La Commune de Paris. 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux
TOUT SUR LA COMMUNE DE PARIS… OU PRESQUE !
Quel défi se sont lancé plus de trente chercheurs, emmenés par Michel Cordillot ! Rassembler dans un ouvrage de 1438 pages la connaissance la plus large et néanmoins précise de cet évènement historique, objet de tant de livres, d’articles, que Quentin Deluermoz considère qu’il est impossible à une seule personne de tous les lire. La diversité communarde apparaît dans les 500 biographies sélectionnées dans le Maitron, célébrissime dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Il faut suivre le conseil de Michel Cordillot et se rendre sur le Maitron-en-ligne pour en découvrir 17 500 autres.
Au croisement de tant de destins
La lecture de ce monument donne le sentiment de parcourir les rues de Paris, de se rendre dans les clubs en croisant des têtes connues, Nathalie Le Mel, Charles Delescluze, Jean Allemane, Emile Duval, assassiné par les versaillais à Clamart, les frères Reclus ; mais il y aussi les obscurs, les sans-grades, ceux qui se battaient « simplement » pour une république démocratique et sociale, jusqu’à leur mort. Les femmes, même non éligibles, ont toute leur place : Eulalie Papavoine, André Léo, son nom de plume qui restera dans l’histoire, Anna Jaclard, une noble russe, tout comme Elisabeth Dmitrieff, et évidemment Louise Michel. Mais il y a tous les autres combattants de la Commune condamnés à rester anonymes, car fusillés au coin d’une rue, jetés dans une fosse commune, oubliés dans les catacombes.
Un récit passionnant et analytique
Le lecteur sera séduit par la qualité des débats entre les différents acteurs de la Commune. Ouvriers, artisans, journalistes (on disait « publicistes »), gens du peuple, ils prennent à bras le corps les enjeux. De quelle république parle-t-on ? Certes, Vallès donne de sa voix dans le Cri du Peuple, mais ce même peuple s’exprime dans les clubs qui favorisent ainsi l’expres¬sion d’une culture politique populaire, originale et influente, on y croise par exemple Paule Minck, une militante féministe ardente.
La section « Débats et controverses » montre les échanges vigoureux : Marx, Bakounine, les différentes visions et
de la Commune et du socialisme. Impossible de mentionner la totalité des thèmes, vous irez au fil des pages comme des rues de la capitale. Il faut souligner la qualité de l’iconographie, la mise en page qui font de ce livre un outil de travail et de réflexion pour les chercheurs, les militants, un guide pour tout lecteur curieux de découvrir ces jours de « liberté sans rivages » selon l’expression de Jules Vallès. J’insisterais sur la notice sur la Société fraternelle des anciens combattants de la Commune, dont notre association des Amies et des Amis de la Commune est l’héritière.
A-t-on tout écrit ? Non, répond Quentin Deluermoz, les archives ne sont pas toutes exploitées et le travail initié par Jacques Rougerie, le grand spécialiste de la Commune, est loin d’être achevé. Voilà qui laisse des perspectives aux jeunes générations.
FRANCIS PIAN
Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris. 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Éd. de L’Atelier, 2021.
LA RÉVOLUTION IMPROMPTUE
MICHEL PUZELAT
FRANCIS PIAN
Jules Allix est un infatigable utopiste, d’obédience fouriériste, pur produit des bouillonnements du XIXe siècle. Un doux dingue qu’on n’imaginerait pas aujourd’hui avoir une quelconque responsabilité (quoique avec les réseaux sociaux...).
À la lecture de cette biographie, on sourit souvent en imaginant les assistances médusées, puis inévitablement agacées lorsqu’il prend la parole et ne la lâche plus. Dans sa logorrhée légendaire, il pouvait exposer sans fin des théories ou des projets fantasques, quelquefois géniaux.
En réaction, il y a ceux qui se moquent — les journalistes se régalent de ses lubies — ou ceux qu’il horripile, en particulier au sein du conseil de la Commune. On tenta de le destituer, on mit des scellés à son bureau de maire du XIIIe arrondissement, et le citoyen Arnaud ira jusqu’à proposer son exécution. Mais il y a aussi ceux, nombreux, qu’il entraîne dans ses visions utopiques et humanistes, comme le célèbre gymnaste Triat.
Dans sa longue existence — 84 ans — sa folie supposée, si elle le conduisit quelques fois à l’asile, lui sauva aussi la vie. Après la défaite de la Commune, les versaillais ne le condamnèrent qu’à retourner à Charenton. Il en profita pour élaborer des méthodes d’avant-garde de thérapie par la parole, destinées aux aliénés.
De la même façon, en 1853, il fut simplement banni pour sa participation au complot de l’hippodrome contre Napoléon III. Son exil à Jersey lui permit de fréquenter le clan Hugo, grâce à son frère, médecin du maître, et sa soeur, cantatrice appréciée par la famille. À Marine Terrace (la maison de Victor Hugo à Jersey), on faisait tourner les tables pour tromper l’ennui, mais chez Jules Allix, ces séances de spiritisme finiront par déclencher de graves hallucinations.
Le livre de Bruno Gruel, richement documenté, nous démontre qu’Allix, si toutefois son esprit est encore en contact magnétique avec la terre, n’a pas à rougir de son oeuvre : éducation, féminisme, libre-pensée, république sociale... des moins perchés que lui ne montrent pas un tel pedigree.
PHILIPPE MANGION
Claude Rétat a publié des éditions critiques de l’oeuvre de Louise Michel, mais son essai Art Vaincra ! constitue un condensé de cette mise en cohérence. À sa lecture, de nombreux passages des Mémoires, ceux de 1886 comme ceux de 1898, des Contes et légendes, et d’autres textes qui pouvaient parfois paraître abscons, prennent tout leur sens.
Par exemple, le thème récurrent de l’harmonie chez Louise Michel renvoie à une vision fouriériste de l’homme. « Des claviers et des séries pour le grand oeuvre de réagencement de l’homme, du monde et de la société, un réagencement démultiplicateur orienté vers la production de bonheur », précise Claude Rétat. Dans la pensée de Louise Michel, la révolution devient, tel un cyclone, un chef d’oeuvre de la nature.
Or rien ne peut ni ne doit maîtriser un cyclone. De même, une révolution qui se donne un gouvernement ne peut que « marquer le pas ». En ressassant la Commune et les événements qui l’ont précédée, Louise Michel a acquis la conviction que seule l’anarchie est la garantie de ne pas interrompre la marche du « progrès éternel qui attire [les êtres] vers un idéal vrai, toujours grandissant. »
« Connaît-on bien Louise Michel ? » interroge la quatrième de couverture. Dans cet essai, Claude Rétat nous donne de nombreuses clés pour relire l’oeuvre de la Grande Citoyenne avec un regard neuf, affranchi de tous les messages qu’on veut généralement lui faire porter.
PHILIPPE MANGION
Sandrine Berthet a relevé le défi et son livre est une réussite. Sous la forme d’un récit au présent, le narrateur, Étienne Delandre, nous embarque à bord de la frégate Danaé pour le terrible voyage des condamnés communards vers la Nouvelle-Calédonie.
Durant les huit années qu’il passera sur l’île, jusqu’à l’amnistie générale, notre témoin connaîtra différentes situations, celle de « blindé » dans l’enceinte fortifiée de l’île Ducos, de contremaître dans une usine de nickel ou d’employé dans un bazar de Nouméa. Autant d’occasions pour l’auteure de restituer la vie quotidienne de la colonie et les événements cette décennie 1870, marquée en particulier par la révolte canaque de 1878.
Bien sûr, Étienne Delandre fréquente des déportés célèbres, mais Sandrine Berthet ne se contente pas d’en faire une simple galerie de portraits. Nous vivons le désespoir d’Henry Bauër, nous sommes impressionnés par l’énergie de Louise Michel, nous souffrons pour Allemane enchaîné, nous sommes agacés par Rochefort l’aristocrate, intrigués par le singulier Adolphe Assi.
Enfin, Sandrine Berthet a eu la bonne idée de grandir en Nouvelle-Calédonie. Ainsi, dans ses mots, les lignes d’horizon, les couleurs du ciel et de la mer, la puissance des cyclones portent la marque du vécu, de l’authentique.
Alors, lecteurs, laissez-vous porter, acceptez le contrat de confiance de Sandrine Berthet, et attendez la fin du livre avant de vous jeter sur Internet. Encore baignés dans l’atmosphère de la colonie pénitentiaire, vous n’en serez que mieux récompensés, en particulier par les photos d’Allan Hughan que l’auteure porte à notre connaissance.
PHILIPPE MANGION
En introduction, Stathis Kouvélakis confronte les élaborations de Marx aux travaux des historiens récents et renouvelle la réflexion sur leurs apports théoriques. « C’est dans cette tension entre une pensée en mouvement, toujours à la recherche d’une prise sur le réel, une pensée stratégique orientée vers l’action révolutionnaire, et un événement dont la brièveté temporelle n’a d’égales que la densité et la puissance de réverbération, qu’il faut chercher la portée, singulière et résistante au temps, des textes de Marx et d’Engels, le contenu de vérité qui leur est propre. »
Marx s’implique dans les événements. Serraillier, Dmitrieff, Fränkel l’informent régulièrement et sollicitent son avis. L’analyse de la situation internationale et des événements à l’origine de la guerre franco-prussienne retient l’attention, car elle met en relief les relations entre ces deux pays et les complicités plus ou moins objectives des classes dominantes. Il replace la Commune dans une perspective historique. « La lutte de Paris a fait entrer dans une nouvelle phase la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son État. Quelle qu’en soit l’issue immédiate, elle a permis de conquérir une nouvelle base de départ d’une importance historique universelle. »
Marx affine ses réflexions sur le rôle des classes et du prolétariat, la syndicalisation des moyens de production, le rôle des coopératives et, bien sûr, la grande question de l’État, thème central de sa rivalité avec les anarchistes. Quand fait-on disparaître l’État ? Le fédéralisme peut-il remplacer l’État centralisateur ?
Les textes de Marx et Engels traduisent leur vision internationaliste. Ils appellent à la solidarité avec le peuple parisien. Les Adresses au Conseil général de l’AIT font vivre l’évolution de la pensée de Marx sur la Commune et permettent de comprendre La Guerre civile en France, publiée immédiatement après. Marx s’attachera à renforcer l’organisation de l’Internationale.
MAGUY ROIRE
Dans le second livre, À travers la mort. Mémoires inédits, 1886-1890, Claude Rétat a rassemblé avec la même forme et la même densité de nombreuses archives qu’elle a retrouvées. Elles se composent des souvenirs de Louise Michel, de ses conférences, des articles, des réflexions, des évènements. « Je prends au fond de mes souvenirs, sans ordre de date, avec des coupures de presse », « chiffonnière de l’Histoire ». Ce volume restitue par ses nombreux documents, rassemblés avec soin, le foisonnement de la vie de la révolutionnaire anarchiste, sans oublier ses poèmes.
MAGUY ROIRE
L’auteur, et c’est son droit, marque cependant le récit par ses appréciations ou critiques politiques, à propos des récupérations par les régimes communistes d’après-guerre en URSS ou encore en Chine.
Page 115, l’auteur reprend cette photo montrant des cadavres dans des cercueils. De nombreux doutes demeurent sur l’identité de ces hommes et Jacques Rougerie soulève un peu le voile, rappelant que l’exposition de corps a dû être rarissime : « on s’empressait bien plutôt à faire disparaître les innombrables victimes ». Les historiens trouveront un jour, peut-être, la réponse à ce qui reste une interrogation, l’identité des cadavres sur cette photo si souvent publiée.
Le récit est suivi d’un chapitre très vivant, très touffu avec des témoignages et des documents. L’innovation par rapport à l’édition précédente est de l’avoir rendue plus accessible en la faisant précéder d’un petit sommaire détaillé. On y découvre notamment la prose de Zola à propos des citoyennes et de leur participation à la Commune, qui se veut un hommage mais est empreinte d’une sévère misogynie, participante de son époque. Suivent aussi de nombreux textes de divers auteurs, comme George Sand et Théophile Gautier, plus une chronologie allant de la déclaration de guerre de Napoléon III faite aux Prussiens le 19 juillet 1870, jusqu’à la première commémoration au mur des Fédérés le 23 mai 1880, avant même l’amnistie accordée aux communards en juillet de cette même année. Ajoutons la présence, en fin d’ouvrage, d’un index alphabétique des noms cités et une table des illustrations précisant les légendes des photos. Un très bel outil de travail.
CLAUDINE REY
Vivre le Paris communard.
Le travail du maquettiste est remarquable. Ces photos pleine page vous font entrer dans la scène. Vous êtes sur la barricade. La vue plongeante sur les célèbres canons de Montmartre, le ballon de Gambetta, les combats du Père Lachaise redonnent vie à ces jours si parisiens. De plus, l’auteure accompagne ces images d’analyses fines pour donner à comprendre.
Les enjeux sont clairement posés : une chambre monarchiste, des républicains fragiles, un peuple parisien qui a souffert du siège et de ses injustices. Regardons ces Allemands place de la Concorde, la France s’humilie, se couche devant l’ennemi. Ce ressentiment du peuple parisien se retrouvera en 1940 devant des défilés identiques, pendant que le gouvernement de Vichy se couchait lui aussi.
Des images symboles comme l’affiche du Comité central qui appelle à désigner des hommes aux convictions sincères, d’une actualité rare. « La Commune est d’abord apparue comme le premier gouvernement ouvrier en France. C’est aussi pour cela qu’encore maintenant tu peux voir inscrit sur un mur : Vive la Commune ».
Des débats toujours actuels.
Les idées et les débats sont d’une grande modernité : le contrôle des élus, celui des fonctionnaires, la justice, le rôle des notaires, le Mont-de-Piété et l’aide sociale, la place des femmes dans toute la société. Une image présente les hommes de la Commune, évidemment pas une femme. Où sont-elles ? Dans les clubs, dans les églises transformées en espace de débat démocratique, sur les barricades.
Et puis, les pavés de Paris deviennent « noir et rouge, noir de poudre et rouge de sang ». Thiers refuse tout débat, rejette la délégation des francs-maçons, la Semaine sanglante débute et quelle émotion à la vue de ce marin décédé sur une barricade, dans une position rappelant le poème de Rimbaud qui fut communard. Après ? On juge, des militaires jugent… on déporte même les femmes. Que de morts si loin… Et puis le retour, la mémoire vive, elle est là et nous la faisons vivre.
FRANCIS PIAN
Une vingtaine d’artistes se sont investis pleinement dans ce projet qui avait vu le jour en 2020, suite à l’exposition consacrée à ce sujet dans l’ancienne abbaye de Prébenoit en Creuse.
Certains connaissaient peu l’histoire de la Commune, beaucoup d’entre eux n’ayant eu aucune information à son sujet pendant leur scolarité, comme c’est si souvent le cas.
Les artistes se sont ainsi appropriés cette histoire avec leur propre vision ou imaginaire et l’ont mise en forme. Emportés par ce thème, ils nous livrent les oeuvres montrées dans cette brochure : des peintures, des dessins, sculptures.
Ces oeuvres de qualité, présentées et réunies par Bernard Bondieu et David Czekmany, sont accompagnées de commentaires de Jean Annequin, qui laissent place bien souvent à des citations et textes communards, faisant ainsi de ce document un très beau témoignage contemporain de la Commune de Paris.
La mémoire de la Commune se perpétue, grâce aux artistes, et résiste ainsi au temps qui s’écoule.
JEAN-LOUIS GUGLIELMI
L’auteur n’oublie pas de s’attarder sur les nombreux natifs à Paris, le Limousin étant au second rang de la répression, avec 1514 arrestations, tandis que le chapitre sur l’Internationale est très utile, démontrant que son influence a été volontairement exagérée. L’élément rare de l’ouvrage se tient dans le témoignage de l’avocat Louis Beaubiat, envoyé par la Société populaire à Paris après le 18 mars. Ce récit nous propose le regard de ce délégué sur le Paris insurgé, dirigé alors par le comité central de la Garde nationale. La vive discussion avec des membres de l’Hôtel de Ville, qui exigent de la Province qu’elle s’engage immédiatement, montre le décalage existant entre les situations parisienne et provinciale. Cependant, à son retour, la Société populaire décidera de suivre Paris dans la résistance armée, juste avant la funeste journée du 4 avril. Le plaidoyer final pour les communards en 1879 d’Alfred Assolent, romancier et journaliste, est un beau cri pour la justice. Cet ouvrage est d’un double apport bien précieux : à la fois histoire d’une terre de traditions et de révoltes, mais aussi nouvelle pierre pour la compréhension des différentes attitudes provinciales sous la Commune, incontournable pour la réflexion, le Limousin en étant un exemple saisissant.
JEAN ANNEQUIN
À ce titre Fred Morisse a réussi son livre. Il nous fait vivre ce tragique épisode qui toucha tout le Paris populaire au travers de personnages fictifs, certes, mais évoquant les habitants de ce quartier ouvrier, de façon convaincante.
Et puis ce récit est encore accompagné d’une abondante iconographie bien insérée dans le livre.
JEAN-LOUIS GUGLIELMI