend la langue et s’intègre parfaitement au pays. Il constate ainsi que la harpe de 75 cordes y est encore en usage. En 1855, il publie le résultat de ses recherches sur les instruments dans une œuvre qui fera date : Essai sur l’origine et la transformation de quelques instruments. En 1861, il fonde l’Orphéon et l’Harmonie d’Alger. Un an après, il est professeur de chant et chef de chœur à l’école arabo-française.

Une partition de Francisco Salvador-Daniel
Une partition de Francisco Salvador-Daniel

Francisco Salvador-Daniel étend ses recherches à d’autres pays d’Afrique. Il déclare que « pour juger la musique des Arabes il faut la comprendre… et cela en laissant de côté toutes nos idées de tonalité ». Durant ses séjours de 1853 à 1865, il récoltera plusieurs centaines de chansons qu’il souhaite faire connaître à un auditoire européen par une transcription en paroles françaises, tout en conservant les titres arabes ou kabyles. Très épris de la fille d’un marchand d’Alger, il veut l’épouser. Mais à la veille de la cérémonie, sa future femme tombe gravement malade et meurt. Très affecté, il rentre alors à Paris.

C’est durant l’année 1868 que ce fils de noble devient adepte du saint-simonisme et adhère au groupe socialiste du VIe arrondissement de Paris. Il devient l’ami de Courbet, d’Élisée Reclus, d’Édouard Vaillant, et donne des articles dans La Marseillaise, le journal de Rochefort. Quelques-uns de ses articles, comme La musique sociale et Le chant du peuple, proposent des réformes de l’enseignement de la musique. Il organise des concerts à très bas prix. « La vraie impulsion artistique ne peut venir que du peuple », déclare-t-il.

Lors de la Commune de Paris, le 12 mai, Daniel Auber, Directeur du Conservatoire de musique, décède. Gustave Courbet, responsable de la Fédération des artistes, demande à Salvador-Daniel de lui succéder à la tête du Conservatoire. Francisco accepte et se met très rapidement au travail. Dans les derniers jours de la Commune, le 21 mai, il prend une grande part dans l’organisation d’une fête donnée aux Tuileries au profit des veuves et des orphelins de la Commune, avec la participation d’un millier de musiciens (2). Mais ce dimanche-là est aussi le jour de l’entrée des troupes de Thiers dans Paris. La troupe versaillaise exerce une répression féroce, à laquelle les Parisiens résistent avec courage.

Le 23 mai au matin, Francisco combat rue de l’Université. Le 24, le musicien se trouve sur la barricade de la rue Jacob, proche du numéro 13 où il habite. Il lutte désespérément avec son groupe de sept fédérés jusqu’à midi. Mais il doit se replier et se réfugie dans une maison proche. Dénoncé par des voisins, il est fait prisonnier par les versaillais qui l’exécutent sur la barricade. Son corps est jeté dans une fosse commune.

Partitions de Francisco Salvador-Daniel, 1860

L’œuvre de Salvador-Daniel demeure confidentielle – son engagement dans la Commune de Paris y contribue certainement – et son nom fut même enlevé de la liste des directeurs du Conservatoire de Paris.

Ainsi, Francisco Salvador-Daniel, fils d’émigré, a choisi l’Algérie pour découvrir les musiques d’Afrique du Nord, et les barricades de la Commune de Paris pour défendre son idéal dans la France meurtrie de 1871.

MICHEL LAMBART

 

Sources :

Michel Lambart, « Francisco Salvador-Daniel, découvreur des musiques d’Afrique du Nord », Colloque Enseignement de la musique à Alger avant l’indépendance, 16 mars 2018, Ministère de l’Éducation nationale.

Marcel Cerf, « Salvador-Daniel, savant musicologue et hardi communard », La Commune n°16, 2002. 

Notes

(1) Don Carlos de Bourbon (1788-1855), frère du roi Ferdinand VII d’Espagne, prétendant au trône contre sa nièce Isabelle II. Il refuse de reconnaître cette dernière et entraîne ses partisans, monarchistes traditionalistes, dans les guerres carlistes.

(2) Voir dans le bulletin La Commune n° 75, rubrique Découverte, p. 33, la reproduction d’un billet d’entrée à ce « Grand festival », le dimanche 21 mai.

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