Décembre 1967, le Président de la République : « envisage l’existence avec confiance », soudainement, la société est contestée, les universités se transforment en forum, la Sorbonne en « Commune », des millions de grévistes occupent les entreprises, paralysent l'économie, des centaines de milliers de manifestants envahissent les rues.
De Gaulle, dans une salve de phrases, retourne la situation. Le mouvement prend fin. Les grévistes reprennent le travail, les groupes gauchistes sont dissous, les universités sont évacuées.
Après dix ans de pouvoir sans partage, asphyxiant toute vie politique, culturelle, barrant toute velléité de transformation sociale, ces événements étaient-ils imprévisibles ?
L'état des choses
Face à une forte croissance, avec des outils peu modernisés, la production et la compétitivité requièrent une nombreuse main-d'œuvre, à rémunération tirée vers le bas. Le chômage est absent. Penser que l'abondance matérielle peut résoudre le problème social, c'est aller vite en besogne. En 1967, les grèves atteignent un niveau impressionnant. Un siècle avant, en 1869, de nombreuses grèves précèdent la Commune de Paris.
L’accès à l’enseignement supérieur reste difficilement accessible aux classes laborieuses et moyennes. Les cours sont dispensés dans des amphithéâtres surchargés. Faute de moyens, les travaux dirigés sont inexistants. Les enseignements sont en inadéquation avec les besoins. Les étudiants sont dans le désarroi et la désespérance, le Quartier latin explose.
Les mots d'ordre de mai 1968 : intervention permanente de la base dans les affaires traitées, en général, au sommet, volonté des insurgés de devenir les maîtres de leur vie, démocratie directe, autogestion, utopie : n'était-ce pas ceux de la Révolution du 18 mars 1871 ?
Le premier mouvement, celui de la jeunesse étudiante, remet en cause la société ; le second, celui des grévistes, reste essentiellement dans les traditionnelles revendications du mouvement ouvrier. Si les objectifs sont complémentaires, en effet pour pleinement réussir, le second dépend des réussites du premier, les stratégies sont différentes et difficilement conciliables Les deux mouvements ne pourront s'unir.
Les acquis
L'université napoléonienne centralisée, uniformisée, visant à former, par sélection des officiers el des fonctionnaires, est condamnée. Les principes directeurs de l'université nouvelle sont démocratisation, décentralisation et autonomie. La fréquentation s'emballe.
Dans les entreprises, les conditions de travail sont améliorées sur les plans : des rémunérations, des congés, des indemnités de licenciement. Au niveau des avancées sociales, les progrès sont plus timides : extension des droits syndicaux, création des sections syndicales d entreprise, modalités de saisine du comité d'entreprise avant tout licenciement, quelques projets concernant la réduction du temps de travail.
Les espoirs évanouis
L’extension des droits syndicaux permettra, pendant la crise de l'emploi, de peser sur les décisions de restructuration et de licenciement. Quelques tentatives éphémères d’accès, en amont, aux choix de gestion des entreprises, sont découragées par les dirigeants. Sans cet accès, reconnu démocratiquement, les décisions restent sous la férule du capital.
En 1871, la Commune, après l’identification des ateliers abandonnés, entrevoit la transformation sociale : par une organisation rationnelle du travail définie par les travailleurs, par la constitution et la généralisation des coopératives, par l’étude des rapports entre les travailleurs et leurs patrons, par la restitution à la masse dépossédée de la propriété de son travail, par l’adéquation entre formation et besoins… Ces travaux font l'objet du décret du 16 avril qui n'a pas vieilli.
Vingt ans après, le bilan universitaire est mitigé : multiplication de diplômés insuffisamment formés, problèmes budgétaires insolubles. Dans un monde où les évolutions techniques et technologiques explosent, l’Education Nationale « fabrique » des diplômés dont l’économie n‘a plus (ou a peu) besoin. L’égalité des chances n’est pas acquise.
Similitudes et différences
Mai 1871 et mai 1968, sont animés par la jeunesse. La Commune de 1871 est d'essence ouvrière dans une période de crise. Le mouvement de 1968, dans une période de forte croissance, est celui d'une jeunesse estudiantine dressée contre l'ordre moral gaullien qui l’étouffe, elle veut un changement de société, une société autre que « la jungle ou le zoo ».
Mai 1968 - les grévistes, en partie, souhaitent participer à la gestion des entreprises, par la pratique reconnue de la démocratie directe, mais en l'absence d‘une volonté politique, les avancées porteront essentiellement sur l'amélioration des conditions de travail.
Mais 1968 a préparé, dans une certaine mesure, la commémoration du centième anniversaire de la Commune, en 1971, par une éclosion artistique et culturelle rappelant cette page de notre histoire.
A défaut d'une révolution introuvable ou impossible, la révolution des meurs aura au moins réveillé les consciences, initié de nouveaux modes de pensées, irradié la société, la remettant en cause. Il y aura bien un avant et un après mai 68.
Bernard Eslinger