On ne sait plus qui est Flourens aujourd'hui. Et pourtant, à la fin du second Empire, lors du siège de Paris fin 1870 et au début de la Commune de 1871, il fut le héros de Belleville, un personnage chevaleresque qui s'est, comme d'autres, entièrement consumé dans le brasier de la Révolution.
En effet, ce « champion de la démocratie » qui était tout à la fois un « homme d'épée, de parole et de plume », et que l'on a décrit comme « l'homme le plus sympathique de l'époque », avait quitté son univers bourgeois pour prendre part avec les peuples à la lutte contre l'oppression et pour la justice sociale : il a fini par sacrifier sa vie.
De la révolte contre le père à la Révolution
Un père omniscient
Au commencement était le père et le Pair. Marie-Jean-Pierre Flourens, né à Maureilhan-et-Ramejan dans l'Hérault le 6 décembre 1794, décédé à Montgeron, Seine et Oise, le 6 décembre 1867, physiologiste renommé, enseignait au Collège de France et au Muséum d'Histoire naturelle quand son fils aîné Gustave y naquit le 4 août 1838 (il aura deux autres fils, Émile en 1841 et Abel en 1845).
Député de l'Hérault en 1839, « ce libéral », allait devenir en 1846 Pair de France tout en poursuivant son œuvre et sa carrière scientifiques. Ce Grand officier de la légion d'honneur fut secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, membre de l'académie française et du Conseil municipal de Paris, etc.
Austère et sévère, cet homme considérable donna à son fils Gustave une éducation « patriarcale », quasi spartiate à peine tempérée par l'amour de sa mère Aline, née en 1807, décédée en 1879, une véritable matrone romaine, fille d'un général du 1er Empire, le baron Clément d'Aërzon :
à trente ans il était vierge encore.
En Pologne pour la cause
Soumis comme un enfant à sa mère, Gustave se révolta contre ce père omniscient et spiritualiste devenu conservateur. Il se détermina matérialiste et républicain en s'initiant, tout en poursuivant ses études des Sciences naturelles, à la Philosophie et à l'Histoire. Sa courte expédition idéaliste de 1863 en Pologne, où il avait été attiré par le soulèvement anti-tsariste, s'inscrit dans ce processus.
Suppléant de son père au Collège de France
Il devenait suppléant de son père à la chaire du collège de France où il donna toute une série de cours sur « L'histoire naturelle des corps organisés », en fait sur « l'histoire de l'homme », qui portaient sur un classement linguistique et anatomique des races humaines où il exaltait quelque peu, à la manière de Gobineau, « les peuples de race blanche venus d'Asie occidentale », les « Aryas ».
Ces cours, qui avaient un gros succès, mais attaquaient l'ordre en place, furent interrompus à la trente-quatrième séance il devait y en avoir cinquante par le ministre Duruy, sur plainte des catholiques. Gustave, au grand mécontentement de sa famille, avait protesté par lettre. C'était la rupture avec son père, ce « grand dignitaire ».
Au Moyen-Orient
Après un séjour en Angleterre et en Belgique, ce fils de millionnaire, incompris dans sa famille, étouffant dans cette vie bourgeoise, s'embarquait subitement en 1865 pour Constantinople.
Combattant en Crète
Tournant le dos à la vie facile, ce nouveau « Don Quichotte », d'abord journaliste et conférencier révolutionnaire à Istamboul, devenait en 1866-1868, avec une poignée de volontaires français, italiens, grecs, et crétois, l'un des partisans de la libération de la Crète de la domination turque, passant du maquis crétois à l'agitation urbaine en Grèce.
Révolutionnaire des réunions publiques à Paris
Revenu à Paris Flourens s'engageait à corps perdu début 1869 dans le mouvement des réunions publiques qui secouaient l'empire libéral. Finies les considérations sur les races. Gustave était devenu le héraut de la République et le héros des faubourgs : « Belleville devient son Agora ».
Condamné en avril pour avoir refusé d'obtempérer aux ordres d'un commissaire de police, il se bat en duel, après son emprisonnement, avec Paul de Cassagnac pour l'honneur du peuple. Flourens est ensuite l'artisan de l'élection de Rochefort dans la 1ère circonscription et tient dans le journal fondé par celui-ci, La Marseillaise, la rubrique hautement subversive de « la tribune militaire », à qui l'on doit un peu les fameuses crosses en l'air du 18 mars 1871.
Le nom de Flourens reste attaché aux troubles de la fin de l'empire. Le 12 janvier 1870, lors des obsèques de Victor Noir, il fait tout pour transformer cette manifestation en insurrection ; le 8 février, juste après l'arrestation de Rochefort, ayant pris un commissaire de police en otage, il proclame « la révolution en permanence » et tente de soulever Belleville où il habite at 397 rue de Puebla dans un petit deux pièces (1).
Exil militant
Flourens, quelques mois après, sera compromis dans les poursuites qui mènent au procès de Blois pour ses relations à Londres avec des comploteurs régicides. Il ne reniera pas ces actes, estimant, en parfait spontanéiste, que tout était bon pour ébranler le système et sera condamné par contumace - il est à Athènes - à la déportation dans une enceinte fortifiée.
Le retour de Flourens contre les Jules
Le Major de rempart
Le retour de Flourens, en septembre 1870, à quelques jours du siège de Paris par les Prussiens, se fait au son du tambour. À peine arrivé dans la capitale, il propose à Rochefort, qui occupe un strapontin dans le gouvernement provisoire, la défense à outrance pour toute la France et « l'appel immédiat à la révolution dans toute l'Europe ».
Élu commandant du 63ème bataillon de Belleville, il prône, comme Blanqui, une éphémère union sacrée, aussitôt suivie le 8 septembre de la proposition de « Faire de suite les élections municipales de Paris », pour introduire « L'égalité dans les mœurs, la justice dans les relations », donc la Commune, qu'il réclame bien avant le Comité central républicain des vingt arrondissements dont il ne fait pas partie, tout occupé qu'il est à ses activités militaires.
Sa popularité à Belleville a attiré beaucoup de volontaires – on parle de 10 000 - et finalement il devient le Major de rempart avec cinq bataillons de Belleville sous ses ordres : la « bande à Flourens ». Ce grade lui avait été traîtreusement octroyé par Jules Trochu, le chef du gouvernement. Autre plaisanterie administrative : il est aussi nommé à la Commission des barricades présidée par Rochefort.
Rupture
Flourens n'a pas été, comme l'a écrit Arago, « choyé » par le gouvernement. Tout au plus Trochu a-t-il voulu lui faire le coup du bon papa lorsque ses bataillons sont venus avec lui à l'hôtel de ville faire le 5 octobre cette « manifestation absurde » pour obtenir l0 000 chassepots et les élections municipales.
Cette « journée » consacre la rupture entre les faubourgs et les Jules déjà observable dans les réunions publiques et les réunions de la Garde nationale du 20ème. L'ordre public est gravement menacé dans cet arrondissement où l'on ne parle que de descendre sur l'hôtel de ville.
Flourens, malgré la pression de ses officiers, a démissionné de son commandement ne gardant sous ses ordres que les 500 Tirailleurs de Belleville. Il reste cependant, comme chef militaire, l'un des « hommes de base d'un ralliement populaire ».
L'insurrection du 31 octobre
Je n'insisterai pas sur les causes bien connues du 31 octobre 1870 et ses péripéties sinon pour rappeler que c'est Flourens qui a fait connaître la trahison de Bazaine à Metz et qu'il est avec Blanqui l'un des deux grands organisateurs de cette insurrection autant patriotique que sociale.
Flourens, dans ce chaudron de l'hôtel de ville envahi par la foule, a tenté de proclamer un Gouvernement de Salut public et a aussi établi une liaison avec cette « commission municipale révolutionnaire » de 28 « citoyens » qui, avec Ranvier, Vésinier, Oudet, etc., s'empare de la mairie du XXème arrondissement.
On l'a montré tour à tour « halluciné », hésitant, opposé à toutes violences ce soir-là – il voulait simplement la démission des hommes du 4 septembre - mais il faut noter le peu d'enthousiasme des bataillons du XXème dont un seul est venu Place de grève avant de repartir sans avoir rien fait. Finalement le gouvernement a été délivré par des bataillons de l'ordre. Un accord de compromis permet à Flourens, Blanqui, Millière, Ranvier et aux Tirailleurs de Belleville de quitter l'hôtel de ville et dans le XXème, à l'aube, la « Commission communale provisoire », qui avait prêché la « conciliation » pour « empêcher toute espèce de violence » remet la mairie aux mains du commerçant Braleret, le maire du 4 septembre.
La tension va persister dans l'arrondissement où Flourens s'est retiré, protégé par ses Tirailleurs. Le 2 novembre la rumeur dit qu'il s'est installé à la mairie pour en faire le siège d'une « Commune révolutionnaire », mais l'agitation dans la Garde nationale et dans les clubs ne sera relayée que par une manifestation de femmes qui, drapeau rouge en tête, ira jusqu'à l'hôtel de ville pour y réclamer « la Commune ».
Ce jour-là pourtant, le XXème - c'est le seul - repousse le plébiscite de la Défense par 9.635 non contre 8.291 oui. Une attitude qui est confirmée par les élections municipales puisque le 5 novembre Gabriel Ranvier est désigné comme maire et le 7, Flourens est élu adjoint par 7.339 voix avec Millière, 7.822, et Lefrançais, 5.697. Malgré les promesses du 3l octobre des mandats d'arrêt ont été lancés. Ranvier est arrêté et révoqué, Flourens, comme Blanqui, se dérobe aux poursuites.
Dans la clandestinité
Signalons ici que Flourens n'a pas regretté ce mandat d'adjoint à la mairie du XXème dans la mesure où il estimait que ces élections pour vingt maires étaient « une mesure détestable » et chaotique, le pouvoir réel restant au seul maire de Paris.
Dans la clandestinité, Flourens va se faire remarquer par un bel article très internationaliste, paru dans La Patrie en danger, en faveur de tous les peuples - bien loin de ses cours au Collège de France - à l'occasion de la mort au combat de plusieurs Tirailleurs de Belleville. En décembre, la police tente sans succès de l'arrêter, isolée qu'elle est dans les faubourgs, mais Flourens ne supporte pas d'être séparé de ses Tirailleurs et se rend auprès d'eux aux avant-postes à Maisons-Alfort où il se fait arrêter le 7 décembre en tombant dans « un guet-apens militaire ».
La police prétend que cette arrestation serait bien vue par « l'immense majorité de la population parisienne » mais le 2l janvier un commando d'une centaine d'hommes le délivre de Mazas. Flourens remonte aussitôt dans le XXème pour y installer sn « pouvoir populaire ». Les chefs de bataillon, une fois de plus, refusent de le suivre dans ses projets d'insurrection. Les Bellevillois, d'ailleurs, ne donneront pas lors de l'insurrection du 22 janvier, à cause de « l'état moral de la population ».
Paris livré
C'est chez Odysse Barot que Flourens se cache jusqu'au 18 mars. Il y écrit Paris livré, un ouvrage de 228 pages où, après avoir donné un tableau politique précis de la fin de l'empire, il étudie la vaste trahison du Gouvernement de la défense nationale, de ses ambassadeurs et de ses différents états-majors. Le peuple étant l'ennemi commun de ces deux régimes. Analyse et dénonciation. Guillemin ne fera pas mieux.
Par ailleurs Paris livré peut être considéré comme un livre testament. C'est un point de non-retour. La Révolution ne peut être que victorieuse. Flourens, qui estimait que Baudin avait eu un destin enviable en périssant sur une barricade, a eu la vision de sa propre mort, comme l'indique une phrase, rappelée dans le livre, figurant sur le placard collé sur les murs de Paris après sa condamnation à mort du 10 mars par les conseils de guerre pour l’insurrection du 31 octobre :
J'ai appris par une longue expérience des choses humaines, que la liberté se fortifiait par le sang des martyrs.
Si le mien peut servir à laver la France de ses souillures et à cimenter l'union de la patrie et de la liberté, je l'offre volontiers aux assassins du pays et aux massacreurs de janvier.
Cette affiche prouve que Flourens est tout de même actif dans cette période bien qu'il ne soit pas mêlé à la mise en place de la Fédération de la Garde nationale. On l'aurait d'ailleurs aperçu à Versailles le jour de sa condamnation et, même si de Fonvielle affirme qu'il voulait alors tourner le dos à la politique en partant à l'étranger, on ne sait pas s'il a agi ou non dans le XXème qui avait alors échappé au contrôle gouvernemental.
La Commune et l’assassinat de Flourens
Le 18 mars sans Flourens ?
Pour la plupart des auteurs, Flourens n'aurait rien fait lors de l'insurrection du 18 mars, alors même que Ranvier et Eudes sont très actifs. Pourtant, l'on peut trouver sa signature avec celle de Mortier sur un laissez-passer délivré à Jenart, son compagnon d'avant le 31 octobre, pour inspecter les barricades et une dépêche gouvernementale indique, à l0 h 15, qu'« on dit Flourens près d’une barricade ».
Ses anciens bataillons, dont le 173e, marchent ce jour-là et nous le retrouvons le 25 mars comme adjoint avec le maire Ranvier à la mairie du XXème, appelant les « citoyens » de l'arrondissement aux urnes pour « sauver la France » en instaurant la « République démocratique, sociale et universelle ». Le 29 mars, il vient, encore rasé, à l'hôtel de ville et le lendemain, les j o u r n a u x publient son ordre du jour à la 20ème légion, comme « général à titre provisoire ».
Les élections : piège à communards
Le 26 mars, il a donc été élu membre de la Commune en 3ème position par 13.498 électeurs du XXème, derrière Ranvier (14.127 voix), Bergeret (14.003) et devant Blanqui, 13.338 voix (sur 28.000 votants). Un très bon score qui prouve qu'il avait accru sa popularité puisqu'aux élections de novembre, il n'avait recueilli que 7.339 voix. Notons toutefois que c'est Ranvier qui proclamera les résultats de la Commune le 28 mars à l'hôtel de ville.
Sa présence dans la Commission militaire de la Commune et sa reprise du commandement des bataillons du XXème appuyée d'une profession de foi dans laquelle il leur rend hommage - « C'est Belleville qui (...) a commencé à sauver la République et l’honneur de la France » - montrent sa volonté de combattre Versailles le plus tôt possible. D'ailleurs il récupère ses armes saisies lors de son arrestation de décembre 1870. La politique proprement dite, au sens étroit du terme, ne l'intéresse pas et on ne le verra pas siéger à l'hôtel de ville.
La sortie meurtrière d’avril
Bien que l'on ait signalé ici et là que Flourens, qui est rétrogradé au grade de colonel, glissait dans la désespérance voire la prostration, je constate, par ses quelques billets, qu'il veut jouer un rôle dynamique dans la sortie qui se prépare dès le 2 avril. Ce jour-là, il reçoit l'ordre de « marcher sur Versailles » avec une colonne de gardes nationaux. Mais c'est Bergeret « lui-même », qui commande cette aile droite de l'offensive fédérée, celle du centre étant sous les ordres d'Eudes, tandis que l'aile gauche est dirigée par Duval.
Je n'insisterai pas sur les péripéties de l'affrontement du 3 avril, un échec sanglant dans lequel Bergeret a de grosses responsabilités, dans la mesure où il était au courant par des dépêches du repli des troupes versaillaises dans le fort du Mont Valérien. Les fédérés se font canonner depuis la citadelle. Seulement 4.000 hommes peuvent gagner Port-Marly avant d'être rejetés sur la partie de Rueil proche de Chatou, puis sur Nanterre. Quelques centaines d'hommes seulement semblent vouloir encore combattre. C'est la confusion. Des fédérés accusent Flourens de trahison. Ne voulant pas être le Ducrot de la Commune, il refuse personnellement de faire retraite. Accablé, il se retire dans une auberge des berges de Rueil avec son ami Amilcare Cipriani où, suite à une dénonciation, ils sont débusqués par les gendarmes. Tandis que Cipriani est grièvement blessé en combattant, Flourens, désarmé et sans ressort, est assassiné d'un coup de sabre par l'officier Desmaret qui sera décoré pour ce meurtre sanguinaire. Son corps est emmené à Versailles.
Notre regretté Flourens
La Commune élue muette
Dans un premier temps la mort de Flourens, qui est très vite signalée par la presse tant versaillaise que communarde, est plus ou moins dissimulée par la Commune élue. Bergeret, interpellé le 3 avril sur l'affaire du Mont Valérien, raconte n'importe quoi : il est applaudi. Dans la séance de nuit du 4-5 avril, Chardon annonce l’assassinat de Duval - ce qui entraînera le vote du décret des otages - mais il faut attendre la séance du 8 avril pour que l'on entende Léo Meillet, élu du XIIIème, demander
l'arrestation du citoyen Flourens, qui aurait, d'après certains journaux, fait clandestinement enterrer, avec l'aide d'un prêtre, le corps du membre de la Commune, assassiné par les Versaillais.
Puis on ne parle plus de « notre pauvre et regretté Flourens » évoqué dans une lettre du 12 avril de Dupont à Cluseret. A-t-on craint les réactions des Bellevillois ? Notons qu'à ce moment-là, les élus se mobilisent contre les sous-comités d'arrondissement.
Tout le monde, en tous cas, était au courant de cet « enfouissement ». Odilon Delimal donnait à compter du 8 avril dans La Commune un long article nécrologique et des « détails exacts » étaient fournis par le même journal à la date du 1er mai sur « l'assassinat de Flourens », mais il fallait attendre le 2l mai pour qu'Odysse Barot, dans Le Fédéraliste décrive ce « convoi honteux » du 6 avril, digne d'un « supplicié », suivi par trois personnes alors qu’il aurait dû être accompagné par « 400.000 citoyens en larmes ».
Les obsèques familiales
La famille de Flourens, notamment sa mère Aline et son frère Émile, qui sera député et ministre sous la IIIème République, était intervenue auprès de Thiers, par l'employé d 'état-major Jules Bezard, pour récupérer le corps à Versailles afin de l'inhumer dans le sarcophage familial, à la 66ème division du Père-Lachaise, là où reposait déjà le père depuis 1867. Un capucin, le Père Stanislas, l'avait béni. Il semble bien, qu'il y ait eu un accord entre Thiers et la famille, qu'il connaissait, pour éviter toute manifestation vengeresse à l'occasion des obsèques (le corps des Vengeurs de Flourens s'est constitué après). Il faut reconnaître que Versailles, malgré l'assassinat jamais avoué, a répondu favorablement et respectueusement aux demandes des Flourens. Le gendarme Desmaret a dû restituer les armes de Gustave en mai 1871 et un Jugement a été rendu pour permettre de dresser son acte de décès.
Le culte du héros
Très tôt des inconnus ont été sur la tombe familiale mais c'est à compter de la fin 1878 qu'un culte se met en place pour rendre hommage au « chevalier de la révolution ». On se rend ensuite chaque année le 3 avril par centaines et dans le calme pour déposer des couronnes payées par des souscriptions populaires organisées par les journaux se réclamant de la Commune. En 1880, Blanqui prononce là un discours sur son compagnon du 3l octobre :
Il possédait toutes les vertus que les conservateurs qualifient de vices, c'est-à-dire le courage, le patriotisme et le dévouement. Sa mémoire ne peut périr, il y a place dans l'histoire à ceux qui sont tombés pour les grandes causes.
Ce culte du héros a fini par s'éteindre mais en 1888, le Comte d'Hérisson, un ancien officier versaillais, remarque sur la tombe ce mot ajouté par une main anonyme :
"assassiné".
Dix ans après, Prolès écrivait, dans la collection Les hommes de le révolution de 1871, son chaleureux Gustave Flourens, préfacé par Cipriani. J'ai l'exemplaire de la Bibliothèque des amis de l'instruction du XVIIIème arrondissement 57 rue de la Chapelle, décidément, on ne pouvait totalement oublier cet idéaliste habité, comme l'a écrit Odilon Delimal par une folie "sublime".
Flourens était-il fou ?
Paul Delion, dans Les hommes de la Commune, a parlé, à propos de Flourens, de ce « renom de bravoure poussé jusqu'à la folie ». N'avait-il pas, un beau jour, traversé Paris tout seul avec une carabine sur l'épaule ? Il concluait ainsi son portrait :
On devinait l'écervelé dans le regard extatique et souvent étrange à force d'être hagard (...) nous avons eu notre Don Quichotte tout aussi courageux, tout aussi ridicule que celui de Cervantès, tout aussi sympathique.
Une opinion quasiment partagée par Arago :
ce jeune savant, ce hardi soldat, tour à tour professeur et condottière, me parut, par ses longs silences concentrés que rompaient tout à coup des exaltations de langage, avoir le cerveau mal équilibré.
Ce « chevalier errant » était, selon Alfred Lepetit « un cerveau malade » et il cite Catulle Mendès affirmant « C'était un fou qui était un héros ». Enfin Vilfrid de Fonvielle, qui dit avoir été son ami, souligne qu'il était victime de son « exaltation d'idées... »
Il faut, à mon avis lire entre les lignes car il ne faudrait pas perdre de vue que la véritable folie de Flourens, pour les bourgeois, était d'avoir choisi le camp de la « révolution sociale » des « gueux » de Belleville. Lui, rentier depuis ses vingt ans, avait mis cette richesse au service de la Cause, aussi prodigue de son sang que de son argent qui aurait servi à acheter des armes et à soulager à Belleville « de nombreuses misères ».
Cette accusation de folie est ressortie plusieurs années après lorsque le journal Le Gaulois, en 1874, a publié un appel du Commandant Flourens « Aux amis de Belleville » où il expliquait qu'il , n’était t ni mort ni jugé mais que l'on avait fait croire à sa mort tout en l'enfermant dans un asile de fous et qu'on lui passait la « camisole de force » chaque soir.
Détracteurs en tous genres
Les organes royalistes, bonapartistes et mêmes d'autres, ont critiqué Flourens avant pendant et après la Commune, pour tout et n'importe quoi : ses costumes extravagants, ses chevaux (Pictor, un cheval de l'écurie impériale, puis celui de Clément Thomas). On l'a montré contradictoirement comme un indécis qui se laissait entraîner et comme quelqu'un qui ne voulait pas admettre le principe de la hiérarchie. Tout a été bon pour salir sa mémoire. L'Ordre du 6 juin 1873 a fait plus que suggérer que Flourens avait eu des contacts avec Thiers en 1869 et que des papiers avaient disparus de chez sa maîtresse rue des maronites, tandis que d'autres le traitait d'« agent bonapartiste ». La pire attaque allait venir d'une femme, la veuve Désirée, ex militante des réunions publiques, qui, dans une très méchante plaquette de six pages, intitulée Une rectification sur Gustave Flourens, tentait de traîner son souvenir dans la boue. Pour elle, Flourens, qui n'était qu'un lâche, un mouchard et un traîte à la Révolution, voulait être depuis 1869 un nouvel Alexandre : celui de Belleville.
Une question pour conclure
G. Puissant, dans Le Faubourg de Gustave Maroteau du 20 février 1870, écrivait à propos de Flourens :
Il nous appartient aussi, celui-là, le peuple et le faubourg le réclament. Et pourtant, s'il est d’une nature élégante et aristocratique, c’est la sienne. Voyez-le plutôt. La face rappelle la panse d'un violon. Son front haut et élargi au sommet, son crâne déplumé, présentant les lueurs douces d'un vieil ivoire brossé. L'œil, plein de caressantes clartés au repos, roule du feu quand frappent à la poitrine de ce fou d'équité, les mots de droit et de liberté.
Ce portrait – j’aurais pu en citer d'autres du même genre – prouve à l'envi qu'à Belleville on raffolait absolument de ce risque-tout de « Florence » pour ses idées et son action. Les faubouriens se sentaient en phase avec ce révolutionnaire, ce qu'il estimait vrai et juste, quitte à rompre avec une situation ou des hommes. Mais Flourens, qui aimait le combat patriotique ou social, voyant à la façon antique dans le citoyen en armes un guerrier plutôt qu'un travailleur, n'était en réalité ni un Robespierre, ni un Saint-Just. Sa sensibilité, parfois presque féminine, son humanité, ne lui permettaient pas de franchir certaines limites. Il avait des réserves pour le jacobinisme, appréciant modérément un Delescluze. Dans le jeu des étiquettes, on peut tout juste l’apparenter aux blanquistes. Notons ici que si Marx a parlé du « chevaleresque et généreux Flourens » le cordonnier Gustave Durand, membre de l'AIT et chef du 63ème bataillon, a tout fait pour se mettre en travers de Flourens et de ses amis qui n’était d’après lui qu’une « infime minorité ». André Léo, l'une des grandes révolutionnaires de 1871, a été plus loin, sans nul doute plus profond, en écrivant, à propos de « l'agonie populaire » :
Ils étaient bien peu qui puissent comprendre. Flourens, très patriote et très brave, n'était que cela, capable de se faire tuer mais non de commander.
Une opinion pleine de sympathie qui nous alerte toutefois sur certains graves problèmes de la Commune, notamment en matière militaire.
Quelque part, Flourens s’est sacrifié pour Belleville et Ménilmontant. Doit-on et peut-on aujourd'hui envisager de réparer un oubli en donnant son nom à un petit bout de la rue des Pyrénées dans le XXème arrondissement, là où il a habité, au numéro 397, lors de ses activités révolutionnaires parisiennes ? N'a-t-on pas baptisé un passage du XVIIème arrondissement du nom de son père Marie-Jean-Pierre Flourens ? N'a-t-on pas donné le nom de l'un de ses ennemis les plus acharnés, jules Ferry, à une partie du boulevard Richard-Lenoir dans le XIème arrondissement ? Une idée à débattre avant qu'une rame Decaux ne prenne l'initiative d'un hommage au grand communard.
Alain Dalotel
Article paru dans Gavroche, revue d'histoire populaire N° 115 de janvier-février 2001. (conférence à la mairie du XXème arrondissement de Paris, le 23 mai 2000)
Gavroche est une revue d'histoire populaire trimestrielle créée en 1981. La revue a cessé d'être publiée depuis le numéro 166 d'avril-juin 2011. La totalité de la revue Gavroche a été mise en ligne sur le site http://archivesautonomies.org/spip.php?rubrique263
Note
(1) rue des Pyrénées aujourd'hui