L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale.

L'émancipation des travailleurs

Il faut saluer la parution de ce livre qui, sous une forme concise claire et bien documentée retrace l’histoire de l’AIT cette tentative inédite,

« celle de l’organisation fraternelle de militants ouvriers décidés à inventer leur avenir eux – mêmes, en dépit des concurrences nationales, des guerres impérialistes et d’un capitalisme déjà mondialisé  ».

Partant du projet de Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 24 avril 1793 de Robespierre, dans son article 35 qui déclare que «  tous les hommes sont frères  », il retrace le cheminement de l’idée de solidarité prolétarienne. Si le bureau parisien de l’Internationale n’a pu jouer un rôle décisif pendant la Commune, complètement décimé par trois procès, les internationalistes en ont été des acteurs importants.

En 1853, on compte en Grande Bretagne 4 380 réfugiés politiques venant de toute l’Europe. Ils représentent deux courants de lutte dirigés soit vers des changements révolutionnaires, soit vers la mise en place de réseaux de solidarité internationaux capable d’opposer une force organisée aux capitalistes. C’est le croisement de ces deux courants qui va engendrer la création de l’Internationale en 1864.

Les péripéties amenant la création de l’Internationale sont étudiées dans le détail, en particulier le rôle de Marx dans la rédaction de l’Adresse inaugurale. L’histoire de l’A.I.T comporte quatre périodes : 1864 -1866, une période coopérative dominée par la pensée de Proudhon ; 1866 – 1869, une période collectiviste ; 1869 – 1870, une période de lutte de classes avec de grandes grèves dans lesquelles les internationalistes sont à la pointe du combat ; de la Conférence de Londres de 1871 au Congrès de La Haye de 1872 où l’AIT entre dans une période conflictuelle.
La Conférence de Londres a été convoquée par Marx et elle se tient dans son domicile fin septembre 1871 afin de tirer les conséquences de la Commune de Paris. Va se poser le problème de l’organisation de l’AIT, de la prise du pouvoir et du rôle de l’Etat. L’échec de la Commune a été analysé par Marx, dès le 28 mai, dans l’Adresse du Conseil général de l’AIT connue sous le nom de La guerre civile en France.

A partir de la Conférence de Londres de septembre 1871, Marx et Bakounine s’affrontent dans un conflit qui n’est pas seulement un conflit de personnes, mais surtout une différence d’analyse sur le rôle de l’Etat, de la prise du pouvoir et de la révolution. Cet affrontement va, après le Congrès de La Haye, aboutir à l’éclatement de l’AIT et à la formation de deux Internationales, l’une dite autoritaire, l’autre anti - autoritaire qui vont disparaître toutes les deux paradoxalement à un moment où l’internationalisme se développe dans de nouveaux pays. Un ultime congrès va se tenir à Bruxelles en 1877 pour tenter de trouver une plateforme commune. C’est un échec. Les luttes politiques vont alors s’exprimer au travers des partis politiques naissants, le socialisme utopique n’est plus d’actualité. Le livre analyse les luttes depuis le congrès de Marseille de 1879 et le rôle des communards jusqu’à la formation de la IIe Internationale, fondée à Paris en 1889. On parle alors pour l’AIT de la 1ère Internationale.

Signalons également une abondante et très intéressante bibliographie. Ce livre est une excellente introduction à une analyse plus approfondie de l’Association internationale des travailleurs.

DANIEL SPASSKY

L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale. Mathieu Léonard, éd. La fabrique 2011.

Victor Hugo l’élu du peuple

Pour célébrer le 210e anniversaire de la naissance de Victor Hugo, Le Monde lui consacre un numéro hors-série. Dans la première partie, le journaliste Jean- François Kahn, auteur de deux essais sur Victor Hugo, retrace la métamorphose politique de l’écrivain : soutien de la monarchie, pair de France, devenu un farouche partisan de la République.

« Après Sedan et la chute de l’Empire, il pourrait se laisser confire dans son apothéose, il choisit de nouveau la lame contre le manche, démissionne, par solidarité avec Garibaldi, du parlement où il avait été porté par un vote plébiscite et, hué dans la rue, assailli par des nervis, contraint à un nouvel exil, il s’isole totalement de son milieu, de sa classe, de l’opinion publique même, fût-ce très provisoirement, en se mettant au service des communards qu’il a blâmés vainqueurs, mais embrasse vaincus »,

rappelle le fondateur de Marianne.

Dans ce numéro hors-série paru avant les élections présidentielles, Le Monde a demandé aux candidats ce que représente Victor Hugo pour eux. Pas de surprise : tous sont de fervents admirateurs, même si certains d’entre eux sont bien loin d’incarner l’idéal de liberté et de justice qu’il a défendu.

JOHN SUTTON

Numéro hors-série du journal Le Monde

La revanche des communeux

La revanche des communeux

On connaît l’auteur de chansons, on sait son engagement dans les « journées sublimes  » et en particulier lors de la « Semaine sanglante », on connaît moins l’écrivain. D’autant que cet essai, publié en 1886, n’avait jamais été réédité. Il ne s’agit pas ici d’un livre d’histoire, pas d’un pamphlet, mais d’un livre de souvenirs, adressé à tous ceux qui se veulent les héritiers des « communeux » (c’est le terme usité à l’époque, des deux côtés de la barricade).

Deux éléments de contexte : l’amnistie de 1880 (« eh ! quoi, ce sont ceux qui ont mérité la corde qui ont la prétention de pardonner ceux qui auraient dû les pendre ») et une commission d’enquête parlementaire mise en place par le pouvoir sitôt après les événements («  Plus une enquête est officielle et moins elle aboutit »). Une large part de cet ouvrage est une réfutation des conclusions de ce rapport à charge. Clément commence par une présentation des trente membres de la dite commission (présidée par le comte Daru), dont le statut et la position sociale disent assez où sont leurs intérêts. Il réfute point par point certaines des allégations, « répond aux calomnies  », n’hésitant pas à convoquer l’histoire à l’appui de sa démonstration (Etienne Marcel et les Etats généraux de 1356, la Révolution française dans ses péripéties, 1848). La démarche est significative d’une exigence, et de la volonté de préparer l’avenir, c’est-à-dire

« la revanche du droit et de la justice sur l’oppression et les iniquités, la Revanche [majuscule et italique de l’auteur] des exploités contre les exploiteurs ».

L’aspect peut-être le plus intéressant du volume, novateur si l’on se réfère à la date de publication initiale, c’est de donner à voir de l’intérieur les débats à l’Hôtel-de-Ville, en particulier autour des trois premiers décrets du 29 mars 1871 (moratoire de trois mois de loyer, abolition de la conscription, interdiction de mise à la vente des objets déposés au Mont de piété). L’auteur y montre l’impatience des uns — c’est son cas —, les scrupules des autres qui expliquent aussi le caractère dilatoire des décisions, les basses manœuvres aussi de ceux qui n’adhèrent pas au projet du mouvement prolétaire, voire font insidieusement tout pour le saper, préparant leur revanche, ces « républicains endormeurs  » qui furent déjà les fossoyeurs en 1848. Le style est enlevé, le trait acerbe, la passion et la gravité s’y font entendre. Cet ouvrage se veut aussi une contribution à une analyse plus rigoureuse, revendiquant aussi la nécessaire recherche des erreurs, qui doit servir de leçon pour le futur, Clément restant animé de la certitude que « la Commune n’est pas morte ». Un second volume devait suivre qui n’a jamais été retrouvé, qui ne fut vraisemblablement jamais écrit. On pourra regretter que cette publication manque de quelques notes à caractère historique pour les lecteurs moins familiers de cette époque que Les Amis de la Commune, mais telle quelle, voilà une réédition bienvenue !

BERNARD BIER

Jean-Baptiste Clément, La revanche des communeux (préface de François Perche) éd. Le bruit des autres, 2012.

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