Né le 9 septembre 1844, à St-Brieuc, L.N. Rossel est d'origine écossaise par sa mère, née Sarah Campbell, et cévenole et protestante du côté de son père Louis, lieutenant du 4e régiment d'infanterie légère. « Il appartient donc à une communauté longtemps persécutée. Son père, bien qu'officier, vota non au plébiscite, refusant l'Empire. Louis hérita cette rigueur, cette sévérité » souligne Bernard Noël.
Il entra au Prytanée de La Flèche en 1855, puis à l'École polytechnique en septembre 1862. Il en sortit le 30 août 1864 ( 12e sur une promotion de 131), avec le grade de sous-lieutenant, élève du Génie à l'École impériale d'application de l'artillerie et du génie. Le 1er octobre 1866, il fut nommé lieutenant en second dans le corps du Génie en garnison à Metz. Il fut ensuite envoyé à Montpellier, puis à Bourges, où il passa capitaine le 5 août 1869.
De cette jeunesse, nous avons trace dans sa correspondance de collégien avec ses parents depuis La Flèche (octobre 1856), avec sa « chère petite soeur » Isabelle ou avec sa tante (5 mai 1861) . Il a été publié aussi ses lettres de jeunesse à l'école d'applicationde Metz du 26 janvier 1865 au 13 mai 1866. Sa vie de garnison à Montpellier et à Bourges est relatée depuis Montpellier (du 28 novembre au 21 décembre 1868) puis à Bourges (du 27 février 1869 au 1er août 1870)
Quelques extraits :
Bourges, 5 avril 1869
Je suis allé me promener ce soir le long du canal. Ce pays est coupé de canaux dans tous les sens; c'est le canal du (NDLR, il faut le nommer canal de Berry) Berry qui passe ici ; les deux bords en sont élevés au-dessus de la plaine et sont bordés de peupliers en dehors du chemin de halage. C'est une jolie promenade mais le beau monde n'y vient guère, sans doute parce qu'il faut traverser pour y arriver le faubourg où sont les usines. Je n'ai rencontré que les bateaux qui descendaient le canal traînés par des petits bourriquets, des hommes, des femmes ou des enfants; il y en avait un qui n'offrait pour tout équipage que deux femmes, un enfant et un âne. La bête a pour habitation une toute petite cabane au milieu du bateau, les gens une cambuse aussi petite à l'arrière. On voit la fumée de leur cuisine sortir par un bout de tuyau.
Bourges, 25 mai 1869
Mon cher père, (...) Voici le premier acte des élections joué; je ne te demande pas si tu as voté pour le candidat clérical. Nous ne savons pas encore tous les résultats, mais dans le Cher, qui est un pays tranquille et dévoué, il y aura probablement un député radical sur les trois, et dans les autres circonscriptions, il y a beaucoup de voix qui se sont portées sur les candidats démocrates.
On voit, d'après les élections de Paris, qu'il y a encore des gens qui n'ont pas pardonné au gouvernement et qui ne redouteraient pas une révolution....
Bourges, 5 mai 1870
Mes chers parents(...) Dans ce pays d'usines, les opinions sont très accentuées. C'est là que fleurissent Gambon avec sa vache, Félix Pyat et autres du même acabit; il en résulte que beaucoup d'honnêtes gens sont forcenés conservateurs. Ce nom de conservateurs y est d'ailleurs fort juste, car ils ont de belles grosses fortunes à conserver, et d'autant plus chères qu'ils les ont gagnées eux-mêmes... »
Lorsque la guerre éclata (19 juillet 1870), Rossel demanda à partir se battre. Il fut envoyé à Metz, comme capitaine en second. Alors que Bazaine était sur le point de se rendre, déçu par l'attitude défaitiste de ses chefs, Rossel lança un appel à la lutte. Il est fait prisonnier le 28. Le 29 octobre, il quitta Metz, parvint à traverser les lignes prussiennes pour aller rejoindre Gambetta à Tours, en passant- quelle grande évasion- par le Luxembourg, la Belgique et l'Angleterre. Freycinet l'envoya d'abord renforcer l'armée de Bourbaki dans le Nord, puis lui confia la fonction de chef du Génie au camp de Nevers. Le 12 décembre, il fut nommé colonel. Le 26 janvier, il refusa d'être fait chevalier de la Légion d'Honneur. Le 29, il lance un appel à la guerre à outrance.
Sous la Commune
18 mars 1871: il est à Nevers.
Le 20, il gagne Paris pour rejoindre le camp de la révolution, « de celui qui n'a pas signé la paix » Il démissionne de l'armée. Présenté par des Amis au Comité du XVIIe arrondissement, il fut élu le 22 mars, chef de la 17e légion. Le 1er avril, il tenta contre Courbevoie une action qui échoua. Pour renforcer la discipline, il prit des mesures qui déplurent au Comité d'arrondissement et entraînèrent son arrestation le 2 avril au matin. Le lendemain , il fut libéré par Cluseret, qui venait d'être nommé délégué à la Guerre et lui proposa d'être son chef d'état-major. Rossel choisit Léon Seguin, franc-maçon, ancien franc-tireur, pour le seconder.
Responsabilités et activités :
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- Direction de la commission des barricades.
- Présidence de la Cour martiale (initiative de Cluseret). Démission le 26 avril en raison de l'inefficacité des condamnations à mort, cassées par la Commune.
- Élections complémentaires du 16. Candidat dans le VIIIe : non élu.
- Il ne trouva pas Cluseret à la hauteur et lui présenta 2 fois sa démission. une première fois refusée, elle fut acceptée la seconde fois le 27 avril.
- Ce même jour, Rossel assista à une réunion tenue secrète, avec Dombrowski, Wroblewski et Charles Gérardin (commission de sûreté générale , relations extérieures, délégué militaire à la mairie du VIIe). Il fut envisagé une dictature de quelques hommes « jeunes et énergiques ». Gérardin prendrait les Relations extérieures pour soulever la province, Dombrowski le commandement de la Garde Nationale et Rossel, la Guerre. Le refus d'Aminthe Dupont ( commissaire de police de l'Hôtel de ville) fit échouer le projet.
- 29 avril au soir : La Commission éxécutive sonda Rossel sur ses compétences et ses idées. Le 30, lorsque Cluseret fut arrêté pour trahison, Rossel est nommé à sa place.
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- Délégué à la guerre
- Dès son arrivée, il convoqua un conseil de guerre, fit état des effectifs, des emplacements et des mouvements.
- Il envisagea de constituer un corps d'inspecteur aux revues pour visiter les troupes et vérifier les magasins.
- Il décida la dissoluion du Comité central de l'artillerie, jugé impuissant.
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- Il fut entravé dans ses fonctions par le Comité de Salut public et par le Comité central.
- Il nota aussi l'incapacité des commandants à réunir suffisamment d'hommes pour tenter une offensive le 8 mai.
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- Désabusé, il donna sa démission le 9 mai.
- Notre Ephéméride traitera le 10 mai du cas Rossel devant le Conseil de la Commune
- Le procès Rossel par les Versaillais
- Il ne prit pas part à la Semaine sanglante. Réfugié à l'Hôtel Montebello, 54, boulevard St-Germain, sous une fausse identité, il fut arrêté le 7 juin sur dénonciation.
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- Il comparut le 18 septembre devant le 3e Conseil de guerre assisté de Me Joly.. Il fut condamné à mort avec dégradation militaire, à l'unanimité. Sa condamnation par le 3e Conseil de guerre fut annulée, car elle avait été prononcée pour " désertion à l'ennemi " alors qu'il s'agissait " de rebellion armée ".
- Traduit cette fois devant le 4e Conseil de guerre, il fut pareillement condamné à mort, le 7 octobre 1871.
- Tous ses recours échouèrent, malgré une campagne d'opinion en sa faveur: pétitions, manifestations étudiantes, interventions diverses , mais sa grâce fut refusée le 26 octobre. Il fallait faire un exemple.
- 3 officiers supérieurs, seulement, de fin octobre 1871 à août 1939, furent jugés sous la IIIe République: Bazaine, grâcié, Dreyfus, condamné puis grâcié et Rossel le seul à avoir été passé par les armes.
- Il fut exécuté le 28 novembre 1871 à Satory, en compagnie de Bourgeois et Ferré, par des balles françaises.
Une photo-montage, fabriquée plus tard, rappelle cette exécution.
Chaque année, une céremonie a lieu à cette date au cimetière protestant de Nîmes, où Rossel repose, à laquelle participe le comité local des Amies et Amis de la Commune du Gard.
Nous nous sommes servis pour cette biographie de Rossel de 2 contributions :
Le Dictionnaire de la Commune par Bernard Noël (édition de 1971), Fernand Hazan, réédition Flammarion, 1978 et édition de l'Amourier, 2021
Conclusion de Bernard Noël :
Il y a une légende de Rossel, qui consiste à en faire une sorte de Rimbaud de la chose militaire. C'est absurde ! Rossel est l'anti-Rimbaud : il ne se révolte que parce que l'ordre s'écroule, parce que le monde change. C'est une réaction, et qui le porte seulement par hasard dans le camp de la Révolution, qu'il abandonne d'ailleurs faute d'y trouver un nouvel ordre, rigide à l'égal de l'ancien.
La Commune de Paris 1871, les acteurs, l'évènement, les lieux, coordonné par Michel Cordillot. La biographie Rossel est signée Florence Braka.
Conclusion de Laurence Braka :
Pour Léon Seguin, son chef d'état-major, Rossel faisait preuve d'" une puissante intelligence "; quant au père Duchêne, il reprocha à la Commune d'avoir sacrifié Rossel. Pour Marx, enfin, Rossel était un ambitieux.
Sur le plan des idées, il était libéral et républicain, mais pas socialiste. Pourtant, il manifesta de l'estime pour différents membres de la Commune ( Varlin, Jourde, Grousset, Delescluze), et il éprouva de la sympathie pour Gérardin, Malon et Avrial. Son premier contact avec le monde ouvrier datait de 1867. Il 'impliqué dans la Ligue de l'enseignement. Dans ses écrits en prison, il se montra sévère avec la bourgeoisie " qui n'a rien fait pour le peuple ". il comprenait les revendications sociales mais pensait que le peuple n'était pas capable de gouverner, car il lui manquait l'instruction. À la veille de mourir Rossel écrivait ceci: " Si c'était à recommencer, il est possible que je n'irais pas servir la Commune, mais il est certain que je ne servirais pas Versailles "
Sources et bibliographie
Archives nationales, fonds privé 287 AP
Rossel, papiers posthumes, recueillis et annotés par Jules Amigues, Pari, éd. Lachaud 1871: contient " Timothée, folie. Ceci est une fine et charmante satire de nos institutions et de nos moeurs politiques, de l'ignorance du suffrage universel et des facilités que cette ignorance offre aux ambitieux et aux intrigants, de l'impudence des journalistes et des politiqueurs, de l'irrésistible séduction qu'exerce sur notre tempérament français la tradition monarchique. Les alllusions à l'actualité n'y manquent pas, spirituelles sans être amères. Mais ce qui imprime à cette jolie bluette un caractère dramatique singulier et peut-être sans analogue, ce sont les circonstances dans lesquelles elle a été écrite. Timothée est daté du 20 septembre{1871} : il y avait 12 jours à cette date, que Rossel était condamné à mort. Jules Amigues. "
Le ministère de la guerre sous la Commune par Léon Seguin, Paris, éd. Chelu, 1879
Le ministère de la guerre sous la Commune par Jules Borelli, Paris , 1911
Mémoires et correspondances de Louis Rossel (1844- 1871) sans nom d'auteur, mais, préface de Victor Margueritte, Paris, éd. Stock, 1908
Rossel(1844-1871) Mémoires, procès et correspondance présentés par Roger Stéphane, Paris, éd. Jean-Jacques Pauvert, 1960
Rossel par Edith Thomas, Paris, éd. Gallimard, 1967
Les hommes de la Commune par André Zeller, accompagné d'une pochette iconographique, tirée à part, Paris, éd. Cercle du nouveau livre d'histoire, Hachette, 1969. Le comité local des Amies et Amis du Berry de la Commune de Paris- 1871 a reçu, par la famille d'André Zeller, le fonds qui a permis l'écriture du livre, en prison. Ce fonds reste à dépouiller, à inventorier et à classer.
Un 2e ouvrage Le journal d'un prisonnier, tiré des carnets de prison, annotés par son fils Bernard Zeller est paru aux éd. Taillandier, 2014. Le général Zeller est un admirateur de Rossel et de nombreuses notes en font mention.
1871. La Commune et la question militaire, textes choisis et annotés par Patrick Kessel, Paris, UGE, 1971
Chants de révolte par Rosalie Dubois 1978-1982, réédité en CD par éd. EPM, 2008. Ce CD contient la Complainte de Rossel, texte anonyme, musique d'après A. Thomas.
Histoire de la Commune de 1871 par Prosper- Olivier Lissagaray, Paris,éd. La découverte, 1996. Les chapitres XX et XXI sont consacrés à Rossel
Le roman de Rossel par Christian Liger, Paris, éd.Robert Laffont, 1998. L'auteur est nîmois et protestant.
La Commune et l'officier, Louis-Nathanaël Rossel(1844-1871) par Gilbert Maurey, Paris, éd. Christian 2004
Les Bretons et la Commune de Paris par Charles des Cognets, Paris, éd. l'Harmattan, 2012. Rossel est noté 60 fois.
La Commune et les Communards du Cher 1871 par Jean-Pierre Gilbert, membre de l'association des Amies et Amis de la Commune de Paris-1871, La Borne en Berry, éd. l'Alandier, 2020. Rossel a résidé à Bourges. J-P Gilbert y consacre 4 pages. il y rappelle que Charles de Gaulle(le fil de l'épée) ou Jean-Pierre Chevènement ont été attirés par le parcours de Rossel
Louis- Nathaniel [sic] Rossel, oeuvres posthumes d'un héros de la Commune, fusillé pour l'exemple à l'âge de 27 ans. avant-propos de Pierre-Yves Ruff, St-Martin de Bonfossé, éd. Theolib, 2014. C'est, hors la préface, la réédition du livre de 1871 annotée par Jules Amigues
Une pièce de théâtre est disponible actuellement pour une lecture-passion, par le comité du Berry: La Butte de Satory, de Pierre Halet, poète tourangeau, révélé par Gabriel Monnet à la Maison de la Culture de Bourges, dès 1963. La Butte de Satory, chronique en 3 parties, consacrée à Rossel a été éditée au Seuil, 1967. Elle a été représentée au Palais de Chaillot du TNP, en 1967, salle Gémier, par la compagnie Jean-Pierre Miquel
De films :
Louis Rossel et la commune de Paris de Serge Moati - 1977 : http://php88.free.fr/bdff/image_film.php?ID=6091
Jean Prat pour l'ORTF en 1966 : Le Destin de Rossel ( joué par Sami Frey ) sur un scénario de Stéphane d'après les mémoires et la correspondance de Louis Rossel. Il est visible sur la plate-forme de l'INA pour les abonnés (mais on peut s'abonner à un premier mois gratuit)