"Le petit Robespierre de la Commune"
Dirigeant du Comité central de la Garde nationale pendant les deux mois de l’insurrection, condamné à mort par contumace, Jules Louis Audoynaud était un parfait inconnu avant la Commune et il est redevenu un inconnu après la Commune, son dossier de justice ayant été égaré au Fort de Vincennes (1).
Au moment du premier siège de Paris, Audoynaud avait 32 ans. Sculpteur sur bois et bronzier, reconnaissable par sa chevelure rousse, il faisait partie de la population d’artisans qui peuplait le faubourg Saint-Antoine. Simple soldat du 93e bataillon de la Garde nationale en 1870, il fut élu membre du conseil de famille de sa compagnie et milita dans les comités de défense et de vigilance de la Garde nationale et dans les clubs comme celui de la Rue des Terres-Fortes, où
« son ardeur à s’insurger contre les actes du gouvernement et à pousser à une révolution sociale le mit bientôt en complète évidence ».
Lors de l’assemblée décisive de la salle Vauxhall du 15 février 1871, il représenta le XIIe arrondissement, le quartier de la Gare de Lyon.
Il fut présent le 18 mars au siège de la Garde nationale, rue Basfroi, puis à l’Hôtel de Ville, « où il couchait et prenait ses repas » ; il participa à l’enlèvement des canons de la place Mazas le 21, mit les scellés sur la caisse municipale le 24 et « s’empara d’une somme de 1.284.405 francs et 35 centimes », qu’il dépensa dans ses nouvelles fonctions. On ne connaît pas son attitude quand le Comité central décida d’organiser des élections et d’ajourner la marche sur Versailles. On le retrouve ensuite parmi les plus actifs aux côtés de Moreau et il assista le général La Cecilia lors de combats autour du fort d’Issy. Il était membre de trois commissions : médicale, de propagande et de discipline.
La justice militaire lui reprocha son rôle pendant les trois derniers jours de la Commune, l’accusa d’avoir encore présidé le conseil de la 12e légion le 25 mai, d’avoir participé aux derniers combats de la rue de la Roquette et d’avoir utilisé le feu grégeois contre la gare de Lyon.
Audoynaud aurait quitté Paris, le 29 mai au milieu de la journée, un jour après que la dernière barricade fut tombée. Jusqu’en février 1872 il erra à travers les campagnes françaises, revint à Paris, passa en Belgique, fut signalé à Broadway, aux Etats-Unis, puis se dirigea sur le Grand-Duché de Luxembourg, où il resta cinq ans. Il se fixa en mai 1872 dans les faubourgs de la ville de Luxembourg sous une fausse identité, « Jules Louis », aidé sans doute par d’anciens communards luxembourgeois du faubourg Saint-Antoine. En avril 1874, il demanda l’autorisation de construire un monument funéraire de forme triangulaire pour deux communards décédés pendant leur exil. En septembre 1876, il se maria sous son vrai nom et en présence d’autres communards réfugiés à Luxembourg, ce qui attira l’attention sur lui et conduisit à son expulsion. De nouvelles pérégrinations le menèrent en Belgique, en Angleterre, en Allemagne et en Lorraine occupée. En mars 1878, il fut arrêté lors d’un passage en Lorraine non-occupée, ramené à Paris et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son épouse, enceinte, demanda à être déportée avec lui en Nouvelle-Calédonie, mais le dernier bateau de déportés avait quitté Brest pour Nouméa le 10 juillet 1878. On le retrouva ensuite en Indochine française, sans qu’on sache sous quel statut il y a vécu. Il est mort à Hanoï en 1887.
Audoynaud a-t-il fait des concessions aux juges militaires ? Les pièces du dossier judiciaire ne permettent pas de l’affirmer avec sûreté.
Quand Monsieur le Président reproche à l’accusé d’avoir, dans sa situation de condamné à mort par contumace, épousé une jeune fille ignorante de cette terrible situation et d’avoir ainsi enchaîné le sort d’une innocente au sien, Audoynaud pleure et ne trouve rien à dire.
Le tribunal lui accorda quelques circonstances atténuantes :
Audoynaud, doué d’une intelligence peu commune, a joué un rôle important sous la Commune. Socialiste dangereux, il a voulu le triomphe de ce régime par tous les moyens. Son calme effrayait ses amis, qui l’avaient surnommé « le petit Robespierre ». Depuis il a souffert et ses idées ont peut-être changé. Sa tenue à l’audience a été bonne. Il nous a montré un grand repentir et il a juré sur sa mère, sa plus vraie affection, qu’il reniait son passé.
La discrétion de ses compagnons d’armes à son sujet pourrait s’expliquer par son rôle dans le procès. Ses pérégrinations à travers le monde montrent pourtant sa connexion avec les milieux de l’émigration. Son exil au Luxembourg coïncide avec les commencements du mouvement ouvrier sous l’impulsion de l’Internationale.
HENRI WEHENKEL
Notes
(1) ANF, BB 24/850 et BB 27, Maitron: Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. AHG, 8J/19/ 2522. Le dossier figurait au fichier sous le N° 2508, ce qui a eu pour effet qu’Audoynaud a été ignoré par les historiens.