Malicieux pince-sans-rire

Cachant de l'esprit plein son sac,

Sachant mordre avec un sourire,

Ce fin roitelet, c’est Brissac !

La cage aux Parisiens par le docteur Goupil, membre de la Commune.

Henri Brissac (1826-1906) - Dessin paru dans le "Cri du Peuple" du 18 septembre 1885 (source : Gallica/Bnf)
Henri Brissac (1826-1906) - Dessin paru dans le "Cri du Peuple" du 18 septembre 1885 (source : Gallica/Bnf)

Dans son numéro du 15 janvier 1880, le journal républicain le Rappel avertissait ses lecteurs de l'arrivée d'un convoi de Communards en provenance de la Nouvelle-Calédonie. Parmi les graciés rapatriés, un militant bien connu Henri Brissac.

Lors de sa déportation, l'autorité militaire avait écrit en regard de son nom :

Journaliste enragé, homme très dangereux, bon à fusiller.

Des ovations enthousiastes accueillent les libérés. La foule est considérable sur les quais, des cris jaillissent : « Vive la Commune ! » et cela malgré les désirs du gouvernement qui cherche à minimiser l'événement. Les manifestations politiques sont interdites mais les républicains savent détourner la loi injuste ; des fêtes, des bals, des goguettes, des banquets sont organisés au cours desquels on fait des quêtes fructueuses en faveur des Communards ; des pétitions circulent pour réclamer le retour de ceux qui sont encore sur la terre d'exil.

Henri Brissac est né à Paris le 16 novembre 1826. Il est le fils de Mayer Brissac et de Fanny Levin (1). C'est un homme de petite taille (l,56 m., au front très découvert, aux cheveux longs, à la physionomie très intelligente. En 1858, il se marie avec Léonie Hirschfeld dont il aura un enfant. Il habite pendant le siège en plein cœur du quartier juif de Paris, au n° 52 de la rue du Roi-de-Sicile. En automne 1870, il est rédacteur au Combat où il dénonce la misère du peuple (18-9-70), demande l'égalité devant le service militaire (21-9-70), prêche la rénovation politique et sociale de la France (22-12-70). Il passe ensuite au Vengeur, là il se fait l'ardent propagandiste du socialisme qui « donnera le bien-être à tous » (4-2-71). Il est à cette époque secrétaire particulier de l'homme politique républicain Félix Pyat.

 

Un ardent propagandiste du socialisme

Après le 18 mars 1871, Brissac écrit dans la Commune où il commente le programme de la révolution :

Les insurgés veulent la République, la destruction des privilèges et des monopoles, l'émancipation intellectuelle et économique des prolétaires, l’instruction laïque obligatoire, l’anéantissement de la féodalité industrielle et bancocrate.

Le 15 avril, il est nommé secrétaire de la Commission exécutive de la Commune, puis du Comité de Salut Public qui la remplaça. Il avait abandonné ses fonctions de rédacteur au Vengeur le 11 avril pour se consacrer pleinement à sa nouvelle tâche. Son bureau est à l'Hôtel de Ville ; il est chargé de la rédaction et de la transmission de la plupart des ordres adressés aux différentes autorités de la Commune. Il assure leur publication au Journal Officiel.

Le 26 avril l871, il écrit au secrétaire de la Commune (Charles Amouroux) une lettre démontrant combien le nouveau pouvoir se montre attentif aux vœux exprimés par la population parisienne :

Au citoyen Secrétaire de la Commune,

Citoyen

Nous recevons tous les jours, verbalement et par écrit, un grand nombre de propositions, soit individuelles, soit votées dans des clubs ou des sections de l'Internationale.

Ces propositions sont souvent excellentes et devraient passer sous les yeux de la Commune.

C'est donc au secrétariat de la Commune à en prendre note et à en faire l'objet d'un rapport.

Il serait même urgent qu'une commission fût nommée pour examiner ces propositions, dont la Commune pourrait tirer bon parti, mais qui ne ressortent pas du tout des attributions de la Commission exécutive.

Le Secrétaire général de la Commission exécutive, (signé :) Henri BRISSAC.

 

Le 2 mai, un des se amis, Mathey, se présente à l'Hôtel de Ville, il lui dit :

Tu viens à propos... Rossel a besoin au fort de Vanves d'un homme déterminé pour remplacer Ledrux, qu'il n'aime pas... C'est ton affaire.

Mathey proteste en spécifiant qu'il ne possède pas les connaissances militaires suffisantes, mais Brissac, qui connaît le passé révolutionnaire de son ami, insiste et réussit à le convaincre.

Affiche de la Commune de Paris N° 351 du 17 mai 1871 (27 floréal an 79) - Appel aux Gardes nationaux de Paris (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche de la Commune de Paris N° 351 du 17 mai 1871 (27 floréal an 79) - Appel aux Gardes nationaux de Paris (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Brissac est l'auteur de la proclamation du Comité de Salut public, affiche n° 351 du 27 floréal (17 mai) :

Aux gardes nationaux de Paris

Cet appel à l'esprit civique des fédérés est une sorte de prémonition des massacres de la semaine sanglante :

Si... vous hésitiez ou vous reculiez, ce serait Paris livré aux vengeances féroces des sicaires de Versailles et noyé dans des flots de sang, ce serait la dévastation et le carnage dans toutes les rues, l'égorgement et la déportation des républicains dans toute la France...

Le 21 mai, les Versaillais entrent dans Paris et la sombre prédiction de Brissac, hélas ! se réalise. Après l'évacuation du ministère de la Guerre, le lieutenant d'état-major Monteil remet à Henri Brissac le copie-de-lettres des dépêches militaires et les sceaux du service.

Il signe la circulaire aux municipalités de Paris :

La situation devient grave, les municipalités doivent se tenir en permanence prêtes à toute éventualité. Occupez-vous de rassembler tous les artilleurs de votre arrondissement et de les diriger de suite sur l'école militaire.

Salut et Fraternité.

Le Secrétaire général du Comité de Salut Public,

Henri BRISSAC.

Le 22 mai, il donne l'ordre de faire sonner le tocsin sans interruption dans toutes les églises. Jusqu'au 23, le secrétaire du Comité de Salut Public reste à son poste. Le 24 mai, il tente vainement de rejoindre le 11e arrondissement où siègent les derniers représentants de la Commune. L'étau versaillais se resserre, Brissac comprend alors que tout est fini. Il cherche asile chez un ami, puis se cache jusqu'au 8 juin dans un hôtel de la rue des Messageries ; enfin il se décide à rentrer chez lui où il est arrêté le 20 juin 1871. Envoyé à Versailles, il connaît les cachots de l'Orangerie et la prison des Chantiers. Il se lie avec d'illustres prisonniers : Élisée Reclus, le docteur Goupil, il évoque, pour ses amis, les négociations entreprises du temps de la Commune pour faire admettre par Thiers l'échange de l'archevêque contre Blanqui.

Frégate la "Loire" en rade de Nouméa en 1873
Frégate la "Loire" en rade de Nouméa en 1873

Après sa condamnation, par le 5e conseil, la Cour de cassation ayant rejeté son pourvoi, Henri Brissac va d'abord passer quatre mois au bagne de Toulon. Fin mars 1873 il est transporté par La Loire  à l'île Nou. Pour avoir résisté aux ordres injustes du commandant du bord, Brissac est mis en peloton de correction à son arrivée au bagne. II doit revêtir le costume des condamnés de la 2e catégorie et il est accouplé avec un forçat de droit commun qui le bat férocement. Deux fois par semaine, il est obligé d'assister le bourreau du bagne. Après deux années de traitement inhumain, on lui retire la chaîne d'accouplement pour le conduire, épuisé, à l'infirmerie. Usé avant l'âge, il a 51 ans, l'administration pénitentiaire le classe dans la catégorie des impotents à partir du 24 décembre 1877.

Pendant ces dures années d'exil, la femme de Brissac avait dû quitter la France où les épouses de communards étaient souvent chassées de leur emploi. Elle est institutrice en Pologne. Le médecin du consulat de France à Varsovie s'intéresse à son sort et il intervient pour demander la grâce du bagnard malade. Dans une lettre au président de la République de 1877, Henri Brissac ne renie en rien ses convictions. Il répond :

l'assemblée monarchique responsable de la guerre civile.

Il justifie son ralliement à la Commune « pour défendre la République contre Versailles »

Henri Brissac - Souvenirs de prison et du bagne (1880)
Henri Brissac - Souvenirs de prison et du bagne (1880)

À son retour de la Nouvelle Calédonie, Brissac adhère au parti ouvrier de Jules Guesde. Il va diriger une librairie sans négliger son action militante et littéraire. Il écrit ses Souvenirs de prison et du bagne (1880) et des poèmes Quand j'étais au bagne (1887). Il avait écrit ses poèmes au bagne, avec un crayon de charpentier emprunté à un de ses camarades, entre les lignes des lettres de famille qu'il savait d'Europe.

Son poème En remplissant des sacs est resté très sombre mais quand il dépeint les maux qui accablent l'humanité, il sait trouver des accents nouveaux qui empoignent :

Odeur de chair, inquisiteurs, bourreaux,

Cadavres aux gibets, têtes aux tombereaux ;

Le confessionnal, le cachot, la torture

Malandrins et routiers fondant sur leurs captures ;

Chaînes et chapelets, écorcheurs et truands,

Tigres, pourceaux, renards, loups, corbeaux, chats-huants...

Brissac (Henri), publiciste, transporté de 1871 par Clarus — Le Cri du peuple, 18 septembre 1885 (source : Gallica/Bnf)
Brissac (Henri), publiciste, transporté de 1871 par Clarus — Le Cri du peuple, 18 septembre 1885 (source : Gallica/Bnf)

Si son œuvre poétique est importante, elle ne doit pas faire oublier ses écrits politiques, ses brochures de propagande en faveur du collectivisme - Résumé populaire du socialisme (1883), la Société collectiviste, préface de Jean Jaurès (1895), etc. Ce collaborateur de la revue socialiste est aussi un ardent combattant de la paix, il est d'ailleurs le fondateur de la Ligue des Travailleurs pour la Paix internationale. Vive la République européenne (1884), le Chant des peuples (1885), illustrent sa haine de la guerre.

Déjà en 1847 i1 s'était révélé un féministe convaincu en publiant, à la librairie phalanstérienne, un ouvrage intitulé les Femmes Il protestera toujours contre le « sort que les mœurs et les lois des mâles font à la femme ».

Henri Brissac meurt à Paris en 1906 à l'âge de 80 ans.

 

Marcel Cerf

Article paru dans PNH n°206 12 mars 1971 pour le centenaire de la Commune

 

Note

(1) Ou Lyon (les sources son contradictoires)

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