Comme Gustave Courbet venant d’Ornans, Yan Pei-Ming est arrivé à Paris plein d’espoir, en 1980, à 20 ans. Seulement lui, il venait de beaucoup plus loin, il venait de Shanghai. Il a appris le dessin de manière académique dans la Chine de Mao, et, en choisissant Courbet pour maître, il a donné une dimension véritablement réaliste à son art. Une densité aussi, car le réalisme de l’artiste n’est pas, comme d’ailleurs chez Courbet, un simple enregistrement du réel, c’est un combat contre le conformisme. Au XIXe comme au XXe siècle, cela veut dire refuser de produire des images qui flattent le pouvoir.
Son fabuleux savoir-faire a été reconnu internationalement, puisqu’il participe à la célèbre biennale de Venise dès 2003. Depuis, on a pu voir ses œuvres un peu partout en France : à Sète, il y a quelques années, un portrait saisissant de Khadafi supplicié et des femmes voilées effrayantes et à Paris, au Grand Palais, un beau portrait de Mickaël Jackson. Toute l’histoire du monde l’intéresse.
Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Courbet jusque dans son ancrage paysan, il a travaillé dans l’atelier même du peintre à Ornans, et certaines des toiles de l’exposition Corps à corps du Petit-Palais cet hiver à Paris y ont été peintes.
Dans une grande salle formant galerie, deux portraits monumentaux en face-à-face représentaient Courbet à 58 ans, l’âge de sa mort et Yan Pei-Ming, lui-même au même âge, en noir et blanc, comme d’ailleurs la plupart de ses tableaux, qui sont donc, de ce fait, des dessins à la peinture à l’huile. La seule couleur qu’il s’autorise est le rouge... de manière parcimonieuse. Dans la galerie du Petit-Palais, les œuvres de Courbet voisinaient en une disposition originale avec d’autres de la même époque. Il y avait une superbe sculpture de Dalou, un paysan grandeur nature, à l’origine destinée à son monument aux travailleurs jamais réalisé. Devant l’entrée de l’exposition, on pouvait voir un grand groupe en bronze d’Ernest Barrias, représentant un Fédéré puisant dans ses munitions aux pieds d’une allégorie de la Défense. Les tableaux de Yan Pei-Ming alternaient sur deux niveaux du mur avec des toiles peu connues de Courbet, comme Pompiers courant à un incendie, peinte en 1851 à la caserne de Poissy, qui témoigne de son intérêt naissant pour les compositions de groupe à la manière hollandaise.
Quand Yan Pei-Ming arrive en France, il découvre avec émotion L’enterrement à Ornans, alors au Louvre. Près de quarante ans après, il peint un Enterrement à Shanghai, que le musée d’Orsay expose jusqu’en janvier. La toile monumentale, au même format que celle de Courbet, lui a été inspirée par la mort de sa mère. Présentée, là aussi, dans une salle à part du musée, elle fait partie d’un triptyque en noir et blanc qui situe l’ensemble dans la culture chinoise et porte insolemment le portrait de sa mère à la dimension des icônes du pouvoir politique.
Cet hommage impressionnant d’un artiste, qui vit maintenant en France, témoigne de sa formidable adaptation à une culture que l’on peut dire mondialisée. Le sens de l’histoire et du politique de Yan Pei-Ming pourrait-il l’amener à commémorer le cent-cinquantième anniversaire de la Commune de Paris ? Nous en serions bien évidemment très heureux.
EUGÉNIE DUBREUIL
L’exposition Corps à corps s’est tenue du 12 octobre 2019 au 12 janvier 2020 au Petit Palais. L’Enterrement à Shanghai a été exposé au musée d’Orsay du 1er octobre 2019 au 12 janvier 2020.