Au fil des ans, Louise Michel est devenue la figure unique et emblématique du combat féministe des Communardes, ce qui est totalement injustifié. Si ses propos sont ceux d’une féministe, son combat est celui d’un soldat : ce qu’elle fut durant toute la Commune. On peut dire que son engagement féministe est parallèle à l’action des femmes qui mènent durant cette période un combat exemplaire. En effet, pour la première fois de leur histoire, les femmes créent durant la Commune une organisation féminine, large, populaire, rassemblant des milliers de femmes.

Louise Michel
Louise Michel (1830-1905)

À Paris, les femmes, pour beaucoup, travaillent. L’annuaire statistique des années 1861-1865 montre que leur nombre dans la production industrielle est très important. (en 1871 : 114 000 emplois dont 62 000 ouvrières).

Durant l’année 1870, année du siège par les Prussiens, les femmes de Paris souffrent considérablement du froid, de la faim. Surexploitées, elles n’ont rien à perdre et attendent tout de changements possibles.

Les femmes protègent la Commune

Dès le 18 mars, premier jour de la Commune, les femmes en grand nombre sont présentes sur le terrain. Au petit matin Louise Michel est là avec les Parisiennes pour empêcher la confiscation des canons. C’est grâce à leur intervention courageuse que la troupe met crosse en l’air. Comme le souligne Edith Thomas dans son ouvrage «  les pétroleuses » :

«  il serait exagéré de dire que cette journée révolutionnaire fut celle des femmes, mais elles y contribuèrent puissamment  » .

Elles restent déterminées à se battre et, le 3 avril 1871, 500 femmes partent de la place de la Concorde pour marcher sur Versailles. Au pont de Grenelle, elles sont rejointes par 700 autres. L’exemple est donné de la nécessité d’organiser la population. Le 9 avril 1871, la première organisation féminine structurée voit le jour. Elle s’intitule :

« l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés ».

Dans le contexte proudhonien de cette époque, il faut se rendre compte de ce que cela veut dire, pour des femmes, de réclamer le droit de défendre Paris, même si le deuxième volet du titre reste dans la tradition. « L’Union des femmes  » se charge de l’enregistrement des citoyennes qui veulent s’enrôler pour défendre Paris. Nous trouvons également dans ses buts « la nécessité de la participation des femmes par une campagne dans les clubs, dans les réunions de quartier. » Ce qu’elles feront aussi avec éclat. Leur présence aux réunions des clubs marque l’histoire de la Commune et manifeste l’exercice de la démocratie directe.

Nathalie Le Mel      Elisabeth Dmitrieff
Nathalie Le Mel, née Perrine Natalie Duval (1826-1921) / Elizaveta Tomanovskaïa, dite Élisabeth Dmitrieff (1851-entre 1910 et 1918)

 

Ses dirigeantes sont : Nathalie le Mel (ouvrière relieuse), Élisabeth Dmitrieff, (aristocrate russe), Marceline Leloup ( couturière), Blanche Lefèvre (qui est tuée sur une barricade le 23 mai), (blanchisseuse), Aline Jacquier (brocheuse), Thérèse Collin (chaussonnière) et Aglaë Jarry. (Nous nous devons chaque fois que cela est possible de citer ces noms car, si les noms des Communards sont peu connus, que dire de ceux des Communardes !)

L’union des femmes : un programme révolutionnaire.

« L’Union des femmes » est organisée avec sérieux et esprit de responsabilité. Le programme reprend des idées essentielles comme l’égalité des salaires. Une première application décidée par la Commune accorde des salaires identiques aux instituteurs et aux institutrices. Un groupe d’institutrices, dont fait partie Louise Michel, adresse une pétition à la Commune pour demander des écoles professionnelles et des orphelinats laïques.

André Léo    Anna Jaclard
Victoire Léodile Béra, dite André Léo (1824-1900) / Anna Jaclard, née Anna Vassilievna Korvine-Kroukovskaïa (1843-1887)

 

André Léo, Anna Jaclard, Noémie Reclus et Clara Perrier participent à la commission créée par Vaillant « pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles ». Marie Verdure et Élie Ducoudray rédigent un mémoire sur la nécessité de l’installation de crèches et proposent d’aider les mères non mariées pour les empêcher de sombrer dans la prostitution.

Paule Minck organise une école de jeunes filles dans la salle de catéchisme de Saint-Pierre- de-Montmartre.

Le 11 avril, le premier appel aux femmes édité par « l’Union des femmes  » est placardé sur les murs de Paris . Il dit en substance :

« … Nos ennemis ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères. ».

L’Union des femmes rappelle très clairement et pour la première fois que « toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes, constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes. » .

Les femmes sont dans les Comités de quartiers. Elles pétitionnent pour faire remplacer les religieuses dans les hôpitaux et les prisons par des mères de familles « qui », disent-elles, « font mieux leur devoir. ». Elles obtiennent leur place aux ambulances, y compris aux postes avancés des combats. Elles arrachent la fermeture des maisons de tolérance. La Commune bannit la prostitution considérée comme « une forme de l’exploitation commerciale de créatures humaines par d’autres créatures humaines. »

Elles sont aussi à l’origine de la reconnaissance de l’union libre puisqu’elles obtiennent le paiement d’une pension aux veuves des gardes nationaux tués au combat, mariés ou non, ainsi qu’à leurs enfants, légitimes ou naturels. Elles obtiennent que soit accordée une pension aux femmes plaidant la séparation.

Toutes les associations féminines réclament du travail auprès de Fränkel, responsable de la Commission du Travail et des échanges, qui fait siennes les propositions de « l’Union des femmes », à savoir notamment l’organisation d’ateliers coopératifs.

L’engagement militaire des femmes.

D’autres femmes ont choisi comme Louise Michel l’engagement militaire. Victorine Rouchy (bataillon des Turcos), Léontine Suetens cantinière au 135e bataillon, blessée deux fois, Eulalie Papavoine, combattante à la plaine de Vanves, Marguerite Lachaise cantinière au 66e qui a fait le coup de feu dans la plaine de Châtillon. Hortense David pointeuse à la marine communaliste à la porte Maillot.

Léontine Suetens     Hortense David
Léontine Suétens (1846-1891) / Hortense David, née Machu (1836-1893)

 

André Léo est sur la barricade des Batignolles. Louise Michel se trouve à la barricade de la Chaussée Clignancourt avec Marguerite Diblanc. Adèle Chignon, combattante de 1848, est sur la barricade du Panthéon. Cinquante sont sous la direction de Nathalie Le Mel, Place Pigalle. Pour la plupart leurs noms sont tombés dans l’oubli. Selon Lissagaray, témoin de son temps, 120 femmes environ participent à la barricade de la Place Blanche.

Benoît Malon et Louise Michel, avancent le chiffre de 10 000 femmes qui combattirent durant la Semaine Sanglante (vérification évidemment impossible à faire) Jusqu’au dernier jour de la Commune, les femmes se battent.

La répression sera terrible pour elles. Elles sont, pour un grand nombre, fusillées sur les barricades mêmes. De Villiers, un Versaillais, raconte : à propos d’une des barricades …

« un grand nombre de femmes (52 ?) prises les armes à la main furent sur-le-champ fusillées. »

Plus de 1000, selon l’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars - rapport présenté par le capitaine Briot- furent arrêtées et comparurent devant le 4e conseil de guerre. Elles furent humiliées, souvent traitées de prostituées. Celles que Versailles affuble du nom de « pétroleuses  » font preuve d’un grand courage. Lors de leur procès, à l’instar de Louise Michel, elles revendiquent tous leurs actes.

La prison des Chantiers, le 15 août 1871. Photomontage de E. Appert. Louise Michel est à droite, debout, les bras croisés.  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)
La prison des Chantiers, le 15 août 1871. Photomontage de E. Appert. Louise Michel est à droite, debout, les bras croisés.  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

L’incarcération dans les prisons de Versailles est des plus pénible. Louise Michel la décrit très peu dans ses mémoires. Elle nous dit « ce qui se passa aux chantiers après notre départ a été raconté par Madame Hardoin » [1] Durant ces incarcérations les condamnations tombent. Elles sont lourdes.

Selon le rapport Appert, 29 femmes sont condamnées aux travaux forcés, 20 à la déportation en enceinte fortifiée, 16 à la déportation simple. Les condamnées à la déportation sont embarquées sur de vieilles frégates. A bord de la « Virginie », elles sont 19 communardes enfermées dans des cages. Le voyage vers les bagnes de Nouvelle Calédonie dure 120 jours ! L’attitude des femmes durant la déportation est remarquable. Elles se rebellent, défendent sans cesse leurs droits d’emprisonnées politiques.

A leur retour de déportation, pour beaucoup comme Nathalie Le Mel et Louise Michel, elles continuent leur combat, s’engagent politiquement mais aussi dans des syndicats et associations de défense.

Leur héritage, c’est aussi l’intense vie associative dans notre pays. Une tradition à perpétuer car elle est la garante de la démocratie.

Claudine Rey

Un scoop sur la détention dans les prisons de Versailles en 1871. Madame Hardoin livre ici, avec un recul de huit ans, un long et remarquable reportage vécu, sur la détention de quatre cents femmes, dans un style pimpant, plein d’humour, fort moderne, avec notamment d’excellents portraits de policiers, geôliers, magistrats, religieuses.

Note

[1];« la détenue de Versailles » par Madame Hardoin, ouvrage retrouvé à la Bibliothèque nationale et édité par les Amis de la Commune de Paris. Prix : 12 euros plus 1,45 euros de frais de port.

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