Ou comment un cuisinier cuersois (Var) a été la cheville ouvrière dans la tragique affaire des otages
Dans la commune de Cuers, repose dans une concession à perpétuité, Benjamin Flotte (1812/1888). Qui était-il, quel a été son rôle dans l’histoire de la Commune ?
Éveil à la vie professionnelle et révolutionnaire
Très jeune, Benjamin Flotte est envoyé à Paris comme apprenti cuisinier où il retrouve ses deux frères ainés. Dès l’âge de 18 ans, il est apprenti cuisinier chez Véry à Paris. Ses convictions conduisent Flotte à participer aux journées de juillet 1830 (les 3 glorieuses), au cours desquelles il sera blessé.
Le 12 mai 1839, travaillant au café Foy, rue de la chaussée d’Antin, il participe à la tentative d’occupation de l’Hôtel de Ville. L’insurrection échouera et Flotte sera arrêté le 3 avril 1840 et condamné à deux ans d’emprisonnement.
À sa sortie de prison en avril 1842, il entre en contact avec Blanqui. Une amitié indéfectible naîtra.
En février 1848, il participe avec son ami Blanqui à l’action révolutionnaire contre Louis Philippe. Il deviendra trésorier de l’association « Société Républicaine Centrale » créée par Blanqui. En 1848, il habite avec Blanqui au 5 rue Boucher.
Il fit partie des 50 délégués choisis après la manifestation du 17 mars 1848 pour négocier avec le gouvernement le report des élections à l’assemblée constituante. Candidat à cette élection, il ne sera pas élu.
Il sera de nouveau arrêté et condamné en mars 1849 par la Haute Cour de Justice de Bourges à cinq ans de détention et Blanqui (l’enfermé) à dix ans ; ils seront incarcérés à la forteresse de Doullens (Somme) puis à Belle-Île-en-Mer (Morbihan).
En 1854, Flotte revient dans le Var assigné à résidence à Pignans ou à Brignoles.
En 1857, faisant l’objet d’une surveillance policière permanente il décide d’émigrer aux États-Unis, à San Francisco, où il ouvrira un restaurant.
Après la chute du Second empire, Flotte rentre à Paris avec un autre futur communard varois exilé aux États-Unis, Casimir Bouis.
Le 6 janvier 1871, Flotte et Bouis sont signataires de l’affiche rouge « Place au peuple, place à la Commune ».
Flotte sera parmi les 43 socialistes révolutionnaires présentés par l’Internationale aux élections du 8 février 1871 mais il ne sera pas élu.
Le 11 mars, salle Montesquieu, il est à l’origine de la pétition des cuisiniers-pâtissiers réclamant la création d’un conseil de prud’hommes - l’équivalent d’un CHSCT -, le recrutement à partir de 15 ans des apprentis et la journée de 10 heures.
L’affaire des otages
Le 17 mars, Blanqui est arrêté chez sa sœur à Figeac (Lot), il est mis au secret au fort du Taureau dans la baie de Morlaix.
Rentré à Cuers pour affaires, Flotte est rappelé à Paris le 27 mars par Tridon, fidèle de Blanqui, et le 9 avril, il est chargé par Rigault de négocier la demande de libération de Blanqui contre celle des otages enfermés à la prison cellulaire de Mazas face à la gare de Lyon : l’archevêque Darboy, Bonjean, président de la cour de cassation, le grand vicaire Lagarde, la sœur de l’archevêque, ainsi que Deguerry, le curé de La Madeleine.
Le soir du 9 avril, Flotte se rend à Mazas pour rencontrer Darboy. Ils décident d’envoyer Lagarde pour négocier auprès de Thiers l’échange de prisonniers.
Le 12 avril, Flotte conduit Lagarde à la gare de Lyon, mais Thiers bloque tout échange. Du 24 au 28 avril, la deuxième négociation échoue aussi face à l’intransigeance du gouvernement de Versailles.
Le 28 avril, Darboy annonce à Flotte la venue de l’ambassadeur des États-Unis, du nonce du pape et du maire de Londres chez Thiers.
Les 13 et 14 mai 1871, Flotte obtient un rendez-vous avec Thiers mais ce dernier oppose une fin de non-recevoir à la demande de libération. Flotte rentre à Paris et informe la Commune et Darboy.
Thiers politicien cruel et machiavélique connaît trop bien la valeur de Blanqui comme militaire et politique. Il utilise Darboy et les otages pour servir son dessein d’anéantir la Commune. Durant la Semaine sanglante, les 24 otages sont fusillés. Flotte, malgré tous ses efforts, subit un échec qui le marquera. Dans un document historique de 1885 déposé à la BNF, Flotte consignera toutes les étapes de cette négociation impossible.
Exil aux États-Unis
Dépité, il repartira en Californie et militera à l’Association internationale des travailleurs à New York.
Le 16 avril 1874, à San Francisco, Flotte organise l’accueil, au terme de leur long voyage dans le Pacifique, des six évadés du bagne de Nouméa, notamment Henri Rochefort, futur directeur du journal L’Intransigeant.
Le 30 mars 1876, Flotte tient une réunion extraordinaire de la société des réfugiés de la Commune à New York. Les fonds recueillis doivent permettre aux évadés de rejoindre l’Europe.
Retour en France
En 1877, Casimir Bouis accueille Blanqui à Toulon et, le soir, un banquet se tient au théâtre à Cuers avec des citoyens, des délégations de la région et Benjamin Flotte.
De retour à Paris en 1883, Flotte est élu président de la Ligue pour la suppression de l’armée permanente.
Aux élections législatives des 4 et 18 octobre 1885, il est candidat proposé par la coalition socialiste révolutionnaire à Paris. À cette époque il réside au 18 place d’Italie. Il collabore au journal L’homme libre d’Édouard Vaillant.
En 1886, il revient dans le Var à Cuers. Il décède le 12 août 1888 âgé de 76 ans.
Ses obsèques seront suivies par la population cuersoise et la gauche du canton, le portrait de Blanqui sur son cercueil recouvert d’immortelles rouges.
Le 12 avril 1903, une rue Benjamin Flotte est inaugurée.
Le 11 juin 2005, la mairie de gauche décide d’offrir une concession à perpétuité au communard.
MICHEL DEBRUYNE