Rossel était un officier, polytechnicien, dont les origines bourgeoises étaient loin de laisser prévoir un ralliement à la Commune de Paris. Pourtant, lorsqu'il apprit que l'insurrection du 18 mars était victorieuse, il rejoignit aussitôt la capitale, après avoir adressé au ministre de la guerre, Le Flô, une lettre de démission dans laquelle il stigmatisait les généraux capitulards qui avaient conclu l'armistice de janvier :

« J'ai l'honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées (...), je me range sans hésitation du côté de celui qui n'a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs des généraux coupables de capitulation".

Rossel, bois de Félix Vallotton. (source : La Revue blanche, t12, 15 mars 1897)

Sa motivation était claire : après la trahison de l'Empire et celle de la République du 4 septembre, il n'avait pas d'autre solution que de se ranger du côté de ceux qui poursuivaient le combat.

Il fut tour à tour chef de la 17e légion, chef d'état-major général et président de la cour martiale, puis, le 1er mai, investi du commande- ment suprême. Au terme de dix jours d'une expérience qui fut un échec total, Rossel donna sa démission. Rejeté par la Commune, qui vit en lui un dictateur, il tombera finalement aux mains des Versaillais, dont les généraux-juges, qui le haïssaient, feront en sorte qu'il soit condamné à mort et fusillé.

Louis-Nathaniel Rossel, est né le 9 septembre 1844, à Saint-Brieuc où son père, officier d'infanterie, se trouvait alors en garnison. D'origine nîmoise, sa famille protestante descendait en droite ligne des Camisards. Rallié aux idées nouvelles, son père avait montré son républicanisme lors du coup d'État de 1851, en votant à registre ouvert contre le parjure. Sa mère, d'origine écossaise était issue d'une longue lignée de militaires.

Après de brillantes études au collège de La Flèche, Rossel comme capitaine du génie, il entra à dix-sept ans à l'Ecole avait à peine 26 ans. Il parvint à Polytechnique puis à vingt ans il se faire envoyer à Metz dans les passa à l'Ecole d'application de premiers jours d'Août, ville où Metz. Travailleur acharné, il utilisait ses heures de loisir dans les ateliers de la compagnie de l'Est où il rédigea sur les Ponts un travail apprécié. Passionné d'histoire, il était attaché aux valeurs républicaines et à la patrie. Sans être socialiste, il se montrait démocrate lorsqu'il reprochait notamment aux historiens de dissimuler

« le rôle du peuple dans la société qui a toujours été fort important (...) et dont la volonté l'a si souvent emporté sur celle du roi et des grands ».

Un patriote dans la guerre

Quand la guerre de 1870 éclata, Rossel se trouvait à Bourges comme capitaine du génie. Il avait à peine 26 ans. Il parvint à se faire envoyer à Metz dans les premiers jours d’août, ville où Bazaine restait dans une inaction savamment calculée. Dans une lettre adressée un peu plus tard à son père, il exprimera ses sentiments :

« À Metz, je n'ai pas tardé à reconnaître l'incapacité absolue de nos chefs, généraux et états-majors, incapacité sans remède, confessée par toute l'armée, et, comme j'ai l'habitude de pousser les déductions jusqu'au bout, je rêvais, avant même la bataille du 14 août, aux moyens d'expulser toute cette clique. »

Il adressa un mémoire au maréchal Bazaine dans lequel il tenta de le convaincre qu'une victoire était possible, pourvu qu'on changeât les généraux en place et qu'on fasse preuve « d'énergie, d'une volonté inébranlable et de quelque prudence ».

Le six septembre, il apprit le désastre de Sedan et la proclamation de la République. Il réagit fermement lorsqu'il fut convaincu que « Bazaine, dont les relations avec le quartier général prussien devenaient presque intimes et pleines de confiance, commença à ourdir ses intrigues bonapartistes ». Il était difficile, à ses yeux, d'admettre la capitulation d'une ville forte de 200 000 hommes. Avec les généraux Clinchant, puis Changarnier, Rossel se mêla aux tentatives de résistance qui n'aboutirent pas.

Déterminé à se sauver, il se procura des vêtements de paysan et tenta de s'évader. Sa première tentative échoua. Sommé, pour cette incartade de comparaître devant Bazaine, il réussit, grâce à sa faconde, à échapper à la prison. Persuadé que la capitulation était signée, Rossel tenta, le dimanche 30 octobre, une seconde évasion qui réussit.

Deux jours plus tard, il arrivait au Luxembourg, puis gagnait Bruxelles. De là, il se rendit en Angleterre pour saluer sa mère et sa sœur qui résidaient à Folkestone. Il se rembarqua ensuite pour se rendre à Tours - où se trouvait le gouvernement déterminé à y rencontrer Gambetta, qui incarnait à ses yeux la volonté de résistance.

Il est incontestable que Rossel, certes ambitieux, se montra, à ce moment, un patriote profondément attaché à son pays. Jeune, il réclamait de l'action. Or, son entretien avec Gambetta devait le décevoir. Après l'avoir écouté sur les événements tragiques de Metz, l'homme de « la résistance à outrance » l'envoya chez Freycinet, ministre de la guerre, lequel lui confia une mission d'études militaires dans la région du Nord. Rossel, malgré sa déconvenue, s'acquitta fort bien de sa tâche. Il adressa huit lettres à Freyssinet que celui-ci ne lira jamais :

« Les préfets (sont) assez variés et les généraux assez uniformes. Les préfets tous avocats, les généraux tous empaillés... »

écrit-il avec humour. Il constatera l'abandon où se trouvaient les soldats de Bourbaki qui « vivent dans la terreur des Allemands » mais dont le nombre était démesurément grossi par les Renseignements.

Georges Cavalier dit Pipe en bois (1842-1878) (source : Le Maitron)
Georges Cavalier dit Pipe en bois (1842-1878) (source : Le Maitron)

Le 6 décembre, il rencontra son camarade de polytechnique, Cavalier (plus connu sous le nom de Pipe-en-Bois), qui était alors secrétaire de Gambetta. Celui-ci lui obtint, non sans peine, un rendez-vous qui fut fixé à minuit. Gambetta, après une longue conversation, fixa à Rossel un nouveau rendez-vous pour le lendemain. Mais le lendemain, le ministre ne le reçut pas.

Voici d'ailleurs ce qu'il pensait de Gambetta:

« Comment dire du mal d'un tribun énergique qui a le premier proclamé la déchéance de l'Empire (...) ? Comment dire du bien, d'autre part, du ministre indécis et ignorant (...) dont l'activité stérile et inintelligente ne savait ni empêcher les désastres ni remédier à leurs effets ? »

Par dépit, Rossel accepta les fonctions de chef du génie du camp de Nevers que lui proposait le général Vergne. Dans une note datée du camp de Nevers, il s'exprimait encore avec détermination :

« La défense à outrance, la continuation de la lutte jusqu'à la victoire n'est pas une utopie. La France possède encore un immense matériel de guerre, un grand nombre de soldats (...). En thèse générale, la défense à outrance ne peut pas être nuisible à un peuple (...). Au contraire, la résistance a souvent des chances heureuses ».

Il adressa encore deux lettres à Gambetta pour se mettre à son service, mais ces lettres restèrent sans réponse.

Rossel était convaincu que Thiers, qu'il n'aimait pas, préparait la capitulation de Paris dans le but de créer une

« crise de désorganisation sociale dont les réactionnaires et les capons profiteront pour tenter de couler l’affaire de la Défense nationale »

Il ne se trompait pas, car on sait que l'Assemblée nationale conservatrice, avec l'accord de Thiers, avait consenti à l'entrée des Prussiens dans la capitale, alors qu'elle se retirait à Versailles, sachant parfaitement que les Parisiens, qui avaient tant souffert du siège, ne l'admettraient pas.

Aussi, lorsqu'il apprit que la révolution du 18 mars était victorieuse à Paris, Rossel adressa aussitôt sa démission au ministre de la guerre à Versailles :

« Mon Général,

J'ai l'honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une dépêche de Versailles, rendue publique aujourd'hui qu'il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n'a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs des généraux coupables de capitulation. (...). »

LES COMMUNEUX - Paris la Commune - Caricature contre le délégué à la guerre Cluseret, jugé comme incapable. Par Henri Nérac, 1871     Louis Rossel - Lithographie, Estampe en couleurs de E.C. (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

LES COMMUNEUX - Paris la Commune - Caricature contre le délégué à la guerre Cluseret, jugé comme incapable. Par Henri Nérac, 1871 / Louis Rossel - Lithographie, Estampe en couleurs de E.C. (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

Au service de la Commune

Après avoir voyagé toute la nuit, Rossel arriva le 20 mars à Paris. La veille, le gouvernement évacuait la capitale et 40 000 hommes de troupe la quittaient également en bon ordre.

« Quand même je n'aurais eu aucun penchant pour la révolution, ce dernier détail m'aurait jeté dans l'insurrection. »

écrira-t-il plus tard à son père.

Le 22 mars, présenté par des amis au comité du 17e arrondissement, il fut, le même jour, nommé par le Comité central de l'Hôtel-de-Ville chef de la 17e légion forte de sept bataillons. Grâce à son action, elle comptera, dix jours plus tard, dix-sept bataillons fédérés.

Rossel constatait avec inquiétude les conflits qui s'élevaient entre les différents groupes représentatifs entre les maires et adjoints, et les délégués de bataillon formant le Conseil de légion ou Comité d'arrondissement :

« Ceux-ci confisquèrent, au nom de la Fédération (de la garde nationale), les pouvoirs municipaux, dont ils usèrent sans intelligence et parfois sans honnêteté. »

Cette lutte ne fut pas réglée malgré les élections du 26 mars.

Sur le plan militaire, la première tentative de combat engagée par Rossel pour reprendre Courbevoie et le pont de Neuilly se solda par un échec le plus complet :

« Je partis avec sept bataillons, se montant ensemble à 2 000 hommes environ (...), il y avait au moins deux bataillons complètement ivres ; d'autres se plaignaient de ne pas avoir mangé. La tête de colonne, que je conduisais, me suivit en bon ordre, mais les autres bataillons, dont les officiers étaient sans autorité, ne tardèrent pas à s'assoir sur les bords du chemin, à se quereller, à se plaindre (...) enfin, voyant l'impossibilité de conduire ces gens à l'ennemi, nous résolûmes de les faire rentrer en ville. »

De retour à la Mairie, Rossel décida de faire un tri parmi les officiers, pour exclure les « incapables ». Mais devant tant d'audace, le Comité d'arrondissement le fit arrêter et jeter en prison. Il en sortit aussitôt libéré sur l'intervention de ses officiers et de Delescluze.

Le lendemain 3 avril, Cluseret, à qui venait d'être confié le commandement du ministère de la guerre, apprécia le comportement de Rossel. Il lui adressa une lettre le priant d'être son chef d'État-major. La nomination de Cluseret faisait suite à la désastreuse marche sur Versailles du 1er avril par les généraux Eudes, Bergeret et Duval, au cours de laquelle le malheureux Flourens fut exécuté par les Versaillais et où de nombreux soldats furent faits prisonniers.

À ce poste, Rossel tenta de réorganiser les forces armées vis- à-vis desquelles il n'était pas tendre :

« La majeure partie de mon temps était certainement prise par les importuns et les inutiles (...), surtout les officiers et les gardes qui quittaient leur poste pour venir faire des plaintes de leurs chefs ou de leurs armes ou du défaut de vivres ou de munitions. Il y avait aussi un peu partout des chefs particuliers qui n'acceptaient pas ou n'exécutaient pas les ordres (...); tous ces produits spontanés de la Révolution n'avaient d'autre titre et d'autre règle que leur bon plaisir (...). On voyait des médecins se promener avec les galons et l'escorte de général, des concierges de caserne équipés en officiers supérieurs, tout cela avait des chevaux, des rations et la solde. (...) Un officier n'était pas plus tôt élu que les protestations contre son élection, les dénonciations contre ses opinions et son caractère, pleuvaient dans les bureaux du ministère, des Comités de la Fédération, de la Commune et de toutes les autorités qu'on imaginait. »

Ces critiques aussi durement exprimées avaient un fond de vérité; il est certain que le militaire Rossel avait la volonté de lutter contre l'indiscipline, l'ivrognerie et l'insoumission qui régnaient et qui ne pouvaient, à ses yeux, que mener la Révolution à sa perte. Il n'avait pas compris que Paris n'était pas une caserne et que la majorité des combattants n'étaient que d'humbles citoyens qui rentraient chaque soir chez eux.

Affiche de la Commune N°231 du 30 avril 1871 - Rossel accepte sa nomination de Délégué à la guerre (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche de la Commune N°231 du 30 avril 1871 - Rossel accepte sa nomination de Délégué à la guerre (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

En plus, son autorité s'était renforcée, puisqu'il venait d'être porté à la présidence de la cour martiale. Cette juridiction avait été instituée par la Commune sur les instances de Cluseret afin de mettre un terme aux actes d'indiscipline et de rébellion impunément commis chaque jour. Il faut remarquer toutefois, au sujet de cette cour, que son action fut limitée, puisque des jugements ne pouvaient être exécutés qu'après approbation de la Commission exécutive (qui était le pouvoir exécutif de la Commune) et qu'elle ne pouvait juger aucune cause politique, ni de droit commun.

Comme on pouvait s'y attendre, la première condamnation capitale (ce fut la seule) à l'encontre du commandant Girot, pour refus d'obéissance, fut commuée en détention pour la durée de la guerre. Les quatre ou cinq affaires qui suivirent firent également l'objet d'un désaveu de la Commission.

En fait, l'action de la Cour martiale inquiétait la Commune, car elle condamnait les coupables sans se soucier de leurs antécédents. Or, la plupart des condamnés étaient soit leurs propres électeurs, soit leurs amis, ou à défaut des vétérans de l'insurrection ! On peut juger de l'incompatibilité d'esprit qui régnait entre militaires et révolutionnaires.

Le 26 avril, après avoir pris connaissance par l'Officiel de l'arrêt cassant le dernier jugement, Rossel, énervé et profondément vexé, adressa à Cluseret sa double démission de président de la cour martiale et de chef d'État-major.

On voit que la complexité des rouages du gouvernement était extrême, et que la rupture entre l'autorité militaire et l'autorité civile était totale: il y avait même au sein de la Commune une commission spéciale de la guerre chargée de contrôler Cluseret, commission dirigée par Pyat et Delescluze.

C’est Gérardin qui eut l'idée de mettre le pouvoir aux mains d'un Comité de salut public, pour regrouper les autorités. Ce Comité exécutif serait composé de membres jeunes et Rossel et Dombrowski prendraient la direction des opérations militaires.

Le 29 avril au soir, Rossel fut convoqué par la Commission exécutive pour exposer ses idées sur une situation de plus en plus compromise. Il dit que les questions urgentes étaient la réforme de la solde, la discipline et l'organisation des forces actives. Le lendemain, sa nomination aux fonctions provisoires de délégué à la guerre lui fut notifiée. Pendant ce temps, Cluseret, était arrêté à la Commune.

Arrestation de Cluseret dans une salle de l'Hôtel de Ville. (source : Le Monde Illustré du 13 mai 1871)

Arrestation de Cluseret dans une salle de l'Hôtel de Ville. (source : Le Monde Illustré du 13 mai 1871)

Le Commandement suprême

À la sommation d'avoir à se rendre, Rossel répond à son
À la sommation d'avoir à se rendre, Rossel répond à son "camarade" d'une manière péremptoire. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Cette intéressante affiche montre les efforts de Rossel pour tenter de « militariser » les Gardes nationaux. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Cette intéressante affiche montre les efforts de Rossel pour tenter de « militariser » les Gardes nationaux. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

L'ascension de Rossel avait été foudroyante, d'autant que le jeune militaire sans expérience allait remplacer un militaire de métier qui avait combattu pendant la guerre de Crimée et contre les Sudistes lors de la Guerre de sécession.

Les choses allèrent vite. Le 1er mai, le Comité de Salut public était créé.

Seulement, d'après Rossel, qui n'était jamais satisfait :

« Dans ce Comité, au lieu d'hommes résolus et intelligents, Gérardin était associé au lamentable Félix Pyat, à Léo Meillet et à deux utilités dont je ne me rappelle pas les noms. Ce fiasco me privait du concours de la Commission exécutive et élevait au pinacle Félix Pyat, dont l'activité brouillonne devait faire avorter toute entreprise. »

Le Comité de salut public prend de timides mesures à l'encontre des Gardes nationaux. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Le Comité de salut public prend de timides mesures à l'encontre des Gardes nationaux. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Le nouveau délégué à la guerre s'attaqua aux abus dont la solde était le prétexte. Avec Jourde, délégué aux finances, ils étudièrent ensemble un projet visant à aligner les prestations allouées à la garde nationale aux tarifs en vigueur pour l'armée, avec toutefois une légère augmentation de l'allocation accordée aux femmes et aux enfants. Sur le plan tactique et administratif, il traça un plan pour servir de base à l'organisation d'une armée active. Il répartit entre les membres de la Commission de guerre les principaux services du ministère, fit créer une commission d'examen pour éliminer les « inutiles et ignares porteurs de galons qui encombraient la ville ». Bref, il tenta de faire réaliser les idées qu'il avait soumises à la Commission exécutive, le 29 avril, montrant par là un certain talent d'organisateur.

Mais l'autorité civile, et en particulier Félix Pyat, empiétait sur les ordres que donnait Rossel :

« Les ordres directs donnés par le Comité de salut public paralysaient et contrecarraient l'action du délégué à la guerre, qui n'avait plus de raison d'être si tout le monde, excepté lui, dirigeait les opérations. »

C'est ce qu'il expliqua à la Commune le 4 mai. Félix Pyat démissionna du Comité de salut public.

Le 4 mai, la scission entre les militaires et les civils est clairement établie. À noter que l’affiche est datée suivant le calendrier révolutionnaire. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Le 4 mai, la scission entre les militaires et les civils est clairement établie. À noter que l’affiche est datée suivant le calendrier révolutionnaire. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Ses réformes étant ajournées et ainsi compromises, Rossel se tourna vers le Comité central :

« Le 5 et le 6, je vis quelques-uns de ses membres : ils étaient portés de bonne volonté (...) mais le temps de l'action était pris par les séances toujours confuses de cette assemblée. »

Déjà le 5 mai, visiblement agacé, il avait adressé au colonel Gois, rapporteur près de la cour martiale, la lettre suivante :

« Citoyen,

J'ai besoin d'organiser la répression les prisons s'encombrent et ne se vident pas ; voulez- vous être à la tête de la prévôté, - afin de pouvoir juger vos détenus et de m'en débarrasser ?

Salut et fraternité. »

Pendant que se déroulaient toutes ces discussions, Eudes avait abandonné le fort d'Issy qui était le point le plus menacé de l'enceinte qui protégeait Paris :

« Une seule voie restait à tenter pour améliorer les affaires militaires, décidément compromises, et cette voie était de prendre brusquement l’offensive »

Rossel donna l'ordre à La Cécilia de réunir ses troupes dans la nuit, malheureusement, pendant qu'un bataillon prenait les armes, l'autre se dissipait :

« Ce fut là que je fis faire une exécution de plusieurs gardes nationaux qui avaient abandonné leur poste, exécution inoffensive, mais qui leur fit une vive impression. Je leur fis couper la manche droite, en commençant par les officiers. Tous ces gens sanglotaient. »

Le 9 mai, Rossel adopte des solutions extrêmes pour tenter d'affirmer son pouvoir, qui le rendront suspect de tyrannie aux yeux des révolutionnaires. (source Gavroche N°66)
Le 9 mai, Rossel adopte des solutions extrêmes pour tenter d'affirmer son pouvoir, qui le rendront suspect de tyrannie aux yeux des révolutionnaires. (source Gavroche N°66)
Rossel est désormais rejeté, aussi bien par la Commune que par les Versaillais. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)
Rossel est désormais rejeté, aussi bien par la Commune que par les Versaillais. (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Les chefs de légion étaient très mécontents de la formation de régiments décidée par Rossel, car elle leur enlevait toute autorité. Aussi, le 8 mai, ils se réunirent pour protester, et promirent à Rossel de regrouper pour le lendemain vingt-cinq bataillons de 500 hommes prêts à marcher et à combattre. Mais le soir, plusieurs chefs de légion vinrent dire qu'ils ne pourraient pas mettre en mouvement les troupes qu’ils avaient promises.

C'est alors que le 9 mai, Rossel remit sa démission, en ayant soin Le procès d'en adresser des copies aux journaux. La Commune tenta de le faire revenir sur sa décision, mais sur son refus obstiné, elle ordonna à la Commission de la guerre de prendre la direction de la délégation de la guerre et de l'arrêter. Son court passage de 10 jours à la délégation à la guerre fut donc un échec total.

Refusant de passer devant une cour martiale, Rossel se cacha. Le nouveau Comité de salut public l'accusa de trahison, Félix Pyat et Vallès s'attaquèrent à lui dans les colonnes de leurs journaux où ils l'accusèrent d'avoir « aspiré à la tyrannie », enfin un journal de Versailles, pour le discréditer, lui reprocha d'avoir reçu cinq cent mille francs pour prix de sa trahison.

Pendant que Paris se faisait massacrer, Rossel resta caché dans une maison, au 54 du boulevard Saint-Germain, dans la chambre numéro 8, jusqu'au jour de son arrestation par les Versaillais, le 7 juin.

Tout le temps de sa détention, le jeune colonel de 27 ans s'efforça de cultiver son esprit. Outre ses notes qui seront insérées dans ses Papiers posthumes, édités par Lachaud à la fin de 1871, Rossel écrira La défense de Metz et la lutte à outrance (Le Chevalier 1871), et un Abrégé de l'Art de la guerre suivi de l'organisation militaire de la France (Lachaud septembre 1871).

Interrogatoire de Louis Rossel après son arrestation (détail) - Juin 1871 (© Château de Versailles)

Interrogatoire de Louis Rossel après son arrestation (détail) - Juin 1871 (© Château de Versailles)

Le procès

Le 8 septembre 1871, le 3e conseil de guerre, sous la présidence du colonel Merlin ouvrit le procès de Rossel. Au ministère public siégeait le « sinistre » commandant Gaveau qui avait « cassé du communard » pendant les grands massacres de Paris. Alexandre Dumas, « l'insulteur de la Commune » figurait parmi les journalistes présents. Ses parents et sa sœur se tenaient dans la tribune.

D'emblée Rossel fut accusé de

« Désertion à l'ennemi ; attentat dans le but de changer la forme du gouvernement ; excitation à la guerre civile ».

On lui reprocha également d'avoir

« pris le commandement de bandes armées et de les avoir dirigées contre la force publique... d'avoir ainsi porté les armes contre la France ».

Portrait de Rossel Louis, (dit Randal), (1844-1871), (officier, membre de la Commune, fusillé)  Photographie Appert (© Musée Carnavalet - Histoire de Paris)
Portrait de Rossel Louis, (dit Randal), (1844-1871), (officier, membre de la Commune, fusillé) Photographie Appert (© Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

Les nombreux témoins de la défense, pour la plupart des militaires il n'y avait pas de témoins à charge - lui décernèrent un véritable certificat de bonne conduite. Cela n'empêcha pas les juges de condamner Rossel à mort et à la dégradation militaire.

Rossel ayant signé son pourvoi, une bataille de procédure aboutit, le 22 septembre 1871 à l'annulation du jugement par le Conseil permanent de Paris. En effet, le Conseil avait considéré que les « rebelles armés » ne pouvaient être assimilés à des « ennemis », que par conséquent il n'y avait pas trahison, et donc, que l'article 238 sur lequel les juges s'étaient basés pour condamner l'accusé n'était pas applicable.

Un nouveau procès s'engagea alors devant le 4e Conseil de guerre, dès le 7 octobre, sous la présidence du colonel Boisdenemetz. Les magistrats, aussi décidés que les précédents à en finir, ne firent pas traîner les débats. La délibération dura une heure. Par 6 voix contre une, le tribunal déclara que les « rebelles armés » étaient bien des « ennemis » et que l'article 238 était parfaitement applicable à l'accusé. Ce jugement confirmant le précédent, Rossel était condamné à être fusillé.

Le 26 octobre, cédant aux instances de ses parents, Rossel rédigea son recours en grâce :

« Frappé par l'injustice d'une peine capitale, je fais appel à votre clémence, je vous demande grâce de la vie. J'attendrai votre décision avec une soumission respectueuse et je la recevrai avec une vive reconnaissance si elle est favorable. »

Parallèlement, une campagne on se développait en sa faveur : vingt-cinq anciens camarades de promotion à Polytechnique adressèrent une pétition à Thiers. Des professeurs, des cadres de l'administration des Ponts-et-Chaussées, les « Dames des ambulances de Metz ».... Lettres et pétitions demandaient la clémence.

Le 7 novembre, Rossel adresse un nouveau recours :

« (...) je désire qu'au moment où vous aurez à juger cette question de ma vie ou de ma mort (...) que vous n'ignoriez pas qu'une grâce qui me réserverait à la dégradation des armes ne serait pas pour moi une grâce. »

Des voix de plus en plus nombreuses, dépassant le cadre de ses relations, s'élevaient en faveur du condamné. Elles reprochaient au pouvoir, et en particulier à Thiers, de vouloir se venger. Victor Hugo lui-même intervint, proclamant « la civilisation en danger ». Le journal Le Rappel ironisait :

« Il faudra bien que la Commission des grâces finisse par gracier quelqu'un ».

Les communautés protestantes de nombreuses villes demandèrent la clémence. Neufs membres du Conseil général de la Seine écrivirent au préfet. Une quarantaine d'étudiants remirent à Thiers une pétition. Même le Figaro fit campagne en faveur de Rossel. Seuls, parmi les politiques, les radicaux demandèrent la grâce. Quant à Gambetta, il resta indifférent.

Thiers fit savoir au condamné qu'il interviendrait auprès de la puissante Commission des grâces. En fait, il savait pertinemment que le Garde des Sceaux avait remis le dossier à la Commission avec la note suivante émanant du ministre de la Guerre :

« Cette sentence de rigueur est impérieusement réclamée par les nécessités de la discipline militaire. »

Ce qui exprimait clairement la volonté des généraux de l'État-major.

Le 25 novembre, la grâce était rejetée.

Trois jours plus tard, le 28 novembre, sur le plateau de Satory, Rossel, en civil (pour échapper à la dégradation militaire), fut fusillé en compagnie de Ferré et de Bourgeois.

Photomontage - Lecture de la sentence aux condamnés, le 28 novembre 1871 : à gauche, Rossel ; au centre Ferré; à droite Bourgeois. Au fond le détachement de cavaliers qui garde les accès du plateau de Satory.

Photomontage - Lecture de la sentence aux condamnés, le 28 novembre 1871 : à gauche, Rossel ; au centre Ferré; à droite Bourgeois. Au fond le détachement de cavaliers qui garde les accès du plateau de Satory.

Les troupes avaient été placées en carré pour garder les accès du plateau, puis, après l'exécution, elles défilèrent musique en tête et drapeaux déployés. Ce qui fit dire à Lissagaray :

« La troupe défila en triomphe devant les cadavres. Quel cri d'horreur la bourgeoisie eût poussé si, devant les otages exécutés, les Fédérés eussent paradé musique en tête ! »

Rossel figure désormais parmi les héros de la Commune. Ici, un ouvrage de Charles Prolès édité par Chamuel, en 1898.
Rossel figure désormais parmi les héros de la Commune. Ici, un ouvrage de Charles Prolès édité par Chamuel, en 1898.

Alors, Rossel Révolutionnaire ou Dictateur ? Il ne fut en fait ni l'un, ni l'autre. Jeune militaire ambitieux, pétri de théorie, il s'indigna de voir les maréchaux et les généraux, souvent monarchistes, refuser le combat, dès la chute de Sedan et la proclamation de la République. Il vit avec raison dans le soulèvement du 18 mars la continuité de la lutte contre l'occupant et l'affirmation de la République qui unissaient classe ouvrière et petite bourgeoisie. Seulement, il ne vit pas qu'un conflit, auquel il était étranger, allait surgir : Paris sans gouvernement ni municipalité ne pouvait qu'appeler la Commune. Thiers - qui voyait là un moyen de « mater » la capitale - avait rompu toute relation avec Paris, interdit les journaux républicains et socialistes et fait arrêter Blanqui. C'est ainsi que l'insurrection changea d' « ennemis » et devint une « guerre civile ». La « Commune » prit alors un caractère social auquel elle s'identifia par la suite.

Mais Rossel n'avait rien à voir avec tout cela, car ses « théories » militaires étaient incompatibles avec l'esprit révolutionnaire.

Quant à sa condamnation à la peine capitale, elle rejoint, dans une implacable injustice, les 3 988 autres condamnés qui s'ajoutent au plus de 30 000 innocentes victimes de la répression dont Thiers porte l'entière responsabilité.

Raymond Carré Article  paru dans Gavroche, revue d'histoire populaire N° 66 de novembre-décembre 1992 

 

Bibliographie: :

Rossel, Papiers posthumes recueillis et annotés par Jules Amigues. E.Lachaud, Paris 1871.

La Commune et la question militaire (Cluseret-Rossel), textes choisis et présentés par Patrick Kessel. Coll. 10.18, 1971.

Alexandre Zévaès, Histoire de la Troisième République. Ed. de la Nouvelle Revue Critique, Paris 1938.

Jules Claretie, Histoire de la Révolution de 1870-71. Ed. du journal L'Eclipse, Paris 1872.

Paul Lanjalley et Paul Corriez, Histoire de la Révolution du 18 mars. Librairie int. Paris 1871.

Les murailles politiques, T.2, La Commune, 18 mars-27 mai 1871. Le Chevalier, Paris 1874.

Georges Soria, La grande histoire de la Commune, Livre club Diderot 1971.

Réimpression du Journal officiel de la Commune du 19 mars au 24 mai 1871. Victor Bunel, Paris 1872.

Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars. Librairie législative, Paris 1872.

Rossel, Sa vie et sa mort par Isa Porié, Paris 1871.

Dernières publications sur le site