Les barricades
Impossible d’imaginer une révolution parisienne sans barricades.
Pendant la Commune, la question des barricades fut très fréquemment soulevée. Elles se firent en trois temps.
Une première période du 18 mars 1871 jusqu’au 28 mars quand la Commune se fut installée et qu’il s’est agi de mettre Paris à l’abri d’un retour offensif de l’armée versaillaise.
Alors, on érigea à la hâte et sans trop de méthode quelques barricades dans les quartiers populaires en dépavant la chaussée afin de construire un mur barrant la rue et doté d’embrasures pour les canons quand cela s’imposait. Le tout, garni de pavés et d’un peu de terre. Elles seront pour la plupart inefficaces et détruites car elles gênaient la circulation. On sait, par exemple que le 18 mars, les gardes nationaux durent démonter plusieurs d’entre elles pour laisser passer le convoi funéraire du fils de Victor Hugo.
Aussi, pour permettre le passage des voitures, d’attelages d’artillerie et des charrettes, on confectionna des entrées en chicane. C’était le cas notamment devant l’Hôtel de Ville.
La deuxième période se situe après la sortie des 3 et 4 avril jusqu’à l’entrée des Versaillais dans Paris.
L’armée de la Commune quelque peu démoralisée par cet échec, se cantonne de plus en plus dans une stratégie purement défensive préconisée par le général Cluseret (1823-1900) délégué à la Guerre. La Commune l’a d’ailleurs incité à adopter une telle méthode puisqu’elle déclare, en blâmant l’offensive du 3 avril, qu’elle entend tenir désormais les opérations militaires sous sa direction, et ordonne à Cluseret de rester sur la défensive.
Les barricades devaient faire partie du système défensif de Paris. Elles devaient suppléer le silence des forts, évacués ou pris d’assaut. C’était la base même de la guerre des rues qu’on devait non seulement prévoir mais préparer, organiser à l’avance. (Lepelletier, E. Histoire de la Commune de 1871 tome III, (Mercure de France, 1913 p. 375).
À la séance de la Commune du 8 avril 1871, Cluseret demande d’urgence qu’il soit constitué une Commission des barricades. Cette proposition mise aux voix est adoptée à l’unanimité. Le Journal Officiel de la Commune du 9 avril publie seulement l’ordre suivant à ce sujet :
« Une Commission des barricades, présidée par le commandant de place et composée des capitaines du génie, de deux membres de la Commune et d'un membre élu par chaque arrondissement, est instituée à partir du 9 avril à 1 heure.
"Paris, le 8 avril 1871 Le délégué à la Guerre, E. CLUSERET » |
Voir le J.O. du 8 avril sur archivesautonomies.org
On édifia quelques barricades avec talus, fossés et banquettes de tir, rue Royale, place de la Concorde ou place Vendôme. Mais c’est sans méthode que l’on construisit celles des rues de Neuilly, Clamart ou aux portes de Paris. Ainsi Porte Maillot, les artilleurs mal protégés derrière leur barricade ne purent résister longtemps au feu versaillais venu des batteries du Mont Valérien.
La première séance de la Commission des barricades eut lieu le 12 avril sous la présidence du colonel Rossel. On convient de commencer par démolir les barricades du 18 mars pour les remplacer par un nouveau système de défense.
La Commission arrête « la forme et la dimension de deux types de barricades : l’un pour les grandes voies de communication, l’autre pour les petites rues. Les mesures du fossé, du talus et de la banquette sont rigoureusement déterminées. Elle avait prévu aussi, ce jour-là, divers emplacements de mines et le poids exact de poudre qu’il convenait d’y disposer à titre de charge ». Noël, Bernard « Dictionnaire de la Commune (Paris, Mémoire du Livre, 2000). Les normes furent ainsi définies :
« Profondeur du fossé, 2 mètres. Largeur, ce qu’il faudra pour le massif. Hauteur de la barricade, 4 mètres. Epaisseur en haut, 6 mètres. Largeur de la banquette de tir, 2 m 50. Talus du côté de l’ennemi, 4 mètres de base. Talus montant à la banquette, 5m50 de base. Epaisseur totale, 19 mètres. Hauteur du massif de pavés, 2m50. Epaisseur au pied, 15 mètres. Epaisseur en haut, 7m50. Fossé intérieur, ad libitum. Le dessus de la barricade et le dessus du massif de pavés, doivent être en pente du côté de l’ennemi. Mêmes indications pour les petites rues en dimensions moindres. » (Noël B., op.cit.)
Ce nouveau modèle de barricade, conçu par des ingénieurs et réalisé par des spécialistes, est sans doute inspiré par Rossel, officier du Génie. La barricade-forteresse de 1871 contraste totalement avec celles improvisées des révolutions antérieures.
Jules Vallès (1832-1885) s’en fait l’écho dans son drame en cinq actes intitulé La Commune de Paris. L’un des personnages déclare que l’ancienne barricade a fait son temps mais que, pourtant, « si elle était couverte, blindée, montée sur roues/.../ » elle serait alors un moyen moderne de défense remarquable.
La Commission décide que le procès-verbal de la séance sera publié et affiché, à l’exception des mesures qui règlent l’emplacement et la stratégie des barricades.
(Voir le J.O. du 13 avril sur archivesautonomies.org)
Le 30 avril, la décision est prise de révoquer Cluseret de ses fonctions de délégué à la Guerre et de le remplacer par Rossel (1844-1871). Celui-ci donne pleins pouvoirs à Napoléon Louis Gaillard (1815-1900) dit Gaillard père qui prend la tête de la Commission des barricades.
Paris, 30 avril 1871
ORDRE Le citoyen Gaillard père est chargé de la construction des barricades formant une seconde enceinte en arrière des fortifications. Il désignera, ou fera désigner par les municipalités, dans chacun des arrondissements de l’extérieur, les ingénieurs ou délégués chargés de travailler sous ses ordres à ces constructions. Il prendra les ordres du délégué à la Guerre pour arrêter les emplacements de ces barricades et leur armement. Outre la seconde enceinte indiquée ci-dessus, les barricades comprendront trois enceintes fermées ou citadelles, situées au Trocadéro, aux buttes Montmartre et au Panthéon. Le tracé de ces citadelles sera arrêté sur le terrain par le délégué à la Guerre, aussitôt que les ingénieurs chargés de ces constructions auront été désignés.
Le délégué à la Guerre,
ROSSEL.
Voir le J.O. du 1er mai : archivesautonomies.org
Pour la construction des barricades, Gaillard père est autorisé à engager des compagnies spéciales formées de travailleurs spécialisés, encadrés par des techniciens éprouvés. Ces compagnies composeront un bataillon dont il prendra le commandement.
À sa dissolution, le 15 mai 1871, le bataillon des barricadiers était à moitié formé et comprenait 800 hommes et 40 officiers.
C’est à lui que l’on doit la grandiose barricade entre la rue de Rivoli et la rue Saint-Florentin, baptisée par ironie « Château-Gaillard ».
Cette barricade était percée de cinq embrasures. Elle masquait un chemin couvert derrière lequel se trouvaient de nouvelles fortifications. Le tout constituait une double masse de terre enfermée dans des sacs et dans des tonneaux. Hans L., Second siège de Paris (Paris, A. Lemerre, 1871 p.144)
Sur deux étages avec bastion, redan, courtine et fossé large et profond devant le talus, le château Gaillard en imposait :
« Pendant que Gaillard élevait, à la grande joie des badauds, les forteresses secondaires de la rue de Rivoli et de la rue Castiglione, les points véritablement stratégiques du Trocadéro, de l’Arc de triomphe, de la butte Montmartre, etc. restèrent à peu près dégarnis. » Lissagaray, P.-O, Les huit journées de Mai derrière les barricades (Bureau du Petit Journal, Bruxelles 1871).
Gaillard, qui ne doute pas de ses capacités, n’accepte aucun conseil et refuse la tutelle du Génie militaire. Il est critiqué et ses méthodes sont contestées. « Nombreuses furent les protestations des particuliers constatant que les mesures arrêtées, il n’y avait que peu ou pas du tout de travaux. » (Noël B, op.cit.).
Le 15 mai, Delescluze nouveau délégué à la Guerre l’invite à démissionner.
À la mi-mai, outre le château Gaillard, il existe une quinzaine de barricades, plus ou moins achevées, construites par les délégations d’arrondissement. Seules celles de la place Vendôme, de la place de la Concorde et du Trocadéro ont été édifiées sous la direction effective de Gaillard. (Cerf Marcel, la barricade de 1871, Paris éditions de la Sorbonne, 1997).
Mais ces ouvrages dispersés sont insuffisants, et la reprise en main par le Génie militaire est généralement bien accueillie. « /.../ Un ancien chef d’état-major constate :
En ce qui concerne les travaux de barricades et lignes défensives en général, je constate le plus heureux et le plus complet changement grâce à la très intelligente direction du Génie militaire tant dénigrée dans certains groupes malveillants, les travaux d’amateurs, absurdes mais très coûteux, ont cessé. (Archives du ministère de la Guerre, Ly 34).
À la séance du conseil de la Commune du 19 mai, la gestion de Gaillard père est fortement critiquée par Louis Chalain (1845-1895), élu du XVIIème arrondissement :
Il a été dépensé deux millions en achats de chiffons, par le citoyen Gaillard, pour faire des barricades. Je comprends qu’on fasse des barricades avec du fumier et du sable, mais avec des chiffons... La barricade de la place de la Concorde a coûté à elle seule quatre-vingt mille francs. (Procès-Verbal., t. II, p. 418).
Des sommes importantes ont été engagées pour la construction des barricades et l’installation des batteries. La démolition du tunnel de la Porte Maillot a coûté 12 000 F (Archives de la Guerre, Ly 25).
On a éprouvé des difficultés à recruter la main d’œuvre nécessaire, alors que les soldats désarmés de l’armée régulière, les réfractaires et une partie de la Garde nationale sédentaire auraient pu être employés utilement à l’exécution des travaux de défense. (Cerf Marcel, op.cit.)
Le 16 mai, Cluseret, détenu à l’Hôtel de Ville, avait en effet obtenu l’autorisation de constater sur place si les ordres donnés à Gaillard père avaient été exécutés. il insista sur l’urgence de fortifier particulièrement les abords de la place Wagram et souligna la faute énorme d’avoir laissé envahir le bois de Boulogne et préconisa une troisième ligne de défense allant du pont de la Concorde à la Porte Saint-Ouen. (Cerf Marcel, op.cit.)
Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, le Journal Officiel publie le 19 mai cet avis du ministère de la Guerre :
« Les ouvriers qui savent faire des gabions, fascines et clayonnages peuvent se présenter tous les jours à la direction du Génie, 84 rue Saint-Dominique-Saint-Germain. Le prix de la journée qui leur sera alloué pour ce genre de travail est de 5 francs ».
« Les citoyens qui veulent concourir à la défense de la République en travaillant aux ouvrages de défense de Paris par la construction de barricades et de tranchées à forfait, peuvent se présenter à la direction du Génie, 84 rue Saint-Dominique-Saint-Germain ». Paris, le 18 mai 1871 |
Voir le J.O. du 19 mai sur archivesautonomies.org
Puis vint la Semaine sanglante
De nombreuses barricades furent élevées pendant la Semaine sanglante dans les quartiers nord, sud et est de Paris. Construites avec toute sorte de matériaux, elles ne furent que des barrages de fortune, « des loques de rempart » dit Lissagaray.
Ce n’étaient pas des pavés plus ou moins régulièrement entassés mais bien des constructions de terre empilée dans des tonneaux, avec créneaux et matelas de gazon/.../ Andrieu, Jules Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris, (Paris Petite Bibliothèque Payot, 1971, p.120)
Dans sa séance du 21 mai, Le Comité de salut public lance un appel aux armes :
APPEL AUX ARMES DU COMITE DE SALUT PUBLIC
Que tous les bons citoyens se lèvent ! Aux barricades ! L'ennemi est dans nos murs ! Pas d'hésitations ! En avant pour la République, pour la Commune et pour la Liberté ! Aux ARMES ! Paris, le 3 prairial an 79. Le Comité de salut public, ANT. ARNAUD, BILLIORAY EUDES, F. GAMBON, G. RANVIER. AUX ARMES ! |
EUDES, F. GAMBON, G. RANVIER AUX ARMES Donc, Aux ARMES ! Que Paris-se hérisse de barricades et que, derrière ces remparts improvisés, il jette encore à ses ennemis son cri de guerre, cri d'orgueil, cri de défi, mais aussi cri de victoire ; car Paris avec ses barricades est inexpugnable. Que les rues soient toutes dépavées : d'abord, parce que les projectiles ennemis, tombant sur la terre, sont moins dangereux ; ensuite, parce que ces pavés, nouveaux moyens de défense, devront être accumulés, de distance en distance, sur les balcons des étages supérieurs des maisons. Que le Paris révolutionnaire, le Paris des grands jours fasse son devoir ; la Commune et le Comité de salut public feront le leur. Le Comité de salut public, ANT. ARNAUD, * E. EUDES, F. GAMBON, v G. RANVIER Hôtel de Ville, le 2 prairial an 79. |
* Billioray arrêté dans Passy le 21 mai au soir, n’a pu signer cet appel.
Les militants, fédérés ou de simples habitants, beaucoup de femmes aidées par des enfants s’activèrent pour édifier des barricades qui ne résistèrent pas longtemps aux assauts des troupes versaillaises.
La barricade improvisée dans les journées de mai est de quelques pavés, à peine à hauteur d’homme. Derrière, quelquefois un canon ou une mitrailleuse. Au milieu, calé par deux pavés, le drapeau rouge couleur de Vengeance. A vingt, derrière ces loques de remparts, ils arrêtèrent des régiments » Lissagaray, P.O Histoire de la Commune de 1871 (Lib. Marcel Rivière, 1947 p.265).
La barricade des derniers jours n’offre pas seulement l’image d’un combat désespéré ; elle prend une signification nouvelle par l’importante participation des femmes à sa défense. Elles exhortent les hommes à la lutte révolutionnaire et elles-mêmes y prennent part avec ardeur.
Pendant une semaine, une dizaine de milliers de Fédérés résistèrent aux assauts meurtriers de 130 000 Versaillais.
« Elles eurent l’efficacité du désespoir » (B. Noël, op.cit.)
Mais il était trop tard. Les barricades finirent par tomber faute de combattants.
Lors de son procès, Rossel s’est expliqué :
/.../Ces barricades étaient faites plutôt pour donner confiance aux hommes qui étaient aux remparts que pour servir véritablement à la défense. C’était l’opinion de Gaillard qu’il fallait faire des barricades pour n’avoir pas à les défendre.
L’aspect dissuasif de la barricade-forteresse devait annihiler toute velléité d’attaque des Versaillais. Le « Château Gaillard » restera un cas isolé dans l’histoire des barricades et tombera vite dans l’oubli.
La mémoire populaire n’a retenu que celle de la Semaine sanglante qui, dans sa tragique spontanéité, symbolise beaucoup mieux la lutte héroïque du peuple de Paris aspirant à l’avènement d’un autre ordre social. (Cerf M., op.cit.)
Sources :
Cordillot Michel, La Commune de Paris 1871, les acteurs, l’événement, les lieux (Paris, éditons de l’Atelier, 2020)
Noël Bernard, Dictionnaire de la Commune (Paris, éditions Mémoire du Livre, 2000)
Corbin Alain ; Mayeur Jean-Marie ; Cerf Marcel : la barricade, éditions de la Sorbonne, 1997
La barricade - Éditions de la Sorbonne (openedition.org)
Cerf Marcel, la barricade de 1871, p 323-335 (Paris éditions de la Sorbonne, 1997)
Lissagaray P.-O, Histoire de la Commune de 1871
Lissagaray P.-O, Les huit journées de Mai derrière les barricades (Bureau du Petit Journal, Bruxelles 1871).
Gaillard Napoléon, Louis (dit Gaillard père) (1815-1900)
Né le 7 juin 1815 à Nîmes, installé dans cette ville comme cordonnier « artiste chaussurier », il y vivait avec une ouvrière Maria Cortès et leur fils Gustave (dit Gaillard fils), né le 1er juin 1847.
Néo-babouviste, il se mêla à la vie politique nîmoise à partir du printemps 1848. Il participa activement aux banquets démocratiques et socialisants organisés à l’automne 1848.
Dans l’hiver 1848-1849, il proposa la création d’une vaste association de travailleurs réunissant les différents corps d’état de Nîmes. Il milita dans les clubs nîmois d’extrême gauche et fonda même son propre club organisé en sections (l’une d’elles portant le nom de Babeuf). Pour cela, il fut condamné à 8 jours de prison le 31 mai 1849.
Après un temps d’absence, il réapparut en 1851 pour déposer un brevet d’invention concernant une chaussure en gutta-percha plus souple et plus imperméable que les chaussures ordinaires. Il publia en 1853 à Nîmes un Mémoire sur son invention, plusieurs fois réédité ensuite à Paris. C’est sans doute à la suite de cela qu’il se fixe à Belleville précisément au 74 rue Julien-Lacroix.
il se mêla très activement à l’organisation des réunions publiques permises par la loi de juin 1868. Orateur populaire que son accent méridional rendait encore plus pittoresque, il y défendit des conceptions communistes égalitaires issues sans doute du néobabouvisme.
Propagandiste de la libre pensée et de l’athéisme, il y critiqua la morale bourgeoise et en particulier l’institution du mariage. Il tenta de prolonger cette activité en fondant avec son fils Gustave un journal Les Orateurs des clubs, qui parut du 13 février au 3 mars 1869 (4 numéros).
Condamné plusieurs fois à la prison pour activité politique pendant cette période, (1 mois de prison en janvier 1869, 2 mois de prison le 11 juin, 4 mois le 30 novembre), Gaillard père, malade des poumons, dut être transporté dans une maison de santé au faubourg Saint-Denis, puis à Nice où il se trouve en mai 1870.
Revenu à Paris peu après la déclaration de guerre, il fit partie du Comité central des vingt arrondissements formés le 5 septembre 1870 et cosigna le 15 septembre sa proposition de mesures d’urgence. Ces mesures intéressaient la sécurité publique, les subsistances et les logements, la défense de Paris et des départements. Sa grande popularité à Belleville le fit alors entrer dans la Commission des barricades et fut nommé le 30 avril 1871 directeur général des barricades par Rossel, délégué à la Guerre.
On lui doit la grande barricade baptisée « Château-Gaillard » située entre la rue de Rivoli et la rue Saint-Florentin, élevée sur deux étages avec bastion, redan, courtine et fossé large et profond devant le talus. Le château Gaillard en imposait mais s’avéra inefficace pendant la Semaine sanglante.
Ses talents militaires furent diversement appréciés. Gaillard, qui ne doute pas de ses capacités, n’accepte aucun conseil et refuse la tutelle du Génie militaire. Il est critiqué et ses méthodes sont contestées. « Nombreuses furent les protestations des particuliers constatant que les mesures arrêtées, il n’y avait que peu ou pas du tout de travaux. » Noël, B. « Dictionnaire de la Commune (Paris, Mémoire du Livre, 2000).
il démissionna le 15 mai et son bataillon de barricadiers fut alors dissous. Ses 800 hommes et 40 officiers mis à la disposition du Génie.
Pendant la Commune, Napoléon Gaillard aima ses nouvelles fonctions et fut fier de porter l’uniforme. Maxime Vuillaume nous le décrit ainsi dans Mes cahiers rouges :
Je revois le colonel, en plein soleil de mai, dans son uniforme élégamment sanglé. Revers rouges à la tunique. Épée au côté. Revolver passé dans le ceinturon verni. Glands d’or de la dragonne battant sur la cuisse. Cinq galons d’or aux manches et au képi. Bottes étincelantes. Tunique à double rangée de boutons dorés. Gaillard, en photographie, est le modèle le plus parfait à consulter pour ceux qui voudront reconstituer le vêtement militaire de la grande insurrection parisienne.
Après la Commune, caché par son avoué à Paris, puis réfugié en banlieue, Napoléon Gaillard réussit à fuir, et c’est par contumace que, le 18 octobre 1872, le 17e conseil de guerre le condamna à la déportation dans une enceinte fortifiée.
Réfugié à Genève où il arriva le 15 décembre 1871, Gaillard, « révolutionnaire incorrigible », s’y fit « l’apôtre du communisme et du socialisme ».
Il appartint à la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève que des proscrits français constituèrent le 8 septembre 1871. Gaillard père se fixa d’abord à Carouge près de Genève, où tout en continuant à exercer son métier, il fonda un café, « l’Estaminet français » qui, grâce aux tableaux peints par son fils Gustave, se transforma en un mémorial de la Commune, attirant ainsi l’attention des visiteurs étrangers.
En 1874 après avoir liquidé son café, il s’installa à Genève même. Il y vécut difficilement jusqu’à l’amnistie avec Augustine Clavelou, sa nouvelle compagne, puis après le décès de celle-ci avec une jeune Suisse qu’il épousa à Paris le 30 novembre 1883.
Il publia en 1876 « l’Art de la Chaussure », sorte de testament professionnel dans lequel il défendait sa théorie « d’artiste chaussurier » et le principe d’une « chaussure fait pour le pied contrairement à la mode barbare qui ajuste le pied à la chaussure ».
Il participa très régulièrement aux réunions de la société de secours aux déportés. En 1875, lors de la venue de Thiers à Genève, Gaillard mit un drapeau à son magasin, que la police fit enlever.
Après l’amnistie il rentra en France à l’automne 1880. Vivant très pauvrement, déménageant souvent, il fut jusqu’à la fin de sa vie un militant actif et fut sans succès candidat à diverses élections.
Il participa activement au cercle des combattants de la Commune et au cercle des communistes révolutionnaires du XIXème. Il s’investit à partir de 1883 dans la fondation d’une Fédération socialiste révolutionnaire des cercles des départements à Paris dont il fut secrétaire. La même année, il s’installa dans une petite boutique rue de la Grange-aux-Belles. En 1890, il fut présenté aux élections municipales de Clignancourt et en 1893 aux législatives dans l’arrondissement de Saint-Denis (il obtint 319 voix).
Il passa au parti allemaniste en 1894 et fonda en janvier 1896 le groupe communiste du Ier arrondissement. Mais son âge l’obligea à renoncer aux activités politiques en 1897. Il resta d’une fidélité inébranlable au communisme égalitaire de sa jeunesse,
Après 1897, son âge l’obligea à renoncer à ses activités politiques. A la fin de sa vie, il était concierge dans un immeuble municipal au 2 Passage des Petits-Pères dans le IIème arrondissement et gagnait 3,25 F par jour.
Il mourut le 16 octobre 1900 à 85 ans et fut enterré dans l’intimité au cimetière de Pantin deux jours plus tard.
Sources :
Le Maitron, Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier mouvement social
Cordillot, Michel, La Commune de Paris 1871 – Les acteurs, l’événement, les lieux (Paris, éditions de l’Atelier, 2020).
Article sur notre site de Raymond Huard Du nouveau sur Napoléon Gaillard