On peut être un grand historien et ne pas bien comprendre ce qui se passe en son siècle. Ainsi de Michelet et de la Commune.
« On ne dispose pas, note Jean-Claude Caron (1), de lettres de Michelet produites sur le moment même (…) ».
Michelet s’exprime dans l’après-coup : sans réelle surprise, il fustige les barbares payés par Bismark, évoque « le monstre social que nous portons en nous ».
Plus vindicatif encore, il se laisse aller – chose rare – à des propos xénophobes : Paris est devenu un « ramassis hétérogène et discordant », un « capharnaüm d’étrangers ».
Dans ses carnets il affirme : « Victor Hugo écrit et pense bien plus avec son sexe qu’avec son cerveau » (2).
Peut-être ; après – ou avant – le Hugo « bête », voilà (pour le condamner) le Hugo sexuel (ce qu’il ne nierait pas). Mais Hugo, lui, ironique, notait dans ses papiers :
« J’ai tâché d’avoir la réputation d’être bête et je crois que j’y ai réussi » (3).
Est-ce une remarque de quelqu’un de « bête » ?
Hugo a des principes et s’y tient. Il lutte, par exemple, inlassablement, contre la peine de mort :
« Je me décide à écrire à l’Empereur d’Autriche que la peine de mort, pour tout homme civilisé, est abolie » (21 décembre 1882).
L’Empereur d’Autriche n’était sans doute pas « civilisé » : il ne tint pas compte de la lettre.
Aujourd’hui Hugo s’adresserait de la sorte à Bush – sans plus de succès évidemment.
Mais Hugo ne se contente pas de lettres inutiles. Il va voir Thiers, qu’il n’aime pas :
« Je l’ai engagé à ne laisser exécuter aucun condamné ».
Il s’agissait, bien sûr, des Communards. Thiers se contente de cette remarque mielleuse rapportée sans commentaire :
« Je ne suis qu’un pauvre diable de dictateur en habit noir » (1er octobre 1871).
Hugo ne se décourage pas :
« Je lui ai passionnément conseillé l’amnistie » (4-11-71).
Déjà ! a dû penser le triste personnage. Pour toute réponse, le journal « Le Rappel » est supprimé pour deux articles (…). L’arrêté est signé Thiers » (25 novembre 1871).
Quant aux exécutions :
« Rossel a voulu commander le feu. On le lui a refusé. Il s’est laissé bander les yeux – Voilà la peine de mort politique rétablie. Crime » (28 novembre 1871).
Crime. Le mot est sans équivoque.
Deux jours après :
« Gaston Crémieux (…) beau et intelligent jeune homme de trente ans (…). On vient de le fusiller à Marseille » (30 novembre 1871).
Pourtant, Hugo insiste, revoit Thiers, lui arrache la promesse d’envoyer Rochefort aux Iles Marguerites plutôt qu’en Nouvelle-Calédonie. Thiers n’ose renier sa parole, mais, lui parti, le nouveau pouvoir s’empresse d’expédier le révolté aux antipodes :
« Réponse de M. de Broglie au sujet de Rochefort. C’est une fin de non-recevoir » (11 août 1873).
Plus tard, il notera :
« Rochefort s’est évadé. Avec Jourde et Paschal Grousset (…). Bonne nouvelle » (30 mars1874)
En attendant il maintient ses opinions :
« Le duc d’Aumale (…) m’a demandé ce que je pensais du 18 mars. Je lui ai répondu que c’est l’Assemblée qui l’a fait (…) L’Assemblée a commis le crime de provoquer Paris » (15 décembre 1871). Le crime.
Le mot juste, toujours.
Quant au pouvoir :
« Bazaine (…) a livré Metz et l’on va fusiller Rossel ».
Mac-Mahon, vaincu et fait prisonnier à Sedan avec Napoléon III, règne désormais. Ses actes ?
« Mac-Mahon absout Bazaine. Sedan lave Metz. L’idiot protège le traître » (13 décembre 1873)
Vraiment, la bêtise d’Hugo est incommensurable.
Joseph Siquier