On a complètement oublié Avrial, ce "curieux bonhomme". Aucune rue de Paris ne porte aujourd'hui son nom. Et pourtant il fut à la fin du second empire, puis sous le gouvernement de la défense nationale et pendant la Commune I ‘un des leaders de I ‘Association Internationale des Travailleurs, un chef insurgé et un élu de I ‘hôtel de ville.
L'internationaliste
Augustin Avrial, né en Haute Garonne à Revel le 20 novembre 1840, gagne Paris en 1857 pour y exercer sa profession de mécanicien, avant de s'engager en 1859 au 54e régiment de ligne qu'il quitte en 1865 avec le grade de sergent. L'année suivante, il se marie avec Louise Talbot - ils auront deux garçons - il s'installe avec elle en 1867 dans le XIe arrondissement de Paris, 51 rue Sedaine.
A-t-il adhéré aussitôt à I ‘Association Internationale des Travailleurs ou un peu plus tard ? Notons qu'il est en 1869 un des fondateurs de la Chambre syndicale des mécaniciens et de la Fédération des sociétés ouvrières, organisations redoutées par le pouvoir.
Tout laisse à penser que, dans un premier temps, Avrial, qui, comme beaucoup de mécaniciens a toujours une invention en tête, a cherché à monter une association sous forme de coopérative de production. Ses confidences ultérieures au colonel Rossel, nous permettent de savoir qu'il y a laissé, non sa fortune comme I ‘anti-communard Paul Delion l'a écrit, mais son pécule, soit 14 000 francs. Il expliquera d'ailleurs à Rossel comment il a connu la misère et la honte. Sans aucun doute cette triste expérience I ‘a poussé dans le camp de la révolution.
Au début 70, il soutient dans La Marseillaise, au nom de la Chambre syndicale des mécaniciens de Paris, la grève du Creusot, dont le mécanicien Adolphe Assi, qui sera avec lui en 1871 l'un des élus de Popincourt, est I ‘un des organisateurs. Ce dernier, « monté » à Paris, fait le 16 février, devant la chambre fédérale présidée par Avrial, I ‘historique du conflit. Le P.V. sera saisi au domicile d'Avrial par la police. En mars, nous le voyons présider, dans la journée du 21, une séance du Cercle socialiste collectiviste, où I ‘on décide d'adresser à Megy, qui a abattu un policier venu I ‘arrêter avant I ‘heure légale, ses « sympathies ». Le 19 avril, lorsque les internationaux se réunissent sous la présidence de Varlin salle de La Marseillaise et que I ‘on élit par acclamations Megy président honoraire, Avrial est assesseur. Enfin, le 24 avril, on trouve naturellement son nom en bonne place sous le manifeste-programme des sections de I'AIT et de la chambre fédérale des sociétés ouvrières.
C'est à ce moment qu'il est arrêté comme membre de I'AIT puis condamné à ce titre à 2 mois de prison, 25 F d'amende et 4 mois de contrainte par corps. Le procès - le troisième contre L’Internationale - au cours duquel la Justice se couvre de ridicule, prouve en tous les cas qu'Avrial est bien depuis le début 1869 I ‘un des agents les plus actifs de I ‘Internationale dans sa section Le cercle d'étude sociale et partout ailleurs. N'a t-il pas adhéré, comme on le dit « entre les mains de Varlin » ? Le 1er Juillet 1870, lors du procès, dans une longue déclaration, il explique avec une grande clarté ce qu’est l'Internationale à laquelle il est fier d'appartenir et les raisons de son existence :
« l'exploitation du capital » pousse les ouvriers à la révolte en les rejetant dans la misère « et voilà pourquoi nous sommes socialistes, voilà pourquoi nous sommes révolutionnaires ».
C'est donc bien logiquement qu'Avrial, malgré son emprisonnement, signe le manifeste contre la guerre. À la chute de l'Empire, sitôt libéré, début septembre, de la maison correctionnelle de Beauvais, il se mêle au mouvement général qui agite Paris. Lors du siège de la grande ville, nous voyons notre mécanicien coiffer une triple casquette : D'une part il se fait élire commandant d'un bataillon de la garde nationale ; d'autre part il participe, avec d'autres internationaux, à la municipalité de son arrondissement ; enfin, il va relancer ses activités de coopérateur.
L’officier de la garde nationale
Comme beaucoup de militants révolutionnaires, qu'ils appartiennent à l'AIT ou seulement au parti blanquiste, Avrial devient, par élection, chef d'un bataillon de la garde nationale du XIe arrondissement, ce fameux 66e qui fera tant parler de lui.
Élu fin septembre, notre ouvrier mécanicien, se retrouvait à la tête de 1 500 hommes. Il se fait remarquer en signant, avec plus de 50 officiers de la garde nationale, une lettre de félicitations républicaines au maire du XIe, Mottu, pour sa politique laïque anti congréganiste qui est aussi une protestation contre sa révocation. Nous sommes à la fin d'octobre.
Le 31 octobre, lors de l'insurrection patriotique, Avrial fait partie du « gouvernement de salut public » proclamé par Flourens dans I ‘Hôtel de ville envahi. Ce dernier doit veiller sur « les élections de la Commune ». Il a été dit qu'Avrial, suite à ces événements, avait été révoqué de son poste de commandant. En réalité il a démissionné, soi-disant, si I ‘on en croit le journaliste Édouard Lockroy qui va lui succéder, parce qu'il se trouvait
« dégoûté de l'état militaire autant que de la politique ».
En fait l'affaire ne fut pas aussi claire. En effet, Avrial voulait, avec la corporation des mécaniciens réunis le 6 novembre au Ba Ta Clan, boulevard Voltaire, « l'émancipation économique ». Il avait effectivement démissionné pour protester contre le Gouvernement, mais s'était représenté « sous les couleurs de la révolution », pour contrer les manœuvres internes au bataillon. Signalons, au passage, que Léo Franckel, le futur « ministre du travail » de la Commune, est alors son secrétaire. Avrial est réélu de justesse mais finalement, sur intervention des officiers de son bataillon qui lui sont hostiles, il est cassé de son grade par le général Clément Thomas.
Cette révocation ne gêne guère Avrial : il s'engage alors largement dans la mise en place de la coopérative des ouvriers mécaniciens et des ouvriers de la métallurgie, encouragée financièrement par le maire du XIe, le banquier Mottu, et par le ministre des travaux publics, Magnin. Cette entreprise doit transformer et fabriquer des fusils pour la garde nationale : une grosse « affaire » très prometteuse qui pourtant ne va pas porter ses fruits malgré I ‘enthousiasme initial des 80 travailleurs qui s'installent, 75 et 185 rue Saint-Maur. Le taux des prêts trop élevé, I ‘absence d'un environnement politico-social vraiment favorable, et le fait qu'au lieu de travailler sérieusement « on causait », entraîneront par la suite un bilan négatif.
Avrial milite alors, plus que jamais, dans l'Internationale qui se reconstitue.
Le 6 février 1871, il intervient à la Corderie pour sa « réorganisation », comptant toujours s'appuyer sur les ouvriers mécaniciens. Fin Février, lorsque la tension monte dans Paris, il se montre extrêmement prudent redoutant I ‘aventure où le Comité central de la garde nationale risque d'entraîner le mouvement ouvrier :
« L'Internationale - dit-il le 27 - doit dégager sa responsabilité de toute excitation sans avantage pour la République et dont pourrait tirer parti la réaction ».
Quelques jours plus tard, de nombreux internationaux, dont Varlin, ayant « colonisé » le Comité central, et la révolte grondant dans les Faubourgs, Avrial se radicalise. Il reprend du service à la tête de son bataillon où il est élu le 12 mars par les officiers et les délégués de compagnie afin de remplacer le dernier commandant, I ‘ouvrier imprimeur Kernen, démissionnaire au début du mois.
Le 18 mars, il fait « marcher » ses hommes en faveur de l'insurrection. Le 66e prend notamment position place de la Bastille. Selon une source non recoupée, Avrial aurait été ce jour-là « à la tête de la résistance » à Montmartre. Aurait-il été délégué là-bas par le Comité central de la garde nationale dont Assi est alors le leader rue Basfroi dans le XIe ? C'est douteux. Ce qui est certain en revanche c'est sa présence au Fort d'Issy, l'une des places fortes de la Commune, avec ses hommes, aux lendemains de l'insurrection.
« ce matin j'ai mis le drapeau rouge au fort »
écrit-il le 30 mars. Avrial est toujours prêt à défendre publiquement les gardes nationaux sous ses ordres, particulièrement ceux du 66e, comme on le voit dans La sociale du 31 mars. Il y réplique à une information du Petit moniteur universel ayant affirmé qu'ils avaient fui devant un détachement de chasseurs à cheval :
« Les fuyards sont à Versailles et non au fort d'Issy ».
Ses lettres et ses rapports nous montrent cependant la situation difficile dans laquelle se trouvent dès le début les chefs communards. Ses hommes n'étant pas relevés assez vite à leur gré ils décident de s'en aller et Avrial, malgré son volontarisme - il a mis son revolver à la main - ne peut les retenir. Ces incidents graves, auxquels il n'a pas fait de publicité, n'empêchent pas les électeurs de Popincourt de l'élire le 26 mars.
Quelques jours après ce scrutin c'est la sortie d'avril. Les fédérés essayent marcher sur Versailles. Avrial, qui a succédé le 2 avril à Dombrowski comme chef de la XIe légion (signalons que le général polonais avait été parrainé par Avrial pour ce poste), est avec ses hommes aux Moulineaux et au bas Meudon sous le commandement du « général » Eudes, I ‘un des lieutenants de Blanqui, élu lui aussi par le XIe le 26 mars. Là encore, malgré sa bravoure et son esprit d'initiative, Avrial ne peut renverser la situation. Les fédérés doivent battre en retraite, avec moins de panique et moins de pertes que dans les autres colonnes il est vrai. Le 66e, semble-t-il, s'est même bien conduit au feu selon une protestation d'officiers, de sous-officiers et de délégués :
« Ses hommes ont fait preuve de courage et nous dirons plus, de témérité, dans la journée du lundi 3 avril » ;
ils enlèvent, malgré leur infériorité en armement, deux fois de suite les positions « royalistes ». Le 8 avril, le 66e fait partie d'une colonne de fédérés qui attaque les gendarmes au Pont de Neuilly.
Par la suite, Avrial va continuer de s'investir dans son rôle d'élu de la Commune en participant à la Commission du travail et de l'Échange puis à la Commission de la Guerre (sans omettre un passage à la Commission exécutive). A-t-il voulu reprendre du service dans son bataillon après ses déboires à la Direction du matériel de I ‘artillerie ? Le cri du peuple annonce son départ le 21 mai à la tête du 66e pour « garder la porte de Versailles » mais les archives nous indiquent que c'est bien Migevant, architecte et ex saint-cyrien qui va continuer de commander le bataillon durant la Semaine sanglante. Avrial ne sera ni à la Madeleine où le 66e essuiera de grosses pertes, ni mêlé de près à I ‘exécution de Beaufort, imputable à des éléments de cette unité.
L'élu
Le 26 mars, Avrial est donc élu membre de la Commune par le XIe arrondissement, une fonction qu'il prend très au sérieux car ce jour-là il recueille 17 944 voix sur 25 183 votant, soit 71 %. Il ne se place pourtant qu'en sixième position, le septième et dernier élu étant l'international Verdure, mais ce résultat est extraordinaire si on le compare à son score aux élections législatives du 8 Février ou il n'avait compté, comme candidat « socialiste révolutionnaire », que 1 220 voix, soit 4,45 % des suffrage.
Trois jours plus tard, il rejoint la Commission du Travail et de I ‘Échange. Il sera notamment à l’origine du décret sur les ateliers abandonnés, et du décret sur les Monts-de-piété : ceux-ci semblent plus s'inscrire dans une perspective socialiste, dans la mesure où ils touchent au sacrosaint principe de la propriété. La Commune confie le 16 avril aux chambres syndicales ouvrières le soin d'instituer une commission d'enquête pour recenser les ateliers abandonnés et étudier la possibilité de confier leur gestion à des sociétés coopératives. Des responsables syndicalistes de premier plan pensent que la coopération généralisée peut « soustraire le travail à l’exploitation du capital ». Pourtant la situation et les hommes ne permettent pas à ces militants de mettre en œuvre ces intentions socialistes.
Dans un moment de découragement, Avrial aurait fait part à Rossel, le délégué à la Guerre, de sa déception sur ces expériences d« 'autogestion » :
« À l'association des ouvriers mécaniciens, on vendit à l'heure qu'on voulait, on causait, on ne travaillait pas (...) L'autre jour, ils sont allés au fort d'Issy désenclouer les canons ; ils n'ont rien fait, et ils m'ont demandé 85 centimes de l'heure. Je leur ait dit ; personne ne gagne 85 centimes maintenant ; les gardes nationaux ont trente sous (...) Je vous donne cinq francs. Eh bien, je suis sûr qu'ils m'en veulent ».
Autre réflexion pragmatique du collectiviste Avrial, toujours sous la plume de Rossel : « Le communisme c'est de la blague. Les travailleurs ne doivent pas nourrir les feignants : il faut que celui qui gagne 12 reçoive 12, et que celui qui gagne 6 reçoive 6... Lorsque je m'associerai, soit en Amérique, soit ailleurs, ce sera avec un, deux ou trois amis que je connaîtrai bien, mais jamais avec le premier venu » (fidèle à ce projet, il fondera en 1874, avec Camille Langevin et Francis Jourde, une usine de construction en Alsace, avant d'être expulsé).
L'autre mesure à laquelle le nom d'Avrial reste attaché est celle qui concerne Le Mont-de-Piété. Lors de la séance du 25 avril, il propose que les outils de travail, la literie et les vêtements engagés pour moins de cinquante francs puissent être retirés gratuitement :
« Le Peuple, qui a mangé son pain noir, a le droit qu'on tienne compte de ses souffrances (...) il ne faut pas que l'on s'arrête à quelques millions. L'institution du Mont-de-Piété doit disparaître ; en attendant il faut donner une première satisfaction aux braves qui vont se battre. »
Il a lui-même été « chez ma tante », comme il le confiera quelques temps plus tard à Rossel :
« Dix mois après mon mariage, tout mon mobilier, tous mes effets, étaient au Mont-de-Piété. J'ai travaillé cinq ans avant de les retirer. ».
Léo Fränkel, le délégué au Travail, et la plupart des élus approuvent la proposition d'Avrial. Ils suggèrent quelques amendements. En revanche Jourde émet des réserves :
« Détruire le Mont-de Piété ce serait porter atteinte à la propriété privée, ce que nous n'avons encore jamais fait ».
Le 1er mai, la Commission du Travail publie un rapport favorable à la liquidation du « clou » et à son remplacement par de
« nouvelles institutions réparatrices, qui mettent le travailleur à l'abri de l'exploitation du capital ».
Mais Jourde réussira finalement à imposer ses vues. Le décret du 7 mai limite la restitution aux objets gagés de moins de vingt francs, soit seulement cinq francs de plus que le taux fixé précédemment par le gouvernement « bourgeois » de la Défense nationale.
Fin avril, Avrial troque la casquette de la Commission du Travail pour le képi de celle de la Guerre, où il devient Directeur de l'artillerie. Il va alors s'investir dans la dénonciation du gaspillage et de la désorganisation :
« La Garde nationale - affirme t-il le 21 avril - est très mécontente des achats d'armes portées au côté droit par des officiers qui ne savent ni ne veulent s'en servir ».
Le 23 avril, en tant que rapporteur, il mène la charge contre Cluseret le délégué à la Guerre, le pressant de questions sur les hommes et le matériel (cet interrogatoire provoquera quelques jours après, l'arrestation de Cluseret et son remplacement par Rossel). Il renouvelle ses critiques contre la hiérarchie le 6 mai
« Depuis le 18 mars, il a été délivré aux officiers 50 000 revolvers à 150 francs, il a été acheté depuis ce temps des armes que j'appellerai des carabines de salon, soi-disant pour les officiers supérieurs. II a été acheté des armes, des épées à un prix excessif. (...) Un pareil état de chose ne peut subsister ».
Ce même jour il déclare par ailleurs :
« Je crois savoir dans quelle situation se trouve l'artillerie. Nous avons des canons, des munitions en masse, mais elles sont répandues par ci par là, le long des remparts ».
À son poste Avrial se préoccupe plus de mobiliser l'économie de guerre au niveau de l'armement, que ce soit avec les patrons qui ont bien voulu reconduire leurs marchés avec la Commune ou avec ses collègues coopérateurs qui déploient leurs activités dans deux ateliers de fonderies réquisitionnés au titre du décret du 16 avril. Cette production de guerre, pour laquelle Avrial met en place toute une équipe de contrôleurs et d'inspecteurs issue de la chambre syndicale des mécaniciens et de la métallurgie, est entravée par les différents pouvoirs qui empiètent sur ses attributions de Directeur, que ce soit celui du Comité central de la Garde nationale ou celui du Comité central de l'artillerie. Sans oublier les mesures prises par certains comités d'arrondissement, tel celui de la XIe légion...Avrial, englué dans un inextricable nœud d'initiatives mal coordonnées, finit par se contenter d'assurer honnêtement une simple gestion administrative. Il ne prend pas franchement position contre le commandement de l'artillerie dénoncé par le Comité central de l'artillerie et il est finalement démissionné à quelques jours de la semaine sanglante. Un officier de l'artillerie, pourtant mis en cause par les fédérés, le nommé Guyet, prend sa place.
Cette volonté déployée par Avrial dans ce poste clé de l'administrarion communaliste suivie d'une attitude presque contraire, exprimant en tous cas un certain retrait, se retrouvent dans son « comportement » politique. Il vote le 15 mai avec la minorité contre le principe du Comité de salut public. Toutefois, au moment de la semaine sanglante nous le voyons, comme beaucoup d'élus ou de responsables, bousculé par les événements. On l'a dit « tué sur une barricade du Château d'eau », ce qui était faux - un témoignage indique qu'il a transporté un autre élu, Vermorel, qui était blessé, à la mairie du XIe - on l'aurait vu le 26 mai choqué par l'exécution populaire de la rue Haxo, mais, contradictoirement, le général Appert signale, dans son Rapport d'ensemble, que le 27 mai au matin :
« Férré, Tridon, Avrial, G. Ranvier, Vaillant et quelques aunes de ces scélérats annoncèrent que le Gouvernement de la Commune allait se transporter à la Roquette, et, de là, dicter des lois aux Versaillais, en les menaçant du massacre des otages ».
Si cela est vrai, il faut bien constater qu'Avrial, ce « proudhonien », qui a refusé Le Comité de salut public, se retrouve là en compagnie d'une brochette de blanquistes acquis aux solutions les plus révolutionnaires.
Portrait en contrepoint
Avrial, réfugié à Londres, est condamné à mort par contumace en 1873 par le 4e conseil de guerre de Versailles qui lui rend au passage un hommage involontaire :
« C'est surtout dans le poste de directeur de l'artillerie qu'il a déployé une activité de tous les instants (...) il s'occupa de la mise en état du matériel de guerre, mis en réquisition le personnel et le matériel de plusieurs établissements pour le réparation ou la construction de bouches à feu, fit diriger des canons et des munitions sur toutes les positions occupées par les fédérés, notamment sur les points menacés ».
D'autres sources de police ne sont pas aussi élogieuses puisqu'elles le disent « paresseux » et « débauché » - Delion prétend qu'il arrivait parfois aux séances de la Commune avec quelques coups de vermouth dans le nez - mais surtout « exalté ». Or ni les portraits qu'on a pu en tracer par ailleurs, notamment celui de Lepelletier qui a insisté sur sa douceur, ni l'attitude qu'on lui connaît par les procès-verbaux de la Commune, ne permettent ce genre de jugement. Avrial est plutôt un « esprit avisé » qui se fait remarquer par son sérieux, à l'opposé d'une tête brûlée, bien dans le profil de ces militants ouvriers de L'Internationale, citons ici Varlin, Malon... Il est comme eux « honnête », ainsi que le reconnaissent certains de ses ennemis. Avrial n'a pas, comme on a pu l'écrire, joué « un rôle secondaire » sous la Commune. Rendons-lui cette justice. Actif sur le plan militaire en brave soldat de la Révolution. Il a aussi été au cœur du débat à l'Hôtel de ville sur la question sociale, en bon syndicaliste qu'il était, pétri des principes de I'AIT. Avrial, qui est capable de prendre les armes, n'est pas un violent : déjeunant au cabaret Debêne lors de la fusillade des otages, avec les journalistes Lissagaray et Humbert, il reste comme eux pétrifié, n'osant se lever de table pour aller voir à la fenêtre.
Avrial reste fidèle à ses idées. Après l'amnistie de 1880, le proscrit d'Angleterre, d'Alsace et de Suisse, rentre en France et fréquente le café du Croissant à Paris en compagnie de Jourde, Lissagaray et Vallès. Toujours créatif, il dépose les brevets de ses inventions : une machine à coudre et un motocycle à pétrole. Il participe aux obsèques de Jules Vallès en 1885 et prononce l'éloge funèbre de Lissagaray en 1901.
Contrairement à d'autres communards, il ne connaît pas une grande carrière politique ou intellectuelle ; mais en voulait-il une ? Il a continué de militer, d'abord à l’Alliance socialiste républicaine puis au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR), créé en 1890 par Jean Allemane. Aux élections municipales de 1896, plus modérément, il se présente comme candidat de « concentration républicaine », dans le quartier du Gros caillou à Paris ; des radicaux et même des « opportunistes » le soutiennent. Lorsqu'il meurt à Fécamp (Seine maritime), le 9 décembre 1904, Avrial est titulaire d'une recette buraliste. Une foule nombreuse assiste à ses obsèques, où des discours sont prononcés par Jules Martelet, élu de la Commune, Sincholle, son camarade, et Marc Valentin, au nom des républicains de Fécamp. Augustin Avrial et Louise Talbot, son épouse, reposent au cimetière du Père Lachaise, dans la 91esection.
Alain Dalotel et John Sutton
Article paru dans Gavroche, revue d'histoire populaire N° 110 de mars-avril 2000.
Gavroche est une revue d'histoire populaire trimestrielle créée en 1981. La revue a cessé d'être publiée depuis le numéro 166 d'avril-juin 2011. La totalité de la revue Gavroche a été mise en ligne sur le site http://archivesautonomies.org/spip.php?rubrique263