PHILÉMON, VIEUX DE LA VIEILLE
Philémon est une histoire d’anciens de la Commune, trente ans après. C’est un « roman de la Commune, de l’exil et du retour », comme le dit Descaves dans son « avertissement » et comme cette édition le porte en sous-titre. L’auteur rencontre son voisin, Colomès, qu’il surnomme Philémon et qui est en partie inspiré par Henri Mathey, un ouvrier-bijoutier qui commanda le fort de Vanves du 1er au 8 mai 1871.
Colomès et sa femme — Baucis — racontent leur expérience de la Commune et de l’exil, qu’ils ont vécu en Suisse. Ayant beaucoup fréquenté les proscrits à Genève, ils peuvent raconter l’histoire, les histoires de beaucoup d’anciens communards.
Ils font aussi participer Descaves à leur rite annuel, un banquet du 18 mars.
Le livre est souvent drôle. L’auteur y est présent, et fait parfois prononcer à ses personnages ses propres opinions. Un bel exemple est la liste de vingt-six écrivains qui ont condamné la Commune ou ses partisans, qu’a établie Colomès (et qu’il appelle « le pilori ») : il pouvait difficilement accuser lui-même directement ses confrères...
Ce livre n’est pas juste « une nouvelle édition » de Philémon. Il en est sans doute l’édition définitive.
Les personnages de Philémon sont pour la plupart des inconnus, presque des anonymes, et c’est ce qui fait la qualité du roman.
L’éditeur, Maxime Jourdan, s’est attaché à les retrouver tous, un à un. Certaines entrées de l’index lui ont coûté plusieurs journées de travail. Il a établi une chronologie précise. Par exemple, il a déterminé la date et le lieu exacts de la rencontre de Descaves avec Gustave Lefrançais, rencontre qui a fait de Descaves un passionné de la Commune.
Si l’histoire de la Commune et surtout celle des communards vous intéresse (et sinon, pourquoi seriez-vous en train de lire ceci ?), lisez l’édition de Maxime Jourdan de Philémon Vieux de la Vieille à La Découverte !
MICHÈLE AUDIN
Lucien Descaves, Philémon, Vieux de la Vieille. Roman de la Commune, de l’exil et du retour (1913), La Découverte, 2020.
POUR UNE VISION RENOUVELÉE DE LA COMMUNE
Dans la profusion relative des livres publiés à l’occasion du 150e anniversaire de la Commune, celui de Quentin Deluermoz, Commune(s), 1870-1871, se détache par l’intelligence pluridisciplinaire et l’ampleur de sa vision. Il démontre l’actualité des idées, des institutions de la Commune, en faisant le lien avec des formes de lutte comme Nuit Debout ou les Gilets jaunes, voire le Rojava dans le Kurdistan occidental. « Elle fait sens, à une échelle globale, par-delà les redéfinitions idéologiques du siècle précédent qui semblaient l’avoir cadrée.
Elle nous nourrit de nouvelles significations puisqu’elle est toujours synonyme de lutte sociale, elle fait aujourd’hui davantage écho aux réappropriations démocratiques qu’aux mouvements ouvriers auxquels elle a longtemps été associée. »
Une vision internationale
La spécificité et l’intérêt de l’ouvrage résident dans l’analyse internationale de l’évènement. Nombre d’étrangers se porteront volontaires pour la Commune. Les conséquences économiques, peu connues, seront réelles sur le canal de Suez, et jusqu’en Chine ; la Kabylie portera le même combat avant d’être écrasée. La presse étrangère, par ses correspondants présents dans Paris, assure le relais. Les USA, l’Espagne, la Roumanie, autant de pays attentifs à ces 72 jours.
Elle étonne le monde, cette Commune, elle interroge sur des questions qu’elle n’aura pas le temps de traiter, comme l’exercice de la souveraineté, l’économie, les relations avec les autres pays. Sur le plan institutionnel, elle vise à une fédération de communes dans une approche proudhonienne, mais elle peine à étendre le mouvement, d’autant plus que le pouvoir versaillais incite les fonctionnaires parisiens à quitter leur poste, regroupe 130 000 soldats de la province pour reconquérir Paris les armes à la main. Une forme de haine sociale symbolisée par Galliffet.
Une éthique populaire collective
En face, des femmes et des hommes dans les quartiers vivent la troisième révolution du 19e siècle, une forme d’éthique populaire collective. L’analyse de l’exercice du pouvoir y est très intéressante.
Pourtant la fin est inéluctable. La violence de la répression est connue, Paris est en état de siège jusqu’en 1876, il est interdit de valoriser la Commune jusqu’en 1879. Les rumeurs absurdes circuleront comme le mythe des pétroleuses ou le complot de l’AIT. La bourgeoisie a vraiment eu peur. Les débats politiques passionneront le mouvement socialiste, notamment ceux de Bakounine et Marx. Encore aujourd’hui, la Commune fait sens, des femmes et des hommes doivent s’en emparer et leur combat « restera chargé de l’espoir toujours renouvelé de changer le monde tel qu’il va ».
FRANCIS PIAN
Quentin Deluermoz, Commune(s), 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle, Éd. du Seuil, 2020.
ILS VENAIENT DE NORMANDIE
Elles et ils venaient d’Europe et de France et aspiraient à une liberté sans rivages. Ils venaient aussi de Normandie. L’ami Gérald Dittmar nous propose un nouvel ouvrage consacré à ces inconnus, ces femmes et ces hommes nés à Condé-sur-Noireau, Cherbourg, Mortagne ou Caen, originaires d’une région paysanne au ruralisme conservateur à souhait où, même après la défaite de Sedan, l’empereur avait encore ses admirateurs.
Certains noms nous sont connus, les plus célèbres Paul Pia, Charles Longuet, aux longs parcours militants. Mais qui connaît Marie Spinoy qui fit partie du convoi des femmes pour la Nouvelle-Calédonie ? Et Virginie Lenordez de Saint-Pierre-Église dans la Manche, profession : crémière, qui tint sa place sur les barricades de la rue des Charbonniers et de la rue d’Aligre, la dernière semaine ? Qui est Élisa Rousseau, cantinière ? Certains, tels Émile Aubry, souvent blanquistes, forgent leur idéal dans la création des premières sections de l’Association Internationale des Travailleurs au sein des villes industrielles, mais « leur engagement », comme l’écrit Gérald Dittmar, « les conduit à Paris et changera leurs vies ».
Les biographies reflètent les parcours étonnants de ces personnages, accompagnés de témoignages, d’extraits de discours, de déclarations comme l’Affiche rouge, de textes toujours utiles à relire comme le décret sur les otages, pour mieux mesurer le drame qui se vivait et l’indifférence des versaillais quant à la vie des Parisiens.
Communeux de France
L’intérêt du texte réside aussi dans la suite de l’engagement, dans la poursuite de la lutte. Relisons le très bel appel Aux Communeux de 1874, écrit à Londres : « Communeux de France, Proscrits, unissons nos efforts contre l’ennemi commun ; que chacun, dans la mesure de ses forces, fasse son devoir. »
On peut noter la qualité iconographique, les photos, les gravures, les reproductions d’affiches, avec un effort de mise en page. L’auteur souligne ses sources avec des notes précises en bas de page, ce qui fait de cet opuscule une agréable monographie.
FRANCIS PIAN
Gérald Dittmar, Figures normandes de la Commune de Paris de 1871, Éd. Dittmar, 2020.
PARIS 1871 : L’HISTOIRE EN MARCHE. 21 CIRCUITS PÉDESTRES SUR LES TRACES DE LA COMMUNE
La plupart des auteurs choisissent la chronologie pour raconter la Commune de Paris, à commencer par Prosper-Olivier Lissagaray. La densité des évènements de la Commune sur le territoire parisien permet également d’envisager une découverte géographique. C’est ce que notre Association réalise depuis toujours dans ses « parcours communards » au sein des différents quartiers de Paris.
Digne successeur de Guy de la Batut (1), de Jean Maitron (2) ou de Jean Braire (3), Josef Ulla, instituteur et syndicaliste d’origine espagnole, vient de réaliser une œuvre magistrale de 350 pages décrivant 21 circuits pédestres (un par arrondissement et un pour le Père Lachaise). L’ouvrage pèse plus d’1,5 kg ! Ce qui ne le rend certes pas très facile à transporter, mais il est sans doute possible de photocopier les pages spécifiques d’un arrondissement, en attendant d’avoir une édition de poche.
Les demandeurs de parcours communards souhaitent souvent une conférence suivie d’une visite des lieux. Certes, une connaissance préalable du déroulement de la Commune ne saurait nuire, mais les parcours sont en eux-mêmes des conférences, des conférences péripatéticiennes en quelque sorte, dans la tradition d’Aristote. Et Josef Ulla s’inscrit dans cette grande tradition en illustrant tous ses circuits d’une foule d’histoires, d’anecdotes, de documents et d’illustrations qui rendent son ouvrage totalement passionnant.
Un ouvrage très pédagogique et vivant, permettant aux débutants comme aux initiés de parcourir l’histoire de la Commune de Paris. Et ceci en restant parfois assis derrière son bureau (comme en période de confinement par exemple). Un superbe cadeau à offrir à tous ceux qui ont soif de la Commune.
JEAN-PIERRE THEURIER
Josef UllA, Paris 1871, l’histoire en marche. 21 circuits pédestres sur les traces de la Commune, Les Éditions Libertaires, 2020.
(1) De La Batut Guy, Les pavés de Paris. Guide illustré du Paris révolutionnaire, 2 tomes, Éditions Sociales Internationales, 1937.
(2) Maitron Jean, De la Bastille au Mont Valérien. Dix promenades à travers Paris révolutionnaire, Les Éditions Ouvrières, 1956.
(3) Braire Jean, Sur les traces des communards – Enquête dans les rues de Paris aujourd’hui, Amis de la Commune de Paris 1871, 1988.