Né le 17 février 1845 à Poitiers, il mourut à Londres le 29 juin 1918.
D’une famille bourgeoise — son père est adjoint au maire et juge suppléant au Tribunal de première instance —, il est très vite attiré par le dessin et obtient une bourse pour venir étudier à Paris. Mais, accusé de paresse, il est privé de cette aide et doit gagner sa vie en faisant des caricatures dans plusieurs journaux satiriques de l’opposition républicaine à Napoléon III : Paris-Caprice, Le Bouffon, Le Hanneton, Le Charivari et La Rue de Vallès.
En 1871, il fonde son propre journal, La Caricature politique, dont le premier numéro paraît le 8 février 1871. Plusieurs numéros sont saisis et la publication est suspendue le 11 mars 1871 par le général Vinoy. Le dernier numéro est daté du 23 mars : en effet, comme de nombreux artistes communards [1], il passa sous la Commune de l’activité graphique à l’action politique. Le 26 mars, Pilotell se nomme délégué en chef des Beaux-Arts et s’installe au musée du Luxembourg, prétextant avoir reçu le soutien des autorités communales ; mais Courbet ne l’entend pas ainsi et Pilotell doit renoncer début avril à ses titres. Il est cependant nommé dans la foulée commissaire spécial de la Commune, attaché au cabinet du délégué à l’Intérieur. Dans ces circonstances, il procède à des arrestations politiques dont l’une a été fortement contestée [2], celle de Chaudey, avocat républicain, opposé à Napoléon III, qui aurait participé à la fusillade du 22 janvier – aucune preuve de la culpabilité de Chaudey dans cette fusillade n’a jamais été produite – et qui sera fusillé durant la Semaine sanglante. Courbet, qui avait fait un portrait de Chaudey, protesta vigoureusement contre cette exécution. Le 23 avril, Pilottell est accusé d’exactions et révoqué, mais la Commune spécifie que ses négligences de forme n’entachaient en rien son honorabilité.
Après la chute de la Commune, il se réfugie à Genève où il fréquente d’autres communards exilés dont Maxime Vuillaume, qui écrira dans Mes cahiers rouges, Souvenirs de la Commune [3] :
« Tous les jours, désormais, je vois Pilotell. Au café du Nord. Au café d’Orient. Au café de la Poste. On passe sa vie au café, condamnés à l’inaction, discutant, disputant, ressassant les mêmes histoires… Est-ce la majorité ou la minorité qui perdit la Commune ? (…) Tristes jours (…) Pilotell dessine… Je me vois aussi, dans ma chambre de la rue Guillaume Tell, étendu de tout mon long sur le carreau, servant de modèle à Pilotell pour son eau-forte de Rigault mort. »
En effet, Pilotell et Vuillaume ont vu Rigault mort et ils reconstituent sa position, et Vuillaume pose pour son ami. Expulsé en 1873, Pilotell se rend successivement à Bruxelles, La Haye, Rotterdam, puis Londres.
« Je débarquai à la Tour de Londres, à six heures du matin, par un épais brouillard, avec 3 shillings en poche. Je n’ai jamais eu le cœur si serré de ma vie. La peur d’une misère profonde m’envahit. Fort heureusement, mes pressentiments me trompaient. C’était le succès qui m’attendait. » [4]
Contrairement à beaucoup d’autres artistes communards, dont la carrière a été brisée par l’exil ou la déportation, Pilotell entame une deuxième vie plus réussie socialement et économiquement : il commence à dessiner pour les journaux de mode qu’il signe de son vrai nom, Pilotelle.
« En 1876, j’expose au Royal Academy trois pointes sèches, les portraits de Beaconsfield, de Plimsoll et de la duchesse Dudley [5]. Le théâtre m’attire, et je dessine un grand nombre de costumes pour les principales scènes de Londres et de New York. Je collabore au Lady’s Pictorial [6] où j’inaugure les interviews illustrées. J’ai fait les portraits de toutes les grandes dames de l’Angleterre, sans en excepter la Reine… Pendant vingt ans, j’ai exercé, je puis dire, une influence considérable sur la mode anglaise. » [7]
Il réalise aussi les portraits de grands hommes célèbres : le peintre John Everett Millais et l’écrivain Thomas Carlyle. Il fréquente Edouard-Albert, le fils de la reine Victoria et futur Edouard VII, qui lui commande un portrait de la reine Victoria pour son jubilé en 1887 ! Mais Pilotell ne renie pas son passé, il publie en 1879 un album : Avant, pendant et après la Commune, s’affichant ainsi :
« ex-directeur des Beaux-Arts, ex- commissaire spécial de la Commune, condamné à mort par le 3e conseil des assassins versaillais (9 janvier 1874) ».
En 1897, dans un numéro de la Revue Blanche consacré à la Commune, Pilotell envoie à l’éditeur, comme contribution, un portrait du communard déporté Maroteau, mort en Nouvelle Calédonie avec ce texte :
« Je vous envoie mon portrait de Maroteau, peut-être le seul libertaire de la Commune (et le plus calomnié par conséquent). Je suis désolé de ne pouvoir vous envoyer les notes que vous voulez bien me demander sur la Commune, mais depuis un mois je n’ai pas une minute à moi. Et puis j’avoue que j’aurais peut-être été trop sévère pour nos anciens amis (…)
Maintenant c’est autre chose qui se dessine. L’évolution libertaire, en ce XIXe siècle d’autoritarisme absolu, s’affirme superbe et philosophiquement et artistiquement. Je n’ai qu’un espoir, c’est que les fautes de la Commune serviront aux futurs démolisseurs. »
Le blanquiste Pilotell correspondait avec le théoricien anarchiste italien Errico Malatesta, qu’il avait dû connaître à Londres. Selon le livre de Vuillaume, on retrouve encore une fois Pilotell en 1910, à Paris :
« Il loge rue Serpente, dans un vieil hôtel meublé du Quartier. Le beau Pilotell d’autrefois a grisonné. La luxuriante chevelure s’est éclaircie. L’œil est toujours vif. La mémoire limpide. Nos causeries recommencent, au hasard des promenades dans ce vieux Quartier latin que nous aimons tant tous les deux. »
SES ŒUVRES
Elles sont aussi contrastées que sa vie. Dans la première période qui va de ses débuts jusqu’aux années 1873 (le dessin de Raoul Rigault mort), il se consacre à la caricature politique et satirique. Il n’a pas l’habileté d’un André Gill ou d’un Cattelain, mais politiquement ses dessins sont ravageurs contre Napoléon III ou contre les dirigeants républicains timorés, prêts à toutes les concessions face à l’Allemagne.
Dans L’Exécutif, il attaque le traité de paix du 26 février 1871 par lequel Thiers et Jules Favre acceptent la cession de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne : le dessin montre Thiers en train de scier le bras d’une femme (allégorie de la France), aidé par Jules Favre (ministre des affaires étrangères), bras sur lequel sont inscrits les mots « Alsace-Lorraine » ; le sang coule dans un casque à pointe allemand. Au bas du dessin, des sacs pleins d’or représentent les indemnités de guerre réclamées par l’Allemagne. Dans tous les dessins de cette période, l’allégorie de la France est une femme plantureuse à la poitrine généreuse et aux hanches larges.
Dans la période anglaise, la caricature a disparu ; les portraits d’hommes et de femmes célèbres sont d’un grand classicisme et beaucoup plus habiles. Dans ses dessins de mode les femmes sont beaucoup plus fines et traditionnelles. Pilotell a su s’adapter au public de la haute société anglaise.
On pourrait retrouver exactement le même parcours chez un autre artiste favorable à la Commune et qui eut en Angleterre un succès encore plus grand que Pilotell, changeant même son prénom pour faire plus anglais,
James Tissot. [8]
PAUL LIDSKY
Notes :
[1] André Gill, Cattelain, Courbet.
[2] Les témoignages de Vuillaume et de Cattelain dans leurs mémoires sont contradictoires.
[3] Maxime Vuillaume, Mes Cahiers rouges, 1908-1914, rééd. La Découverte, 2011, p. 684.
[4] Maxime Vuillaume, ibid., p. 687.
[5] Il s’agit du Premier ministre conservateur Disraeli, comte de Beaconsfield, et d’un homme politique important.
[6] Grand périodique britannique féminin.
[7] Maxime Vuillaume, ibid., p. 687.
[8] Nous avons trouvé beaucoup d’informations inédites dans un blog très intéressant et documenté, centré sur la Commune, intitulé Le comte Lanza vous salue bien ; un autre blog intitulé Ma Commune de Paris, tenu par Michèle Audin, mathématicienne et romancière, fille de Maurice Audin, est également passionnant.