Le Musée d’Orsay a présenté récemment une rétrospective consacrée à l’œuvre de Manet, dont ses tableaux et gravures consacrés à la Commune.

De L’Exécution de Maximilien (1867) à L’Évasion de Rochefort (1881), Édouard Manet consacra une partie importante de son œuvre à la peinture d’histoire, avec une interprétation très personnelle. Le premier dessin qu’il ait présenté sous son nom, en 1860, était un portrait à charge d’Émile Ollivier, rallié au régime impérial en 1868, publié dans Diogène, journal libéral et anticlérical.

Resté à Paris pendant le Siège, Manet s’engage dans la Garde nationale, jusqu’à la capitulation.

« Nous sommes tous soldats ici, et je crois qu’il se prépare des événements qui vont être décisifs et auxquels presque tous les hommes valides vont prendre part. Degas et moi sommes dans l’artillerie, canonniers volontaires »,

écrit-il dans une lettre à Eva Gonzalès, datée du 19 novembre 1870.

« Je compte qu’à votre retour, vous ferez mon portrait avec ma grande capote d’artilleur. (…) Mon sac de soldat est garni de ma boîte, mon chevalet de campagne, tout ce qu’il faut pour ne pas perdre mon temps et je vais profiter des facilités que je trouve partout »,

ajoute-t-il.

En février 1871, Manet part à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques) pour rejoindre sa famille. Quand l’insurrection parisienne éclate, il est à Arcachon (Gironde). Le 15 avril, en son absence, il est élu délégué de la Fédération des artistes. Il semble que le peintre soit revenu à Paris pendant la Semaine sanglante. Sa présence est attestée par une lettre de ACTUALITÉ 18 Manet l’inventeur du moderne Le Musée d’Orsay a présenté récemment une rétrospective consacrée à l’œuvre de Manet, dont ses tableaux et gravures consacrés à la Commune. L’évasion de Rochefort (1881) Mme Morisot à sa fille Berthe : « Tiburce a rencontré deux communeux au moment où on les fusille tous, Manet et Degas ! Encore à présent, ils blâment les moyens énergiques de la répression » (1).

Édouard Manet - Évasion de Henri Rochefort avec Charles Bastien, Achille Ballière, Paschal Grousset et François Jourde - vers 1881, 2ème version (Musée d'Orsay)
Édouard Manet - Évasion de Henri Rochefort avec Charles Bastien, Achille Ballière, Paschal Grousset et François Jourde - vers 1881, 2ème version (Musée d'Orsay)

MANET ET DEGAS BLÂMENT LA RÉPRESSION

C’est probablement au cours de ces événements tragiques qu’il échafaude ses deux célèbres lithographies présentées dans l’exposition du musée d’Orsay : La Barricade (1873), conservée au musée Szepmüvészeti de Budapest, et Guerre civile (1874). La première représente l’exécution sommaire d’un communard par l’armée versaillaise, tandis que la seconde montre des cadavres d’insurgés placés derrière une barricade conquise. Manet caressa l’idée de réaliser un grand tableau sur la Commune pour le Salon de 1873. Dans ce but, il aurait assisté à l’exécution de Rossel, Bourgeois et Ferré, le 28 novembre 1871 à Satory, près de Versailles.

« Il abandonne finalement ce projet, de même que l’édition de la lithographie La Barricade, dont la pierre restera inédite dans son atelier jusqu’à sa mort »,

écrit l’historien d’art Bertrand Tillier (1).

Dès l’amnistie des communards, promulguée le 11 juillet 1880, Manet concrétise son souhait de leur rendre hommage. Ce dont Claude Monet se fait l’écho en décembre :

« J’ai vu Manet, très occupé d’un projet de tableau à sensation pour le Salon, l’évasion de Rochefort dans un canot en pleine mer ».

La toile, qui appartient aux collections permanentes du musée Orsay, représente le célèbre journaliste Henri Rochefort et ses compagnons Francis Jourde et Paschal Grousset lors de leur évasion réussie de Nouvelle-Calédonie, le 21 mars 1874. Le frêle esquif semble perdu au milieu des vagues peintes dans un style impressionniste.

John Sutton

 

Édouard Manet - La barricade (1871), lavis encre de chine, aquarelle et gouache sur mine de plomb, 46x32cm (musée Szepmüvészti de Budapest)
Édouard Manet - La barricade (1871), lavis encre de chine, aquarelle et gouache sur mine de plomb, 46x32cm (musée Szepmüvészti de Budapest)

 

LA BARRICADE

Le titre de l'œuvre n'en exprime pas complètement le contenu puisqu'on y voit d'abord une exécution. En effet, des soldats en uniforme vus de dos fusillent à bout portant des hommes acculés à une barricade élevée entre de hauts immeubles. Parmi eux, un Fédéré en uniforme lui aussi. À terre, déjà un certain nombre de morts et de mourants. L'œuvre est plus poussée qu'un simple dessin, peut-être une esquisse en vue d'une peinture qui n'a jamais été réalisée.

Manet a peint quelques années auparavant L'exécution de Maximilien, révolte contre la lâcheté de Napoléon III qui abandonne à son sort l'homme de paille qu'il a mis lui-même au pouvoir au Mexique. En amateur du réalisme de la peinture espagnole, il s'est inspiré pour ce tableau de la composition de Goya contre les exactions de l'armée de Napoléon I er en Espagne, le Tres de mayo 1808. Dans La barricade, on retrouve le sentiment de révolte de Goya. Manet a-t-il assisté à la scène?

Pendant la Commune, la Fédération des artistes élira Manet en son absence. Il a voulu voir, il a vu la vengeance des Versaillais, leur impunité dans les beaux quartiers récemment construits par Haussmann. Manet subira une longue dépression pendant l'été 1871 et fera par la suite tirer des lithographies de cette composition pour la diffuser, malgré la censure, en 1874.

EUGÉNIE DUBREUIL

Note

(1) Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans images ?, édit. Champ Vallon (2004). Le titre de l'œuvre n'en exprime pas

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