En 1871, dès que Paris proclame la Commune, les délégués de l’Algérie, Alexandre Lambert, député des départements d’Algérie, Lucien Rabuel, Louis Calvinhac, déclarent,
au nom de tous leurs commettants, adhérer de la façon la plus absolue à la Commune de Paris. L’Algérie tout entière revendique les libertés communales. Opprimés pendant quarante années par la double centralisation de l’armée et de l’administration, la colonie a compris depuis longtemps que l’affranchissement complet de la Commune est le seul moyen pour elle d’arriver à la liberté et à la prospérité.
Paris, le 28 mars 1871 (Journal Officiel de la Commune de Paris)
En Algérie, depuis le début de l’année, une insurrection a éclaté ; elle a des causes multiples : famine de 1869, oppression et arbitraire de l’administration et de l’armée, dépossession des biens et des terres redistribués aux colons.
Les deux événements historiques ont des liens objectifs entre eux, les insurgés algériens de 1871 et les Communards de Paris ont lutté contre le même gouvernement bourgeois, les premiers pour la libération nationale, contre l’esclavage colonial, les seconds pour la libération sociale contre l’esclavage salarial…
L’insurrection s’étend sur une grande partie du territoire algérien, la Kabylie, les environs d’Alger, les Aurès, ou le Hodna… dirigée, entre autres, par Mohamed El Moqrani Boumezrag, Améziane Ben Cheihh El Haddad, puis ses fils Aziz et Mohamed El Haddad ; elle dure un an, et s’achève en janvier 1872. La répression est impitoyable ; massacres, déportations, condamnations à mort, amendes, séquestres collectifs et individuels, expulsion des tribus de leur territoire. Comme il est écrit, le 1er juin 1871, dans le journal des colons La Vérité algérienne, « l’insurrection fournissait une occasion providentielle pour asseoir une forte domination européenne… », et pour récupérer les terres pour les colons.
Plus de 200 kabyles présumés coupables de l’insurrection sont traduits devant la Cour d’assise de Constantine en 1873, la plupart sont condamnés à la déportation en Nouvelle Calédonie. Louise Michel, débarquée quelques mois plus tôt, écrit dans Souvenir de ma vie leur arrivée :
Nous vîmes arriver dans leur grand burnous blanc, les arabes déportés pour s’être, eux aussi, soulevés contre l’oppression. Ces orientaux emprisonnés loin de leurs tentes et de leurs troupeaux, étaient simples et d’une grande justice, aussi, ne comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi avec eux.
Certains sont dirigés vers l’Île des Pins, qui accueille les déportés simples, d’autres, les déportés en enceinte fortifiées, sont dirigés à Ducos ou à l’île de Nou près de Nouméa où ils sont enchaînés à « la barre de justice » et à qui on verse la soupe dans des galoches. Dans la colonie pénitentiaire, ils sont appelés les « Arabes », puis en tant que groupe de migrants, ils sont entrés dans l’histoire sous le nom des « Kabyles du Pacifique ».
Lorsqu’en 1879 l’amnistie des communards est proclamée, les déportés kabyles en sont exclus ; obligation leur est faite de résider sur le territoire calédonien. À Paris, les communards Rochefort, Allemane, Louise Michel, mènent une campagne active pour leur libération.
L’amnistie tant attendue n’intervient que le 1er février 1895, mais il faut attendre 1904 pour que soit levée l’obligation de résidence. Aziz El Haddad, en fuite depuis une quinzaine d’années, vient à Paris dès février 1895 réclamer la restitution de ses biens ; il s’éteint dans les bras du communard Charles-Eugène Mourot, ancien déporté qui lui a donné asile au 45 du boulevard Ménilmontant, face au Père Lachaise. Les anciens communards se cotiseront pour rapatrier son corps en Kabylie.
La plupart des déportés kabyles resteront en Nouvelle-Calédonie où ils feront souche. On les retrouve aujourd’hui dans la vallée de Nessadiou, à Bourail, à Nouméa, fermiers, chauffeurs de taxi, éleveurs de chevaux ou de moutons, universitaires… et fiers de leurs ancêtres.
LOUIS ET ANNIE GAYAT