Loi sur les échéances

Après quatre mois d’un siège éprouvant, les catégories ouvrières parisiennes ne sont pas les seules à connaître les difficultés de la vie quotidienne. Le monde de l’artisanat et du commerce est lui aussi sévèrement touché par le ralentissement de l’activité, accentué au printemps par la fuite hors de Paris d’une part non négligeable des catégories aisées. Écrasés par le poids de l’endettement, artisans et commerçants sont nombreux à être menacés de faillite. Après le 4 septembre, le gouvernement avait bien allongé les délais de remboursement, mais la majorité conservatrice du 7 février 1871 les avait immédiatement raccourcis le 10 mars.

Façade de la Banque de France sur la rue Croix-des-Petits-Champs (1er arrondissement, Paris). Reproduction d'une gravure parue dans l'Illustration en 1872 (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)
Façade de la Banque de France sur la rue Croix-des-Petits-Champs (1er arrondissement, Paris). Reproduction d'une gravure parue dans l'Illustration en 1872 (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)


Une fois réglés les problèmes urgents des loyers et des logements vacants – l’une des demandes pressantes du monde ouvrier -, la Commune décide donc de s’attaquer à la question délicate des échéances. Mais qui va devoir payer le prix du marasme, les créditeurs ou les débiteurs ?

Le 13 avril, trois projets sont déposés pour être discutés, par le délégué aux Finances, François Jourde, par le doyen de l’Assemblée et délégué à la Banque de France, Charles Beslay, et par le blanquiste Auguste Tridon, alors membre de la Commission exécutive de la Commune. Leur discussion s’avère être une des plus longues (du 14 au 17 avril) et une des plus ouvertes qu’ait connues l’assemblée communale. Elle est préparée par une commission dont le rapporteur est Gustave Lefrançais, membre de la Commission du travail et de l’échange et proche de Bakounine.

Gustave Tridon (1841-1871)  Charles Beslay (1795-1878)  François Jourde (1843-1893)
Gustave Tridon (1841-1871) / Charles Beslay (1795-1878) / François Jourde (1843-1893)


La logique des trois projets est intéressante. Celui de Tridon, présenté par Lefrançais comme le plus « radical », se place ouvertement du côté des débiteurs : il interdit toute poursuite pour non-paiement des échéances et laisse le débiteur libre de décider des conditions qu’il choisira pour honorer ses dettes.

Le projet de Beslay, soutenu alors par Charles Longuet, le gendre de Karl Marx, est celui qui se veut le plus dynamique économiquement. Le doyen de la Commune propose en effet que la gestion de l’ensemble des dettes soit confiée à un Comptoir commercial de liquidation, habilité à convertir les dettes, pour une période provisoire, en quasi monnaie permettant la relance de l’activité économique. La dette est transformée potentiellement en capital apte à se réinvestir ; l’objectif est ainsi de pallier le manque de numéraire que la guerre et le siège ont exacerbé.

Au bout du compte, c’est le troisième projet, celui de Jourde, qui va être retenu. Il est sans doute le plus politique, en se plaçant ouvertement dans une logique de compromis entre créditeurs et débiteurs. Les créances sont maintenues, mais transformées en coupons de remboursement, étalés sur deux ans et payables en huit versements, de trois mois en trois mois. Jourde suit la logique qui est globalement la sienne aux Finances : ne pas heurter la petite propriété et tarir les sources de financement. « Le commerce doit être fondé sur la confiance et la bonne foi réciproque », explique-t-il à ses collègues de l’assemblée communale. Il est en cela ouvertement et ostensiblement soutenu par Leo Fränkel :

Il faut avant tout donner du temps aux petits commerçants, afin d’empêcher les faillites.

Au bout du compte, le projet de Jourde est approuvé le 17 avril, « à l’unanimité moins sept voix », précise le procès-verbal de la séance. Sur le dossier des échéances, comme sur beaucoup d’autres, la Commune fait preuve d’un pragmatisme volontaire, consciente qu’elle est d’un rapport des forces complexe. Si la masse ouvrière et le républicanisme avancé de la capitale autorisent et même exigent l’audace sociale, les nouveaux dirigeants doivent tenir compte d’un environnement social et politique national moins favorable. Aux yeux du plus grand nombre des communards, toutes sensibilités confondues, le « socialisme » largement revendiqué du moment ne doit pas faire oublier que l’adversaire versaillais joue encore sur une peur des « partageux » qui ne touche pas que les bien-pensants et que, si elle doit être « démocratique et sociale », la République doit d’abord obtenir une majorité du corps électoral. Au fond, qu’importe que la décision communale soit réputée « radicale », si elle ne trouve pas les conditions politiques de son maintien.

Ce pragmatisme lui sera reproché, par les « internationalistes » comme par les « blanquistes ». Mais l’on sait que Marx lui-même est revenu sur une part de ses jugements initiaux. Au printemps de 1871, il fait à plusieurs reprises reproche à la Commune de n’avoir pas assez osé, d’avoir fait preuve de trop de « magnanimité ». En 1881 néanmoins, dans une lettre au socialiste néerlandais Ferdinand Domela Nieuwenhuis, il n’hésite pas à tourner le dos à ses propos antérieurs, se demandant si la Commune, « qui n’était pas socialiste et ne pouvait pas l’être », n’aurait pas dû chercher à obtenir « un compromis utile à toute la masse du peuple », pour ne pas finir dans un bain de sang.

 

Le texte de la loi

Journal Officiel de la Commune du 18 avril 1871 - Loi sur les échéances
Journal Officiel de la Commune du 18 avril 1871 - Loi sur les échéances

 

 

Napoléon la Cecilia et Marie David 

Napoléon La Cécilia (1835-1878)
Napoléon La Cécilia (1835-1878)

La Commune de Paris fascine par l’ampleur de l’œuvre sociale engagée en un temps aussi court. Elle fascine également par les fortes personnalités qu’elle attira à elle. On a parfois l’impression que de tels personnages ne peuvent plus exister aujourd’hui, que le moule est cassé !
Parmi eux Napoléon La Cecilia. De père italien et de mère corse, il nait à Tours le 13 septembre 1835. Après des études à Ajaccio puis à Paris, il devient mathématicien et philologue.

Il est réputé capable de parler 25 langues, professe les mathématiques à l’Université d‘Ulm, enseigne le sanscrit à Naples, etc.

Portrait-caricature de Napoléon la Cécilia. (source AD37 230J 850)
Portrait-caricature de Napoléon la Cécilia. (source AD37 230J 850)

Ce portrait-charge de Napoléon la Cécilia (à droite), dessiné par Klenck fait partie d'une série d'une soixantaine de portraits, publiés dans le Journal La Commune. Il est en uniforme militaire, la main appuyée sur une pile de livres, avec le titre d'un ouvrage : Traité de la pulvérisation du ver blanc.
Le nom Fort d'Issy fait allusion à la bataille du Fort d'Issy qui eut lieu du 29 avril au 9 mai 1871 entre les Versaillais et les Fédérés, dont fait partie Napoléon La Cécilia et qui malgré sa résistance le 30 avril dut capituler. Derrière lui, une bannière indiquant les langues parlées par Napoléon La Cecilia : français, anglais allemand, espagnol, italien, turc, arabe, hébreu, hotentot, javanais, hongrois, slave, argot , chinois, versaillais, turcamort, grec, latin, gascon, auvergnat, patois, belge, portugais, mouftardien, indien, batignollais, alsacien, francomtois, abyssinien et sa réponse aux assaillants :

Je ne rendrai le fort qu'à celui qui pourra me répondre à tous ces idiomes.

En 1860, il s’engage dans la légion de Garibaldi et y gagne le grade de Colonel. Il revient en France en 1870 et se marie avec Marie David le 3 septembre 1870. Au lendemain du 18 mars il devient chef d’état major du général Eudes. Le 24 avril il est nommé général et mis à la tête de l’armée du Centre.

Sa femme Marie David, née en 1839, est une institutrice amie de Louise Michel et d’André Léo. Elle a une vie militante affirmée puisqu’elle est secrétaire de la Société de la revendication des Droits des femmes. Elle accouche d’une petite fille le 28 mars, jour de proclamation de la Commune. Petite fille qui mourra à la fin de la semaine sanglante. Incroyable destin.
Marie réussit à fuir en Belgique où son mari la rejoint après avoir combattu sur les dernières barricades. Ils se dirigent alors vers le Luxembourg où ils sont accueillis par Victor Hugo. Ils vont enfin rejoindre Londres, où ils auront un fils.
Malade, La Cecilia part pour l’Egypte en 1875, en quête d’un climat plus propice mais il y meurt de tuberculose en 1878. Il est enterré à Alexandrie dans l’endroit réservé aux mécréants.

Décès de La Cécilia en 1878 à Alexandrie
Décès de La Cécilia en 1878 à Alexandrie

Marie La Cecilia rentre en France, où elle survivra difficilement avec son fils. On ne connait pas la date de son décès.

 

Pour approfondir la connaissance de Napoléon la Cécilia et Marie David : 

Un article de Marcel Cerf dans notre site :
https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/illustres-communards/521-napoleon-et-marie-la-cecilia

La fiche du Maitron sur Napoléon la Cécilia :
https://maitron.fr/spip.php?article163904

La fiche du Maitron sur Marie la Cecilia née David
https://maitron.fr/spip.php?article62842

Un article de Michèle Audin paru dans notre bulletin
https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-femmes-de-la-commune/558-marie-david-femme-la-cecilia

Un article des archives de Touraine sur Napoléon la Cecilia
https://archives.touraine.fr/editorial/page/48c58a7e-4e28-4bff-98d4-57bf2782e56c

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