Le 18 mars, la Commune est déclarée. Le 20 mars 1871, une trentaine de ballons qui avaient été utilisés lors du 1er siège sont ramenés de province par les aéronautes Gabriel Mangin et Louis Mutin-Godard. Ils sont entreposés dans les locaux de l’administration des Postes, situés au 61 du quai de Grenelle.

LA CRÉATION DE LA COMPAGNIE D’AÉROSTIERS

Dès le 3 avril, Mangin est requis par la Commune pour donner un avis sur l’utilisation des ballons. Le docteur Parisel, président de la délégation scientifique de la Commune, avalise un projet de Mangin pour des essais avec un ballon. Ces démarches parviennent à la connaissance de Félix Tournachon, dit Nadar, initiateur de l’aérostation pendant le 1er siège. Malade, Nadar ne peut s’impliquer personnellement. Néanmoins, il contacte le 19 avril Félix Pyat (membre de la commission exécutive de la Commune) et lui demande de créer un service de ballons. À cet effet, il a préparé le texte d’un décret portant création d’une compagnie d’aérostiers civils et militaires de la Commune. Le 20 avril, la Commission exécutive décrète la création de cette unité composée d’un capitaine (Jules Duruof), d’un lieutenant (Jean Nadal avec le titre de lieutenant-magasinier général), d’un sous-lieutenant, d’un sergent, de deux chefs d’équipe et de douze aérostiers.

Enlèvement d'un ballon sur la place de l'Hôtel de Ville, 4ème arrondissement, Paris, 21 avril 1871. Photographe anonyme, 1871 (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

Enlèvement d'un ballon sur la place de l'Hôtel de Ville, 4ème arrondissement, Paris, 21 avril 1871. Photographe anonyme, 1871 (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

Le même jour, Duruof est convoqué à l’Hôtel de Ville par Parisel qui lui donne la mission de réunir quai de Grenelle tout le matériel nécessaire à l’aérostation qui est dispersé dans la capitale. Il est décidé de mettre en oeuvre des petits ballons « poste » et non des ballons montés comme lors du 1er siège de Paris (septembre 1870 – janvier 1871). Ces ballonnets doivent servir à la distribution de dépêches en province. L’objectif de Nadar et des responsables de la Commune est de faire connaître en province les buts de la révolution du 18 mars grâce à ces ballonnets.

Ce moyen de communication semble adapté car le gouvernement de Thiers isole Paris et bloque toute communication avec le reste du pays. La Commune de Paris parvient à recréer un service postal en nommant Albert Theisz, élu du 12e arrondissement, directeur du service des Postes, qui prend ses fonctions le 26 mars ; cela malgré la fuite de l’ancien directeur des Postes, Germain Rampont, qui emporte la caisse (200 000 francs), et toutes les planches de timbres. Ce dernier demande à ses agents de rejoindre Versailles avec le numéraire et les valeurs en leur possession. Malgré le manque de cadres, Theisz réussit à remettre sur pied un service postal avec le personnel restant et un sens aigu de l’organisation. Mais le blocus empêche la communication avec l’extérieur.

Theisz raconte :

« Le blocus fut complet… On envoyait des agents secrets jeter des lettres dans des boîtes des bureaux à dix lieues à la ronde ».

À partir du 15 avril, des auxiliaires sont désignés pour aller plusieurs fois par jour déposer du courrier dans les boîtes à Saint-Denis, Vincennes, Charenton, Maisons-Alfort, Créteil et Meaux ! Au-delà des envois postaux par chemin de fer, par camions, on cherche d’autres voies et l’on pense alors aux aérostiers qui avaient rendu de grands services lors du 1er siège de Paris.

LES AÉROSTIERS

DURUOF Jules [DUFOUR Claude, Jules, dit] - Né le 9 décembre 1841 à Paris ; capitaine des aérostiers civils et militaires de la Commune de Paris. Duruof mourut le 12 février 1898 à Esquéhéries (Aisne) (Iconographie Le Maitron)
DURUOF Jules [DUFOUR Claude, Jules, dit] - Né le 9 décembre 1841 à Paris ; capitaine des aérostiers civils et militaires de la Commune de Paris. Duruof mourut le 12 février 1898 à Esquéhéries (Aisne) (Iconographie Le Maitron)

Jules Dufour, alias Dufour, est né le 9 décembre 1841 à Paris. Il habite à Paris et il est aérostier de foire pour gagner sa vie sous le nom de Duruof, anagramme de son patronyme. À la fin de l’Empire, son atelier est situé au 214 de la rue Saint-Maur (11e arr.). Il possède alors deux vieux ballons. Le 18 août 1870, Nadar, Duruof et Dartois, fondent la 1re compagnie d’aérostiers militaires. Le 20 septembre, Gambetta valide la soumission officielle pour la construction des ballons par Dufour.

Le 23 septembre, à 7h du matin, Duruof s’envole de la place Saint-Pierre à Montmartre à bord du Neptune, un vieux ballon usé qui est le premier à quitter Paris. Chargé de sacs de dépêches, il se dirige vers l’ouest et se pose non loin d’Evreux. Il est accueilli par le préfet de l’Eure, à qui il remet trois sacs de dépêches. Duruof vient ainsi de créer la poste aérienne. Resté en province, il se met à la disposition du gouvernement de Tours. Il fabrique de nouveaux aérostats et crée une nouvelle équipe d’aérostiers. Après l’armistice, il regagne Paris. Il participe à la Commune et réussit à s’enfuir en Belgique. De retour à Paris en octobre 1872, il est arrêté pour sa participation à la Commune. Grâce à l’intervention de Nadar, il est acquitté.

Jean Nadal est né en 1830. C’est un artiste-peintre, résistant au coup d’État de décembre 1851. Il est arrêté le 3 décembre 1851 et condamné à six mois de prison et 100 francs d’amende. Il est aérostier en 1870, pilote du Victor Hugo. Il s’élève dans les airs, le 18 octobre 1870, au cri de « Vive la république démocratique et sociale » et atterrit dans l’Aisne avec son courrier. Il participe ensuite à la Commune et meurt fusillé durant la Semaine sanglante.

Louis Mutin-Godard, né en 1847, est un des premiers aéronautes lors du 1er siège de Paris. Il s’envole de Paris assiégé le 16 octobre 1870 à bord du ballon Le Jules Favre n°1 et atterrit à Foix-de-Chapelle (Belgique) cinq heures après. Pendant la Commune, il participe à la construction des ballons. Il se réfugie ensuite en Angleterre.

Jean-Pierre Nadal, né vers 1830 ; artiste peintre ; résistant au coup d’État de décembre 1851 ; communard. Décédé en 1871 (Iconographie Le Maitron - http://www.coppoweb.com/)      Cliche_Mutin_Godard_Agence_Rol.jpg

Jean-Pierre Nadal, né vers 1830 ; artiste peintre ; résistant au coup d’État de décembre 1851 ; communard. Décédé en 1871 (Iconographie Le Maitron - http://www.coppoweb.com/)

 /   Cliché Mutin Godard [reproduction de documents certifiants les services rendus à la patrie par l'aérostier Louis Mutin Godard en 1870] : [photographie de presse] / [Agence Rol] (Source BNF/Gallica)

 

Il faut aussi mentionner François Véron, né le 9 juillet 1836 à La Croix-sur-Ourcq (Aisne). Il habite Paris et est teinturier. Il a servi sept ans dans la marine de l’État et cinq ans dans le 11e bataillon de chasseurs à pied. Il est réformé le 29 juin 1866. Pendant le 1er siège, il est canonnier dans l’artillerie auxiliaire. Au début d’avril 1871, il est nommé maître-canonnier à bord du Perrier, canonnière de la flottille de la Commune. Du 12 au 24 mai, il est employé dans la compagnie des aérostiers de la Commune. Il sera arrêté le 1er juillet 1873 et condamné, le 6 août 1873, à la déportation en Nouvelle-Calédonie.

LES OPÉRATIONS

L’équipe de Duruof est opérationnelle rapidement. Le 21 avril, à 17h30, jour de parution du décret de création de la compagnie d’aérostiers, un premier ballonnet de 120 m3 portant 40 kg de dépêches est lâché depuis la place de l’Hôtel de Ville. Le ballon est muni d’un dispositif permettant de lâcher des paquets à cinq minutes d’intervalle grâce à une bande de toile imprégnée d’une matière combustible. Mais quelques minutes après il s’abîme dans la Seine.

Le 3 mai, à 10h du matin, un nouveau ballonnet est lâché mais il s’enflamme lors de son ascension.

Ayant des Frères dans les deux camps, la franc-maçonnerie s’implique pour la réconciliation des adversaires. Elle le fait d’autant plus que ses valeurs sont aussi celles de la Commune. Les francs-maçons manifestent à trois reprises : le 8 avril, le 22 avril et le 29 avril 1871. Après l’échec de plusieurs tentatives de conciliation, les francs-maçons décident de se rallier à la Commune. Le 29 avril, six mille Frères, représentant cinquante-cinq loges, sont rassemblés au Carrousel. Ils se rendent à l’Hôtel de Ville où a lieu une nouvelle cérémonie au cours de laquelle un ballon libre blanc, marqué des trois points symboliques et de l’inscription « La Commune à la France », est lâché pour semer sur son trajet le manifeste de la franc-maçonnerie. Pour annoncer ce ralliement en province, le 4 mai, de la place de l’Hôtel-de-Ville, un nouveau lancer de ballon eut lieu à 14h, suivi d’un autre à 16h30. Ces ballons sont chargés de circulaires des Francs-maçons destinées aux loges de province, mais, faute de vent, les ballonnets ne peuvent s’éloigner de Paris.

Deux autres documents sont destinés à être diffusés par les ballonnets de la Commune :

le Caractère de la révolution du 18 mars au peuple des campagnes rédigé par Léodile Champseix, dite André Léo, future romancière et le Manifeste de la population de Paris à la province.

Le 6 mai, sur ordre de Paschal Grousset (délégué à la commission des Relations extérieures), Duruof lance un nouveau ballon nommé Jacques Bonhomme, chargé d’exemplaires du texte rédigé par André Léo. Après un décollage réussi, le ballon tombe dans les bois de Cudot dans l’Yonne.

Aucun autre lâcher de ballon n’est attesté formellement après le 6 mai. Mais il est possible que certains soient réalisés car le manifeste d’André Léo a été retrouvé en Seine-et-Marne. Le 11 mai, Duruof s’intéresse au « propulseur à réaction » inventé par un certain Fayol. Il propose que la compagnie des aérostiers aide le citoyen Fayol à mettre son projet à exécution en ce qui concerne l’aérostation. Le 21 mai, il demande à Lependy, commissaire délégué à la fabrication du gaz d’éclairage, qu’on lui amène du gaz dans la cour des Tuileries.

Mais, faute de temps — la Semaine sanglante se déroulant du 21 au 28 mai — de moyens, de vent, l’aérostation de la Commune de Paris n’a pas pu prendre de l’ampleur et permettre à la Commune de communiquer avec l’extérieur.

RÉMI SCHERER

Sources principales :

Histoire de La Commune de 1871, par Prosper-Olivier Lissagaray (Librairie du Travail, Paris, 1929).

Le Maitron : dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social.

Journal officiel de la Commune de Paris du 21 avril 1871.

ICARE n° 77 : La guerre de 1870-1871 (volume II).

La guerre civile et la Commune de Paris en 1871, par Joanni d’Arsac (Curot éditeur, 1871).

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