Quand la presse était libre
La comparaison est affolante et incite à pleurer ou à rêver : à Paris en 1871, environ 70 journaux se partagent des lectrices et lecteurs avides non seulement d’informations mais aussi d’opinions contradictoires sur la révolution en cours dans la capitale.
En 2024, 153 ans plus tard, alors que la population est à peine plus élevée dans la capitale française (200 000 habitants de plus qu’en 1871) seuls sept quotidiens et une vingtaine de magazines d’informations générales tentent de séduire des acheteurs de plus en plus rares. Là où les publications écloses avant et pendant la Commune offraient une multiplicité de regards, une polyphonie créative, les médias du premier quart du XXIe siècle semblent pour la plupart atones, frileux, sans doute parce que la plupart d’entre eux appartiennent à une poignée de propriétaires aux intérêts convergents. Le kaléidoscope intellectuel d’alors se fracasse sur l’uniformité éditoriale de maintenant.
Il ne pouvait se trouver thème plus actuel que « La liberté de la presse », choisi par les Amies et Amis de la Commune pour accompagner l’année 2024. Et la personnalité désignée par notre association pour incarner ce thème rassemble toutes les espérances de cette liberté de la presse : André Léo, femme, journaliste, écrivaine, Léodile Béra Champseix de son nom civil, l’une des plumes de la Commune, en particulier dans La Sociale, quotidien du soir paru et disparu avec la Commune, du 31 mars 1871 au 17 mai 1871. Très prolifique, elle y publiait jour après jour un édito, en particulier sur la place des femmes dans la société en devenir, n’hésitant pas à ferrailler avec certains élus ou défenseurs de la Commune, trop misogynes à ses yeux. Toutes avec tous, Pas de conciliation, Les soldats de l’Idée, La Révolution sans la femme, les titres étaient percutants.
André Léo incarne cet autre bond en avant de la Commune, l’irruption plurielle de journalistes et éditorialistes femmes dans la presse : à ses côtés, on trouve les signatures de Maria La Cécilia, Paule Minck, la citoyenne Reidenbreth, ou encore Louise Michel… Certes en 2024, la parité n’est pas loin d’être atteinte parmi les titulaires de la carte de presse, mais dès qu’il s’agit de visibilité, d’égalité salariale, d’échelon dans la hiérarchie, la place des femmes s’effondre. Et avec une concentration économique aussi poussée, la liberté de la presse vit de bien mauvais jours. Alors tentons de recommencer à rêver, comme au printemps 1871.
SYLVIE BRAIBANT
Des articles sur notre site concernant la presse
Commune 1871 : éphéméride - 31 mars La presse pendant la Commune
Commune 1871 : éphéméride 9 avril - La presse communarde: Le Père Duchêne
The Graphic : la vision de la Commune dans un journal anglais de l’époque
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