Jean Vautrin était, depuis de longues années, un fidèle adhérent de notre association. Depuis que la maladie l’avait un peu éloigné de nous, cet homme chaleureux tenait à nous envoyer chaque année ses vœux de félicitations pour le travail que l’association accomplit afin de faire connaitre la Commune et les idéaux des communards.
Il avait travaillé avec nous lors de ses travaux nécessaires à la construction de son excellent ouvrage « Le cri du peuple » . Lors du festival d’Uzeste proche de chez lui dans le Sud Ouest , où nous tenions un stand de diffusion d’œuvres sur la Commune, il avait était présent une grande partie de la journée avec nous. Après la récente mort de Cabu, notre comité de parrainage est à nouveau lourdement frappé . Il avait soutenu tous nos combats dont celui de la réhabilitation et récemment encore, il avait signé l’appel pour obtenir à Paris une station de métro « Commune de Paris 1871 » . Nous perdons un grand ami tellement proche de notre activité quotidienne.
L’association Amies et amis de la Commune de Paris 1871
Jean Herman, dit Jean Vautrin, était un sacré zigue. La passion de ses œuvres a jalonné ma vie. De Billy Ze-Kick à Boro…
C’était un touche-à-tout talentueux. Il démarra brillamment au cinéma, tourna avec les meilleurs, Roberto Rossellini, Jacques Rivette, Vincente Minelli. Réalisateur à part entière, il dirigea des têtes d’affiche, Alain Delon, Danièle Darrieux, Charles Bronson, Suzanne Flon, Brigitte Fossey, Jean Rochefort, Robert Blin. Il sut mettre en valeur ces ainsi nommés « seconds » rôles, qui constituent les figures les plus populaires et les plus attachantes du cinéma français, Bernard Fresson, Paul Crauchet, Henri Virlojeux, Paulette Dubost et tant d’autres. On aime ou on n’aime pas le cinéma populaire « à la française ». Mais si Jean Herman ne fut pas le plus connu, il fut l’un des plus subtils et des plus originaux.
Il aurait pu être un grand de la pellicule. Au bout du compte, lui qui adapta à l’écran Raymond Queneau déploya tout son talent dans l’écriture. Il fut et resta un scénariste prolixe de Georges Lautner, de Claude Pinoteau, de Jacques Deray, d’Yves Boisset ou de Gilles Béhat. Mais il préféra avant tout suivre les traces d’Alexandre Dumas et d’Eugène Sue. La nouvelle et le roman policier n’avaient pas de secret pour lui. On connaissait un peu Herman le cinéaste. On ne cessa de reconnaître Vautrin l’écrivain. Billy Ze-Kick le projeta sur le devant de la scène. Il ne le quitta plus.
Il est de ceux qui ont donné leur lettre de noblesse au roman populaire contemporain. Il a poursuivi la veine du roman-feuilleton, un peu oublié après les grandes sagas radiophoniques et loufoques de Pierre Dac. Qui avait commencé, en 1987, à arpenter les rues du Berlin de l’entre-deux-guerres avec Boro, reporter photographe, ne pouvait que l’accompagner, séducteur avec canne, à Paris, en Espagne et jusqu’en Palestine, traquant sans relâche la peste brune, avec élégance, distance et sans jamais perdre l’espoir.
D’âme libertaire, Vautrin se passionnait pour le peuple de Paris. Boro fut le personnage fétiche de la dernière partie de sa vie. Mais c’est la Commune de Paris qui révéla pleinement son talent. Son roman de 1998, Le Cri du peuple, nous fit suivre, haletants, les aventures du bel Antoine Tarpagnan, du ténébreux Horace Grondin et de l’éblouissante Gabriella Pucci, présentée comme le modèle de l’Origine du Monde, le tableau sulfureux du communard Courbet. En roman, ce Cri du Peuple était déjà un monument à la gloire du Paris communard. Mais que dire quand, à la verve de Vautrin, s’ajouta le trait de plume subtil et rageur de Tardi ? Rarement s’est opérée une telle symbiose entre un scénariste et un dessinateur. Les trois volumes de ce second Cri du Peuple sont encore plus majestueux que le roman originel, avec la pureté du noir et du blanc, la multitude des personnages et des lieux, la chaleur des quartiers villages, le désordre joyeux des révolutions par en bas. Pour qui connaît la Commune, comme pour qui ne la connaît pas, le grand œuvre de Tardi-Vautrin restera la plus belle référence à l’évènement fondateur, et portant méconnu, d’une République que seule la fibre plébéienne pouvait revigorer et installer dans la durée.
Vautrin était un écrivain populaire. Il n’avait pas besoin de se dire du peuple : il en était. Il aimait la canaille, mais pour en exalter la grandeur, la grandeur et la beauté. Il ne jouait pas le peuple, il le parlait. Et s’il aimait le peuple, ce n’était pas pour le flatter. Vautrin était exigeant : le peuple dont il rêvait était un peuple debout.
En 1968, Jean Herman réalisa Adieu l’ami. Vautrin mort, il nous reste l’Ami du Peuple. Et à tout jamais, son Cri.
« Faut-il attendre que les pauvres soient si pauvres qu’il ne leur reste plus que la révolte ? Un jour, les hardes qui pendent au clou deviennent immanquablement l’étendard de la haine ! »
Roger Martelli