ÉMILE DUVAL, GÉNÉRAL DE LA COMMUNE
C’est en explorant les archives lorsqu’il cherchait des documents au sujet de la sortie de Châtillon sur laquelle il se penchait que Pierre-Henri Zaidman se prit d’intérêt pour le personnage d’Émile Duval. L’auteur suit à la trace cette figure emblématique de la Commune. Et ce faisant, il éclaire les événements qui, du siège à la tragique sortie de Châtillon, font partie de la première période de la Commune. Ouvrier d’origine modeste devenu général de la Commune, Émile Duval se présente à nous avec ses failles intimes, ses contradictions, ses convictions, et ses faiblesses dans l’action comme dans la réflexion. C’est aussi l’occasion pour le lecteur de mieux cerner ce qu’étaient l’esprit et les valeurs des Blanquistes. Il est incontestable que l’extraordinaire énergie de ces révolutionnaires fut à l’origine de la radicalisation de la Garde nationale. Leur romantisme issu du siècle passé se fortifiait des influences de “l’Internationale” et des idéaux pré-marxistes.
A la croisée des idéaux socialistes du moment, ces héritiers de 1793, de René Hébert et des Enragés, animèrent une révolution qui emporta pêle-mêle ouvriers, journaliers, boutiquiers et artisans des faubourgs dans un désir de transformation radicale de la société. D’ailleurs, à ce propos, Pierre Henri Zaidman précise que « Homme d’action, Duval apparaît comme un matérialiste soucieux de la question sociale et un socialiste révolutionnaire, partisan de la représentation directe, qui n’a qu’un but : abattre la société bourgeoise ».
Duval fut aussi un homme de pouvoir qui, dans l’exercice de son mandat, fut, de bien des manières, aveuglé par le rôle et la fonction qu’il exerça au cours de l’insurrection. « Enfermé dans la logique de prise de pouvoir, il ne sait plus comment l’exercer », nous dit l’auteur dans sa conclusion, et
c’est bien là tout le drame de ce militant sincère et courageux. « On ne peut qu’éprouver un certain malaise en concluant sur tout ce que nous savons de l’action de Duval pendant ces quelques jours où il mit en pratique ses idées révolutionnaires. » Cette phase qui ouvre la conclusion de l’historien,
dont la sympathie pour la Commune ne peut être remise en cause, installe une distance critique par rapport à certaines dérives autoritaires du personnage. Mais il s’agit aussi d’une tragédie, celle d’un homme qui affronte la mort, seul, et celle d’une révolution qui fut écrasée dans une débauche de haine et de sang, une révolution festive qui avait porté très haut les idéaux les plus nobles de l’humanité. Car si la Commune fut vaincue militairement, politiquement elle eut un retentissement universel qui aujourd’hui, plus que jamais, fait écho aux rêves des jeunes insurgés, comme lors de la Commune d’Oaxaca au Mexique.
Jean Luc Debry
Pierre-Henri Zaidman, Émile Duval, Général de la Commune, préface Marcel Cerf et avant-propos Alain Dalotel, Éd. Dittmar.
UNE LÉGATION DANS LA TOURMENTE
Notre ami l’historien belge Francis Sartorius, ancien bibliothécaire de l’université de Bruxelles, et Jean-Luc de Paepe, attaché scientifique à l’Académie royale de Belgique, viennent de publier La correspondance des agents diplomatiques belges en poste à Paris sous la Commune savamment présentée.
Voilà un sujet peu banal dont l’intitulé devrait ravir les amateurs de secrets d’ambassades. En réalité il s’agit de tout autre chose : la correspondance entre le conseiller de légation Théodore de Bounder avec le baron Beyens, son supérieur hiérarchique, et avec le baron d’Anethan, son oncle, ministre des Affaires étrangères du royaume de Belgique.
Cette correspondance n’a aucun caractère officiel, c’est ce qui fait son originalité. Dès le 22 mars 1871, Théodore Bounder, assisté de Georges Neyt, secrétaire de légation, assume la responsabilité de chef de poste à Paris (il y restera jusqu’au 8 mai) tandis que le baron Beyens suit Thiers à Versailles.
L’interprétation des événements journaliers relatée par Bounder, avec une très grande liberté de ton et d’esprit, donne une idée de la vie à Paris en cette époque tourmentée. Une des fonctions principales du conseiller de légation consiste à assurer la protection des nationaux restés à Paris et à éviter qu’ils ne se compromettent dans des aventures dangereuses comme l’enrôlement dans la Légion belge pour la défense de la Commune et la perte de nationalité qui pourrait s’ensuivre, selon Bounder.
Le conseiller de légation n’est évidemment pas un partisan de la Commune mais cela n’altère pas l’objectivité des jugements qu’il porte sur les hommes au pouvoir et sur les insurgés. Il n’a que mépris pour la bourgeoisie parisienne apathique et avachie qui n’ose relever la tête et ne l’osera pas avant de voir les pantalons rouges place Vendôme, et encore.
Ses relations avec Paschal Grousset, délégué aux relations extérieures, et Raoul Rigault, procureur de la Commune, sont strictement administratives. Il réussit cependant à obtenir la libération de Belges arrêtés au hasard et de plusieurs ecclésiastiques. L’affaire de la violation inconsidérée de l’Hôtel de la légation de la Belgique le 16 avril 1871 est vite réglée à la satisfaction des deux parties.
Bounder estime que la classe ouvrière dans sa majorité est pour la Commune qui est énergique et ne recule devant rien. A son avis, aucun bataillon de la Garde nationale n’est tenté de passer à l’ennemi.
« La Commune, il faut lui laisser cette justice, a respecté la liberté des étrangers qui ne voulaient pas faire partie de la Garde nationale. En revanche, les Versaillais ont souvent confondu vengeance et justice. Ils n’ont pas hésité à fusiller sans jugement des gens inoffensifs, des prisonniers, des malades arrachés à leurs ambulances.
Il vaut mieux laisser échapper des coupables (plutôt) que de mettre à mort, de punir, de détenir des innocents. »
Oui, c’est bien le conseiller Théodore de Bounder qui, par deux fois, (pages 141 et 143), a écrit cette audacieuse sentence qui donne à réfléchir, quoiqu’en puissent penser bien des juristes.
Il faut ajouter que cet ouvrage, sorti récemment des presses Du Lérot, ne dément pas la passion de l’éditeur pour le beau livre illustré avec goût.
Marcel Cerf
Francis Sartorius & Jean-Luc De Paepe, Une légation dans la tourmente, Du Lérot, éditeur, 30 euros.
UNE TRAGÉDIE FRANÇAISE : LA COMMUNE DE PARIS DE 1871
Gérald Dittmar est l’éditeur de nombreux ouvrages sur la Commune. Cette fois, il a mis sa plume au service de l’Histoire, bien qu’il s’en défende. Pour rédiger son œuvre, il a compulsé scrupuleusement la presse communarde et versaillaise ainsi que les témoignages des acteurs de la tragédie parisienne de 1871 (Lissagaray, Benoît Malon, Arnould, Vallès, Lefrançais, Louise Michel, etc.) sans oublier les historiens spécialisés dans l’étude de cette période révolutionnaire.
Il définit le XIXe comme « le siècle des barricades et de la guerre sociale ». Nous retiendrons aussi cette réflexion afférente à la lutte des classes : « Ce retour de la barricade est également la matérialisation du « mur » qui, dans ce siècle, sépare la bourgeoisie du prolétariat non seulement dans leurs intérêts respectifs mais aussi dans dans leur rapport au savoir. » L’auteur insiste, à juste titre, sur le rôle important des femmes dans la révolution du 18 mars. Il s’est particulièrement acharné à tirer de l’oubli une femme exceptionnelle dans le domaine littéraire et politique : André Léo. Quand on pense qu’il a fallu attendre l’année 2004 pour que paraisse la biographie parfaitement documentée de La Junon de la Commune par Alain Dalotel !
Les annexes offrent un choix de déclarations et d’articles du plus grand intérêt : La Révolution du 18 mars de Charles Longuet (J.O. Commune 20 mars 1871) ; Les Soldats de l’idée d’André Léo (La Sociale 29 avril 1871) ; Discours d’André Léo au congrès de la Paix de Lausanne (27 septembre 1871) ; La manifeste blanquiste Aux Communeux (Londres juin 1874).
Mais fallait-il consacrer plusieurs pages aux prises de position divergentes des socialistes et des jacobins lors de la création du Comité de Salut public ? En revanche, les réalisations sociales et politiques de la Commune ne méritaient-elles pas un plus long développement ?
Ce n’est pas porter atteinte à la valeur incontestable du texte que de signaler les rares erreurs et coquilles : page 25 le portrait du pianiste et compositeur Henri Dombrowski a été mis à la place du portrait du général Jaroslaw Dombrowski ; page 139 - les Versaillais s’approchent de la place Vendôme défendue par le Colonel Stimoy ; c’est Spinoy qu’il faut lire. ; page 188 - le Mur des Fédérés le 27 mai 1871 au lieu du 28 mai 1871. Quelques biographies de Communards et une bonne bibliographie complètent cet ouvrage enrichi de belles et nombreuses illustrations.
Gérald Dittmar, dans sa conclusion, souligne que « Cent trente-cinq ans après, l’idéal de la Commune est toujours actuel » et que « l’héritage de la Commune est considérable par le caractère révolutionnaire de ses propositions et de ses réformes ».
On ne peut que souscrire à pareille déclaration et remercier grandement Gérald Dittmar de son vibrant hommage à la Commune.
Marcel Cerf
Gérald Dittmar, Une tragédie française : la Commune de Paris de 1871, Éditions Dittmar, 30 euros.
ÉMILE DIGEON OU L’ITINÉRAIRE SINGULIER D’UN COMMUNARD
Paul Tirand, ami de la Commune de Paris, a publié un livre décapant concernant Emile Digeon, lequel fut le chef de la Commune à Narbonne en 1871. On y découvre que ce séduisant personnage, peu cité par les historiens mais homme de grande qualité toujours généreusement engagé, fut successivement au cours d’une vie aventureuse : Communard, socialiste, déporté politique, journaliste, directeur d’une société à Palma de Majorque, banquier, animateur de l’insurrection en 1871 et enfin candidat aux élections législatives de la IIIe République. Pour couronner ce parcours insolite, il deviendra anarchiste et mourra pauvre en 1894.
Né en 1822 à Limoux dans une famille d’avocats, Émile Digeon fit ses études à Montpellier tout en découvrant au sein d’un environnement aisé le ferment d’idées républicaines et l’idée de la résistance aux pouvoirs forts. C’est ainsi qu’il connut la prison aux côtés de son père lors de la prise de pouvoir de Louis Napoléon Bonaparte. Puis il fut déporté en Algérie en 1852 - toujours avec son père - en tant qu’ennemis du régime. Ils s’en évadèrent tous les deux et vécurent ensuite jusqu’en 1867 à Palma de Majorque où vivait une petite colonie de Français.
Les Digeon s’intègrent rapidement dans l’île où Emile se marie et crée une raffinerie de sucre. Il devient plus tard banquier et riche notable jusqu’à son retour en France au moment où le Second Empire est entré dans sa phase libérale. Les idées républicaines ont fait leur chemin. Emile, devenu journaliste, est toujours sur la brèche des revendications à caractère social et lutte toujours contre le pouvoir jusqu’au moment où il se range sur des positions carrément révolutionnaires et participe à la Commune.
Deux raisons essentielles me font recommander la lecture de ce livre. La première est que nous sommes en face d’une partie de l’Histoire de la Commune vue d’une province éloignée mais très sensibilisée aux évènements politiques. Et la seconde est que, sur fond d’un engagement sans faille, la vie de Digeon se lit aussi comme un roman où l’on retrouve parmi les acteurs de cette époque Clemenceau, Jules Vallès, Louise Michel, Lissagaray, Jules Guesde, Louis Blanc, Garibaldi et bien d’autres...
En 1882 Emile Digeon fonde la Ligue Révolutionnaire Internationale qui va conduire son rêve d’utopiste (c’est ainsi qu’il se définit) à hisser le drapeau noir de l’Anarchie. On devra le prendre dorénavant comme un politique bien inspiré quand on saura que dans son rêve, il avait conçu - entre autres - l’abolition de la peine de mort, le droit pour tous à l’assistance, enfin, clin d’œil à des responsables politiques rarement en avance sur les tendances : la décentralisation des pouvoirs. Imprimées page 218 et 219, les dernières volontés d’Emile sont un monument de lucidité, de générosité et de modestie. A lire absolument avant de faire votre testament.
Marcel Cerf
Paul Tirand, Émile Digeon 1822-1894 ou L’itinéraire singulier d’un Communard, Collection Logiques historiques, L’ Harmattan. 22 Euros.
RENAUD ET LES COMMUNARDS
Pour tous les amateurs du chanteur vient de sortir un livre : Parlez-vous le Renaud ?. L’auteur, Meziane Hammadi, sous forme de dictionnaire facile à consulter, nous livre un inventaire des mots-clés de l’univers du chanteur, avec référence aux titres des chansons.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que la Commune y figure en bonne place, dans « Société tu m’auras pas » ou « Ecoutez-moi les gavroches », car, dit Renaud, « la Commune refleurira » ...
Dans « Ravachol », Renaud fait référence à Bakounine et Proudhon. Dans « Mon bistrot préféré », ce sont Jean-Pierre Chabrol, auteur du « Canon fraternité » et Arthur Rimbaud qui sont cités. Rimbaud se retrouve plusieurs fois dans les chansons : « Mimi l’ennui », « En cloque » et « Dans la jungle ». Verlaine est là aussi, toujours dans « Mon bistrot préféré » et dans « Peau aime ».
Renaud évoque l’Internationale et Eugène Pottier dans « Mon amoureux ». Il chante les damnés ou les mauvais garçons et la canaille dans « La Java sans joie ». « Ni dieu, ni maître », devise de Blanqui se retrouve dans « Le Tango des élus », « Fanny de la Sorgue » et « Fallait pas ». Courbet et « Son origine du monde » sont remémorés dans « Je m’appelle Galilée ». Cette chanson figure dans le dernier double CD « Rouge sang ».
« Les sous-ministres de l’âme versaillaise », héritiers du « Crapaud venimeux », le massacreur de la rue Transnonain et de la Semaine sanglante, Thiers le foutriquet apparaissent et sont fustigés dans « Rouge gorge ». Et Renaud, le renard, ne peut manquer de rappeler le temps des cerises dans « Rouge gorge » : temps des cerises, mis en musique par ... Antoine Renard !
M.P.
Meziane Hammadi, Parlez-vous le Renaud ?, Éditions le bord de l’eau, 18 euros