Une communarde bretonne, révolutionnaire, ouvrière et féministe.

Nathalie Duval est née à Brest le 26 août 1826. Son père Allain Duval était corroyeur (préparateur de peaux), sa mère Catherine Hardy tenait un petit débit de vins. Ils habitent place Médisance qui coupe la grand rue (aujourd’hui rue Louis Pasteur). Ses parents la dotent d’un niveau d’instruction peu répandu à l’époque en milieu populaire, surtout chez les filles.

Le 25 août 1845, elle se marie avec Jérôme Le Mel, 26 ans, ouvrier relieur. En 1849 le jeune couple et leur premier enfant quittent Brest pour Quimper, où Nathalie tient une librairie à laquelle est joint un atelier de reliure.

Dans « L’Histoire de Quimper » le professeur Kerhervé écrit :

(c’est) une grande lectrice de journaux socialistes … elle choqua la bourgeoisie de la ville par sa conduite.

 

À Paris avant la Commune - la greve de 1864 – la Marmite

Nathalie Le Mel (1826-1921)
Nathalie Le Mel (1826-1921)

En 1861 le couple débarque à Paris avec ses 3 enfants, la librairie ayant fait faillite. Une fois à Paris, sortie du carcan provincial et religieux, Nathalie est obligée par manque d'argent d'apprendre et d'exercer un métier, celui de relieuse.

Depuis le début des années 60, des mouvements de grèves se développent en France et cette agitation va avoir pour conséquence le vote le 25 mai 1864 de la loi dite Emile Ollivier. Malgré des restrictions contraignantes celle-ci abroge la loi Chapelier et légalise le droit de grève et de coalition.

En septembre 1864, une grève des ouvrières et des ouvriers relieurs éclate à Paris sur la réduction du temps de travail et l'augmentation des salaires. Eugène Varlin et Nathalie Le Mel y jouent un rôle dirigeant et cette grève est victorieuse à la fin du mois.

Mais à la fin de l'année 1864 et au début 1865, les patrons, utilisant la réduction des travaux, reviennent sur les conquis de cette grève. Pour cette raison, les relieurs et brocheuses, repartent au combar en septembre. Nathalie est alors du comité de grève puis élue déléguée syndicale. Ce qui constitue une véritable révolution pour l'époque, dans le milieu ouvrier encore sous l'influence de Proudhon pour qui la place de la femme est au foyer ou sur le trottoir.

Si les patrons furent surpris en 1864, ils ne le sont plus l'année suivante et se sont organisés. Ils refusent de céder et les relieurs doivent reprendre sans n'avoir rien obtenus.

En 1865, elle fonde avec Varlin, Boulay, Gouet, Delacour et Lagneau la coopérative d'alimentation, la Ménagère, puis, à partir de 1868, une sorte de restaurant ouvrier, la Marmite. Elle y est caissière, secrétaire ; elle loge sur place pour être plus efficace. Cette idée de coopérative a un tel succès que trois autres restaurants s'ouvrent, regroupant environ 8 000 travailleurs.

Son mari ne supporte pas son indépendance, ses opinions politiques. Mais surtout il s’est mis à boire ce qui provoque continuellement des disputes violentes. Elle quitte alors le domicile conjugal en 1868 emportant ses enfants sous les bras.

Pendant le siège de Paris et son terrible hiver, Nathalie Le Mel fait tout pour distribuer à manger, préparer les repas dans les restaurants de la Marmite. Par ailleurs, elle se fait remarquer par son assiduité au club de l’École de Médecine.

 

Pendant la Commune – la création de l’Union des femmes

Nathalie Le Mel va participer pleinement à la Commune de Paris. Les femmes ne sont pas éligibles à la Commune ! Qu’importe, elles vont constituer leurs structures à elles ce qui va leur permettre de se regrouper, de débattre de leurs problèmes, du travail, d'ouvrir des ateliers.

De nombreux clubs sont créés où les femmes prennent une parole libre, très réaliste.

Le 11 avril 1871, c'est la création de l'Union des femmes, que Nathalie met en place avec Élisabeth Dmitrieff et un groupe d'ouvrières.

Affiche de la Commune de Paris du 17 mai 1871 - Comité central de l'Union des femmes de Paris 14ème (Source : argonnaute.parisnanterre.fr)
Affiche de la Commune de Paris du 17 mai 1871 - Comité central de l'Union des femmes de Paris 14ème (Source : argonnaute.parisnanterre.fr)

La réaction versaillaise ne peut supporter cette véritable révolution. L’armée de Thiers forte de 130.000 hommes et munie de canons entend liquider la Commune forte de 20 à 30.000 combattants. Le 21 mai c’est le début de “la semaine sanglante”. Les troupes avancent dans Paris multipliant les massacres. Le 23 mai, Nathalie Le Mel tient, avec de nombreuses femmes, la barricade de la place Blanche. Elles l’abandonnent au bout de 4 heures pour tenir celle des Batignolles.

Un rapport de police précise :

à la tête d’un bataillon d'une cinquantaine de femmes, elle a conduit la barricade de la place Blanche… y a arboré le drapeau rouge.

Un témoin dira :

Rentrant chez elle le 23 mai, les mains et les lèvres noires, couverte de poussière, elle disait avoir combattu 48 heures sans manger et elle ajoutait : " Nous sommes battus, mais non vaincus. " 

 Semaine sanglante - Barricade de la place Blanche défendue par des femmes (© Musée Carnavalet - Histoire de Paris)
Semaine sanglante - Barricade de la place Blanche défendue par des femmes (© Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

 

Le jugement et la déportation

Elle va de cachette en cachette avant d’être arrêtée le 21 juin.

Le 4 septembre, devant le conseil de guerre, elle assume fièrement toutes les responsabilités de son action révolutionnaire :

Après une délibération d’une demi-heure, le Conseil, ayant reconnu l’accusée coupable à l’unanimité sur tous les chefs d’accusation, l’a condamnée à la peine de déportation dans une enceinte fortifiée (Procès verbal de la séance du 7 septembre du IVe conseil de guerre)

Elle voyage à bord de « La Virginie » enfermée dans une cage avec Louise Michel et 16 autres communardes. Trois autres cages renferment des hommes. La santé de Nathalie se dégrade. Arrivés à Nouméa, les condamnés doivent monter leur cabane et les sanitaires eux-mêmes car rien n’est prévu. Les relations avec Louise Michel sont étroites d’autant que les deux femmes partagent la même cabane rudimentaire. Elles prennent fait et cause pour les Canaques contre les colonisateurs. Au bout de quelques années, les relations avec Louise Michel, devenue anarchiste, se refroidissent (aucune des deux ne s’est exprimée sur les raisons de cette situation).

 

Le retour en France

Graciée, Nathalie Le Mel embarque sur « La Picardie » le 20 juin 1879, elle retrouve la France en septembre 1879, elle a alors 53 ans.

Elle arrive gare St Lazare tandis que d’autres communard(e)s arrivent gare d’Orléans (aujourd’hui gare d’Austerlitz).

Arrivée du premier convoi de rapatriement de communards déporté amnistiés, en gare d'Orléans le 3 septembre 1879 - Dessin de D. Vierge (Le Monde Illustré du 13 septembre 1879)
Arrivée du premier convoi de rapatriement de communards déporté amnistiés, en gare d'Orléans le 3 septembre 1879 - Dessin de D. Vierge (Le Monde Illustré du 13 septembre 1879)

Eprouvée par ses années de déportation, elle trouve un emploi manuel au journal L’Intransigeant créé par Henry Rochefort, communard qu’elle a connu en Nouvelle-Calédonie. Elle continue à suivre les événements, à évoquer les grands jours de la Commune et poursuit son combat pour les droits des femmes et la création d’un parti ouvrier.

Dans « Mémoires d’un jeune homme » (Paris, 1895, H Bauer, qui fut de la déportation, dit de Nathalie Le Mel : elle est « d’intelligence remarquable, d’esprit clair et sagace », et « compte parmi les têtes du parti socialiste. ».

Elle est présente à l’enterrement de Louis Michel en janvier 1905. Usée par la vie, déçue par Henry Rochefort qui devient « boulangiste », elle quitte son emploi à 60 ans et refuse l’allocation mensuelle qu’il lui propose.

Dans le journal de Jaurès, L'Humanité, du 25 mars 1914 est évoquée la présence de Nathalie Le Mel au banquet des anciens de la Commune.

Rassemblement d’anciens communard(e)s devant Le Louvre, dont Nathalie Le Mel (source film de Armand Guerra "La Commune", 1914)
Rassemblement d’anciens communard(e)s devant Le Louvre, dont Nathalie Le Mel (source film de Armand Guerra "La Commune", 1914)

Elle meurt à 92 ans, le 8 mai 1921, aveugle et dans la misère à l’Hospice d’Ivry. Trois personnes seulement sont présentes à son enterrement.

Notes de Lucien Descaves (1861-1949)

Seuls les journaux L'Humanité (SFIC) et Le Populaire (SFIO) parlent de son décès.

L’Humanité du 12 mai 1921 (colonne de droite, page 2)  Le Populaire du 18 mai 1921 (en bas à droite de la dernière page)
L’Humanité du 12 mai 1921 (colonne de droite, page 2) / Le Populaire du 18 mai 1921 (en bas à droite de la dernière page)

  

 

À lire

Nathalie Le Mel, une communarde bretonne … d’E. Kerbaul (Editions Le Temps des Cerises

Nathalie Le Mel, relieuse et communarde de l’IHS CGT du Livre parisien ; disponible sur
https://fr.calameo.com/read/0050897677d5ebaa2d172

Eugène Varlin Ouvrier-relieur 1839-1871 de Michèle Audin (Editions Libertalia)

Les Procès verbaux des Conseils de Guerre disponibles sur Gallica/BnF

 

À consulter les sites

Le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article24868

Le blog de Michèle Audin : https://macommunedeparis.com

Les archives d’outre-mer (ANOM) : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr

Les dossiers individuels des déporté(e)s aux bagnes :
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/bagnards_dossiers_individuels/

(Nota : le dossier de Nathalie Duval épouse Le Mel n’a pas été conservé)

Dernières publications sur le site