Georges Clemenceau (1841-1929) fut témoin de l’insurrection du 18 mars à Montmartre, dont il était maire. Il prêcha la conciliation entre la Commune et Versailles, tout en gardant une amitié fidèle à Louise Michel. Le député s’est montré un fervent artisan de l’amnistie des communards au côté de Victor Hugo.
Le 18 mars 1871, Clemenceau est hostile à la décision de Thiers d’employer la force pour s’emparer des canons entreposés à Montmartre, mais il n’approuve pas la révolte des Parisiens. Muni de son écharpe tricolore, il tente de s’opposer à l’exécution des généraux Lecomte et Clément Thomas, mais arrive trop tard rue des Rosiers. Bouleversé par cet événement, il estime que « l’insurrection a un motif illégal. (…) Paris n’a pas le droit de s’insurger contre la France et doit accepter formellement l’autorité de l’Assemblée » [1]. Le 5 avril, Clemenceau participe à la création de la Ligue républicaine des droits de Paris, avec laquelle il tente une médiation entre la Commune et Thiers, mais avec comme objectif principal de faire rentrer Paris dans la légalité. Après avoir quitté la capitale le 10 mai, il tente en vain d’y rentrer à la veille de la Semaine sanglante, à laquelle il n’assistera pas. « La bataille venait de commencer, et les Prussiens, d’accord avec les versaillais, empêchaient de rester dans la ville ou d’y rentrer. Toutes les avenues conduisant aux portes étaient barricadées », constate-t-il [2]. Au moment où la répression féroce s’abat sur les communards, Clemenceau se réfugie dans sa Vendée natale. Il rentre à Paris le 15 juin et se fait élire conseiller municipal du quartier Clignancourt.
Pour l’amnistie des communards
La bataille pour l’amnistie des communards commence véritablement le 16 mai 1876, lorsque les députés socialistes et radicaux, Raspail, Clemenceau, Floquet, Lockroy et Naquet déposent un projet de loi à l’Assemblée. Mais il faudra attendra le 3 mars 1879, pour que soit votée une amnistie partielle. Elle ne concerne que les condamnés « qui ont été et seront libérés ou qui ont été et seront graciés par le président de la République dans le délai de trois mois après la promulgation » [3]. Victor Hugo et Louis Blanc, respectivement sénateur et député, s’opposent au texte et réclament une amnistie « pleine et entière » pour tous les délits relatifs à la Commune. Jules Vallès et Henri Rochefort, réfugiés à Londres, ainsi que Benoît Malon, exilé en Suisse, publient des articles dans ce sens dans les journaux républicains. Le 21 avril 1879, Blanqui est élu député radical à Bordeaux, mais aussitôt invalidé car il est privé de ses droits civiques depuis sa participation à l’insurrection parisienne du 31 octobre 1870. Clemenceau prend la défense du « Vieux », mais ce dernier n’est pas amnistié. Le 20 janvier 1880, Louis Blanc lance une pétition en faveur de l’amnistie des communards. Clemenceau fait partie des vingt-sept premiers signataires et son journal La Justice publie de nombreux éditoriaux réclamant l’amnistie totale. Elle est finalement votée le 3 juillet 1880 au Sénat et promulguée le 11 juillet. 541 hommes et 9 femmes, dont Louise Michel, recouvrent la liberté et une dizaine de milliers de communards réfugiés à Londres, Bruxelles ou en Suisse, peuvent enfin rentrer en France [3].
Clémenceau et la question des femmes
Clemenceau a été l’ami de deux éminentes féministes, l’une révolutionnaire, Louise Michel, l’autre modérée, Marguerite Durand (fondatrice du journal La Fronde) et a montré de l’intérêt pour le droit des femmes. Malgré cela, il reste un adversaire résolu du suffrage féminin, pensant qu’il aboutirait forcément à la mainmise de l’Eglise sur la politique.
Clemenceau rencontre Louise Michel en octobre 1870 à Montmartre. Il adresse aux instituteurs du XVIIIe arrondissement une circulaire visant à supprimer tout enseignement religieux de leurs écoles. Une institutrice adjointe, Louise Michel, est la seule à lui répondre. Une relation amicale s’établit dès cette première rencontre et dura jusqu’à la mort de Louise. Déportée en Nouvelle-Calédonie, elle entretient une correspondance abondante avec Clemenceau. Dans ses lettres, elle lui demande de s’occuper des enfants des déportés morts au bagne. Elle réclame de l’argent et des livres pour sa classe. Certains de ses courriers sont plus politiques, comme lorsqu’elle attaque le gouvernement Grévy :
Cette République qui porte un masque d’honnêteté sur son visage de prostituée, me fait horreur.
Je regarde la France avec ma vieille expérience de sept ans de Calédonie comme une nation pourrie,
ajoute-t-elle. À son retour du bagne, le 9 novembre 1880, Georges Clemenceau, Jules Vallès, Henri Rochefort, Nathalie Le Mel sont venus l’accueillir sur les quais bondés de la gare Saint-Lazare. Le 21 juin 1883, Louise Michel est condamnée à six ans de prison pour avoir incité au pillage d’une boulangerie aux Invalides à la suite d’une manifestation.
Le Figaro jubile :
On tue les vipères et on ne laisse point les panthères en liberté.
Clemenceau intervient en sa faveur auprès du président de la République. Verlaine écrit sa Ballade en l’honneur de Louise Michel, qui se termine par ces vers :
Citoyenne, votre évangile
On meurt pour ! C’est l’honneur
Louise Michel est très bien. [4]
JOHN SUTTON
Notes
[1] Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, éditions Hazan (1971).
[2] Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, éditions Fayard (1988).
[3] Jacques Rougerie, Paris insurgé, la Commune de 1871, collection Découvertes, Gallimard (1995).
[4] Xavière Gauthier, La Vierge rouge, les éditions de Paris (1999)