Dans le documentaire publié lundi soir sur France 3, Emmanuel Macron évoque sa réception de Vladimir Poutine à Versailles. Propension monarchique, lui suggère-t-on ? En aucun cas, répond-il : « Versailles, c’est là où la République s’était retranchée quand elle était menacée ».

Réponse sidérante… Le seul événement qui correspond à l’affirmation présidentielle a lieu le 18 mars 1871. Au petit matin, des troupes régulières dépêchées par le gouvernement d’Adolphe Thiers cherchent à s’emparer des canons de la Garde nationale parisienne regroupés sur la butte Montmartre. Alertés, les Parisiens s’assemblent pour les empêcher de le faire. La troupe fraternise avec la foule. C’est le début de la Commune de Paris. Le même jour, à 15 heures, le gouvernement décide de quitter Paris, avec toutes les forces armées et les fonctionnaires. Le lieu de repli est Versailles. Le 2 avril, l’armée de Versailles lance l’offensive sur Paris. Du 21 au 28 mai, elle se livre au massacre des insurgés parisiens. Plusieurs milliers y perdent la vie lors de la « Semaine sanglante ».

La République menacée ? Le gouvernement qui se réfugie à Versailles a été nommé le 17 février, alors que la France est occupée par les armées allemandes, à l’issue d’élections législatives qui ont donné une majorité écrasante à des monarchistes adversaires de la République. Paris de son côté a choisi d’élire 36 députés républicains (sur 43), qui sont hostiles à la capitulation décidée par la nouvelle majorité. Si Paris se soulève, c’est à l’initiative de républicains, pour des raisons à la fois sociales et patriotiques. Les monarchistes de l’Assemblée pactisent avec l’Allemagne, dont l’unité vient d’être proclamée… à Versailles ; les républicains de Paris s’y opposent. Telle est l’une des causes du conflit. Les communards ne menacent pas la République : ils veulent la protéger de ceux qui la récusent et tournent le dos à ses valeurs.

En choisissant cet aspect symbolique pour valoriser Versailles, Emmanuel Macron fait ce qu’aucun Président de la République n’avait osé faire, quand bien même beaucoup d’entre eux n’eurent aucune sympathie pour la Commune. Il tourne aussi le dos à l’imaginaire de la gauche. Tous, à gauche, ne furent pas des partisans de la Commune. Beaucoup la critiquèrent, parce qu’ils la jugeaient trop radicale, malvenue ou prématurée. Mais la plupart condamnèrent la répression atroce que lui réserva le gouvernement de Versailles. Les républicains, même les plus à gauche, se divisèrent à propos de la Commune, mais bien peu auraient osé affirmer que les communards menaçaient la République.

Par ce détour de phrase d’apparence anodine, le Président actuel déplace de façon inquiétante l’imaginaire officiel de l’histoire française. Les républicains d’autrefois se plurent bien souvent à valoriser la continuité étatique de la monarchie centralisée et de la République. Ils n’allèrent pas jusqu’à encenser le gouvernement de Versailles. Ils tentèrent d’en justifier les actes par l’état d’urgence du moment ; ils n’en firent pas un modèle de sursaut républicain.

Le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale votait une résolution qui réhabilitait enfin les communardes et communards durement frappés pendant et après la Semaine sanglante. Elle souhaitait aussi que la Commune soit mieux connue et que ses valeurs soient mises en avant. En choisissant de glorifier le Versailles des soixante-douze jours de la Commune, Emmanuel Macron dit le peu de cas qu’il fait de la volonté majoritaire exprimés par les représentants. Il s’éloigne un peu plus de la gauche. Il tourne le dos à toute une tradition républicaine. Il laisse bien mal augurer de ce que pourrait être, du côté du pouvoir, la commémoration du cent-cinquantenaire prochain de la Commune de Paris. Notre association, pour sa part, veillera à ce que lui soit donné tout son éclat, avec l’appui de tous ceux qui savent que la République s’étiole quand elle oublie les idéaux démocratiques et sociaux qui la fondent.

Les Amies et Amis de la Commune de Paris - 1871

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