De quoi parle-t-on ? Un concept largement dévoyé dans le cadre de la campagne présidentielle. Écouter et flatter l’opinion publique ne crée en rien de nouvelles formes d’action politique. Peut-on bâtir un gouvernement sur le sable de l’opinion ? En exhortant les socialistes à changer leur façon de faire de la politique, Ségolène Royal souligne la fracture qui s’est aggravée entre les politiques et la société. Mais elle ramène le rôle des partis à la conquête du pouvoir et traite le peuple comme un instrument devant lui permettre d’y accéder. Mais, cette démocratie d’opinion, qu’a-t-elle à voir avec la participation des citoyens et des acteurs dans la vie publique et politique ?

Proclamation de la Commune  à l'Hôtel-de-Ville de Paris, 28 mars 1871 (source : L’Illustrated London news du 15 avril 1871)
Proclamation de la Commune  à l'Hôtel-de-Ville de Paris, 28 mars 1871 (source : L’Illustrated London news du 15 avril 1871)

Une crise démocratique

Les socialistes proposeront, s’ils sont élus, un référendum pour changer la République. Pourquoi attendre pour ouvrir le débat, alors que la campagne électorale pourrait être un moment pour des propositions fortes de réformes ? L’acceptation des réformes et des changements doit mûrir dans l’information, la consultation, l’élaboration d’options concrètes avec les citoyens. Notre République a basculé dans une crise démocratique où les partis et leurs élus sont tout dévoués au Président. Celui-ci priorise les thèmes qui ne s’inscrivent pas dans un projet de société. Sarkozy a le mérite de la clarté : il n’est pas pour la participation de la société civile et revendique la présidentialisation de la République. Attention aux lendemains qui déchantent.

Changer de méthode

Écouter les citoyens n’est pas les entendre ; les inciter à des réactions et à des manifestations n’est pas les rapprocher de la politique, ni en faire des partenaires. Un changement de méthode de gouvernement et d’action nécessite une mutation de notre culture démocratique elle-même. La démocratie française repose sur une délégation verticale, pour exiger de l’État qu’il règle tous les problèmes de la société de haut en bas. Quand on nous dit que l’on prépare une série de réformes qui pourraient entrer en vigueur dès le mois de juin, on reste interloqué ! Quelles réformes ? Pour quels objectifs ? La France n’a jamais su réformer ses institutions. Sa gestion publique est inefficace. Son taux d’activité est bas. L’échec de socialisation des jeunes est patent. Le changement est nécessaire ; mais comment le faire mûrir, dans un pays où les peurs sont plus fortes que tous les désirs d’avenir ? En disant la vérité, en faisant appel à leurs responsabilités, en remettant en cause nos comportements, c’est difficile mais c’est vital pour notre démocratie. Sinon, Le Pen répondra à tous ceux qui, sous-informés et désarmés face à l’évolution politique et sociale, par une offre de protection étatique et sécuritaire, illusoire, mais dangereuse.

Pour une démocratie partenariale

On explore depuis des années les voies d’une démocratie fonctionnant avec des acteurs publics et privés qui partageraient les responsabilités de l’éducation, de l’emploi, du développement. Pour cette démocratie partenariale, la réforme de l’Etat est décisive. Nous avons besoin d’une pédagogie à mettre en œuvre et d’un débat d’options pour réussir et construire un marché du travail plus mobile, une éducation plus ouverte, une épargne plus efficace, des services publics rénovés, des structures réorganisées de l’Etat. Pour assurer une meilleure gouvernance, il faut : décentraliser les pouvoirs, supprimer le cumul des mandats, créer des filières d’accès aux responsabilités politiques.

Notre avenir ne peut plus être délégué à un Etat, à un homme ou une femme marqués par l’héritage de la Révolution qui ne reconnaissait rien entre l’État et l’individu. Le dialogue direct de nos candidats avec l’opinion publique semble bien dérisoire face aux besoins d’une société civile responsable et active.

Bernard Eslinger

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