Des milliers de communards ont traversé la Manche pour fuir la répression et trouver refuge quelque part en Grande-Bretagne. Quelques-uns se sont réfugiés dans des villes provinciales, telles que Manchester, Nottingham, Edimbourg, Clapham, Newcastle. Cependant, le plus grand nombre — plus de 3500 — s’est installé à Londres. À l’époque, Londres est une ville d’accueil et de liberté pour les réfugiés. Mais pour les communards parisiens, il faut survivre dans cette ville anglo-saxonne : problèmes de logement, de travail (d’où l’enjeu de la langue) et même de subsistance pour beaucoup.
À Londres, ils habitent dans un lieu central qui s’appelle Fitzrovia, un quartier sans frontières, ou plutôt avec des frontières mouvantes, avec au sud Oxford Street, au nord Euston Road, à l’ouest Great Portland Street, et à l‘est Tottenham Court Road.
C’est donc principalement dans ce quartier cosmopolite que se trouvent plusieurs lieux de mémoire communards. En effet, ayant la plus grande concentration de réfugiés, Fitzrovia fut le centre des activités des communards.
Beaucoup de ces nouveaux réfugiés politiques se sont dirigés vers Charlotte Street. En effet, le gérant du Bel Epicier, 57 Charlotte Street, Victor Richard, accueille et conseille les communards qui cherchent un logement et du travail. Non loin, toujours dans Charlotte Street, Elisabeth Audinet tient un restaurant populaire, offrant de la bonne cuisine française à un prix raisonnable. Karl Marx et ses gendres, Paul Lafargue et Charles Longuet fréquentent également le lieu. Naturellement, les espions de la République sont aussi présents dans les deux endroits, qui sont des repaires politiques informels.
Mais les communards les plus démunis mangent à La Marmite pour 2 pence. Elle est située au fond de Newman Passage (entre Newman Street et Rathbone Place), et il fallait fournir la preuve d’une participation à la Commune, ainsi qu’utiliser une échelle branlante pour gagner la salle à manger.
Cette coopérative recevait des subventions de l’association des positivistes anglais ainsi que de l’Internationale.
Dans Fitzrovia, les communards ont plusieurs lieux de rencontre et d’échange, notamment des salles de réunions. En 1874, les communards organisent un banquet à Cleveland Hall, au sud de Fitzroy Square, pour accueillir et célébrer Paschal Grousset et François Jourde, évadés de la Nouvelle-Calédonie. Et en mars 1876, ils organisent la commémoration du début de la Commune de Paris ; cela deviendra une tradition pour la gauche londonienne. Dans une atmosphère encore plus internationale et cosmopolite, il y a aussi le Deutscher Club, au 32 Foley Street, qui accueille les communards internationalistes.
Naturellement, nous retrouvons la sociabilité communarde dans les tavernes de Fitzrovia, notamment au Blue Posts Pub, 81 Newman Street, et au Spread Eagle Pub, 6 Charles Street (aujourd’hui Mortimer Street).
C’est au premier étage du Blue Posts que Léo Fränkel parle régulièrement de la Commune. Quant au Spread Eagle Pub, il accueille la Société des réfugiés de la Commune et la Société fraternelle des communards, qui se réunissent aussi au premier étage, le bar étant au rez-de-chaussée, auxquelles participent Édouard Vaillant, Victor Delahaye, Pierre Vésinier, parmi beaucoup d’autres.
Un dernier lieu de mémoire dans Fitzrovia en rapport avec une grande communarde est l’International Socialist School, établie par Louise Michel au 19 Fitzroy Street en 1891.
Enfin, il y a des lieux de mémoire en dehors des frontières mouvantes et symboliques de Fitzrovia. C’est le cas de Bloomsbury, à l’est de Tottenham Court Road que nous pouvons intégrer dans l’imaginaire social et culturel de Fitzrovia. En effet, il y a un lien particulier avec le British Museum dans Great Russell Street. Car c’est la salle ronde (la salle de lecture) du British Museum qui accueille Karl Marx, mais aussi beaucoup de communards, notamment Jules Vallès, P.O. Lissagaray, George Pilotell, Félix Pyat, Paschal Grousset, Albert Regnard, entre autres. C’est aussi au British Museum où beaucoup d’autres exilés, ainsi que des militants anglais, peuvent rencontrer des communards. Et c’est aussi le lieu où Eleanor Marx traduit l’histoire de la Commune de Paris de Lissagaray.
À cet égard, l’historienne Laura C. Forster apporte un éclairage sur l’apport et l’impact des communards dans l’histoire de la gauche à Londres et dans la culture politique du radicalisme dans le mouvement ouvrier anglais.
Voilà de quoi alimenter un éventuel prochain voyage !
MARC LAGANA
Laura C Forster, « The Paris Commune in London and the Spatial History of Ideas », The Historical Journal, 62, 4 (2019), pp. 1021-1044. Cambridge University Press.