Né en 1830 à Sainte-Foy (Gironde), Élisée était destiné à être pasteur comme son père. Mais il perdit tôt la foi et quitta la Faculté de théologie de Montpellier pour l’Université de Berlin où il suivit les cours du grand géographe Karl Ritter.
Conquis à l’idée républicaine, il quitte la France après le coup d’État du 2 décembre 1851. Aux États-Unis, il tentera de fonder, sans succès, un phalanstère agricole.
Dès les années 1860, il commence à publier des travaux qui font tôt référence en géographie dans le monde.
Il participe aussi à la fondation de plusieurs coopératives à son retour en France. Il adhère en 1865 à l’Alliance internationale de la démocratie socialiste de Bakounine.
Il participe activement à la Commune. Après sa condamnation à dix ans de bannissement, il s’installe en Suisse où il développe sa grande oeuvre géographique tout en continuant ses activités militantes avec Kropotkine.
Il soutiendra jusqu’à sa mort les idées anarchistes. La France ne lui proposant aucun poste favorable pour son travail, après un court retour, il s’installe en Belgique en 1890 et y mourra en 1905, près de Gand. Il y professera à l’Université nouvelle et à l’Institut des hautes études.
Un rapport de police de 1874 évoque ainsi Élisée Reclus :
M. Reclus est un homme fort instruit, laborieux et d’habitudes régulières, mais très rêveur, bizarre (sic !), obstiné dans ses idées et croyant à la réalisation de la fraternité universelle.
Le Communard.
Pendant le siège, Élisée Reclus participe activement à la défense de Paris au sein du 119e bataillon de la Garde nationale. Avec son ami Nadar, il est aussi inscrit dans la compagnie des aérostiers. La Commune l’enthousiasme et il continue le combat comme simple garde fédéré, alors que son frère Élie, ethnologue, est nommé directeur de la Bibliothèque nationale par la Commune. Le 4 avril 1871, il participe à la sortie catastrophique sur le plateau de Châtillon où il est fait prisonnier par les Versaillais. Il a décrit dans ses souvenirs la haine et la violence des Versaillais à l’égard des prisonniers emprisonnés à Satory. Envoyé ensuite à Brest dans des conditions dramatiques, il est enfermé un temps sur un ponton, puis dans les forts où il donne des cours à ses camarades emprisonnés. « Les excréments des malades se mêlaient à la boue de nos biscuits ; la folie s’empara de plusieurs d’entre nous : on se battait pour avoir un peu d’air, un peu de place ; plusieurs d’entre nous, hallucinés, furieux, étaient autant de bêtes fauves. »
Après avoir été condamné à la déportation, l’intervention de ses collègues géographes britanniques aboutit à la commutation de sa peine au bannissement. Élisée Reclus refusera de déposer toute demande de grâce jusqu’à l’amnistie.
Il restera toujours profondément fidèle à la Commune, conscient de la modernité profonde que recélait cette révolution populaire. Quelques semaines avant sa mort, il pouvait encore dire :
Des jours de deuil profond sont en même temps des jours de haut espoir. Parmi vous, enfants de Paris, la ville des Révolutions, il est certainement des vieillards qui vous rappelez la fin lugubre de la Commune, cette dernière et plus terrible semaine de la dernière année. Il y a bien longtemps de cela, plus d’un tiers de siècle, mais vous entendez encore le bruit sec des mitrailleuses, dont chacune brisait des têtes, déchiraient des poitrines ; trente mille têtes, trente mille poitrines ; vous voyez encore de longs filets de sang, le plus généreux sang de France, rougissant l’eau trouble de la Seine. Ne semblait-il pas alors aux plus confiants que l’ère des révolutions de Paris était close et close à jamais. Ne devait-on pas traiter de chimériques et de fous ceux qui s’imaginaient encore que la pensée et la volonté, la ferveur du bien public, le noble élan pour la justice pourraient renaître de cette société décapitée ? Et pourtant ces esprits entêtés de chimères étaient bien ceux qui vivaient en plein dans la vérité. Oui, les jours de carnage furent aussi les jours de renouveau. N’est-ce pas à partir de la Commune que toutes les réactions, liguées et pourtant impuissantes, ont reconnu la nécessité de concéder à la Société l’emploi d’un mot, qui en soi ne signifie absolument rien « République » mais n’en renferme pas moins un symbole essentiel de ce que deviendra la société future.
Le marché contre la Terre.
La géographie d’Elisée Reclus est engagée. Il met en avant le caactère nocif des effets de la première mondialisation capitaliste qui se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est désormais « le dollar qui est le maître des maîtres » et c’est par lui « que les hommes sont répartis diversement sur la face de la Terre, distribués ça et là dans les villes et les campagnes, dans les champs, les ateliers et les usines, qu’ils sont menés et malmenés de travail en travail, comme le galet de grève en grève ».
Élisée Reclus est tôt conscient que le développement capitalistique mondial remet en cause les grands équilibres planétaires. Il dénonce la destruction des forêts par leur surexploitation brutale :
« La Terre devrait être soignée comme un grand corps, dont la respiration accomplie par les forêts se réglerait conformément à une méthode scientifique ; elle a ses poumons que les hommes devraient respecter puisque leur propre hygiène en dépend ».
Il dénonce aussi « la corruption des espèces », la multiplication des animaux domestiques hybrides du fait d’un productivisme consommateur mal conçu. Ainsi l’homme diminue la force de résistance aux maladies des animaux et en fait des « êtres artificiels ». Il dénonce enfin l’extermination des espèces, la disparition des oiseaux de Madagascar, des morses et cétacés des océans polaires, la restriction des espaces marins des baleines, les menaces encourues par les rhinocéros, les éléphants ou les bisons chassés et massacrés.
Poète, amoureux des sources et des montagnes, Élisée Reclus fait partie de la cohorte de ces hommes qui, dans leur diversité, montèrent en 1871 à l’assaut du ciel et dont l’action et la pensée sont d’une toujours si grande modernité.
JEAN-LOUIS ROBERT