Une vendéenne dans la Commune
Florence Regourd, Marie-Augustine Gaboriaud. Une Vendéenne dans la Commune de Paris, Vent des Lettres (VDL), 2021.
Voici un roman historique où l’héroïne a vraiment existé. Florence Regourd, professeure d’histoire, a choisi cette formule pour nous projeter dans la vie de Marie-Augustine Gaboriaud (1835-1882) née en Vendée, haut-lieu de la contre-révolution, chez les chouans. Sa famille de journaliers évoque les souvenirs de ces temps de guerre civile autant que de religion. Élevée par sa grand-mère qui lui racontait l’histoire, elle se fait très tôt une idée de l’injustice. Avec, dans cette vie paysanne, le souvenir du temps des Lumières, mais aussi des exécutions et massacres en 1794.
Marie-Augustine en fut imprégnée. Elle a envie de partir et de tenter sa chance à Nantes, où elle se marie en 1867 avec un tailleur de pierres. Ils décident d’aller à Paris, où on trouve facilement du travail avec les grands travaux d’Haussmann. Ils vivent dans le XIe et le XIIe, quartiers très populaires où s’affaire un petit peuple au carrefour de l’artisanat et du compagnonnage ; le prolétariat sous le Second Empire, en 1870, compte deux millions de Parisiens dont 400 000 ouvriers, employés et artisans. Beaucoup de provinciaux s’y retrouvent, se mêlent aux discussions nourries et adhèrent aux idées de la Commune.
Quand la Prusse attaque, ces travailleurs s’organisent dans chaque arrondissement.
Marie-Augustine n’est pas une pétroleuse, mais elle participe à la lutte contre les versaillais. Arrêtée, on suit son destin de prisonnière à Auberive (Haute-Marne), où elle rencontrera Louise Michel qui la cite à ses côtés dans ses Souvenirs, puis dans les forts malsains en attente d’un bateau, avant partir pour la déportation en Nouvelle-Calédonie. Là, ce fut la joie d’y retrouver son mari et de pouvoir vivre ensemble. Le pouvoir colonial en profite pour accaparer des terres kanak : cinq cents hectares répartis entre 900 hommes. Marie-Augustine, avec ce petit bout de terre, arrive à organiser sa vie avec son mari. Seulement, voilà que le peuple kanak se révolte. On lui vole sa terre. La Nouvelle-Calédonie vit une période d’insécurité avec ce colonialisme répressif. Les révoltes sont violentes. Le mari est assassiné dans la presqu’île Ducos. Le retour des bagnards en France se fait dans des conditions effroyables.
L’auteure en dresse un tableau, qui éclaire ce que fut la vie des déportés et leur retour. Ils ont tout donné à la cause de cette république universelle démocratique et sociale.
Cette biographie romancée nous replonge dans le combat courageux de ces femmes de la Commune tant les portraits sonnent juste.
Maguy Roire
Terre de bagne
Marinette Delanné, Au bagne de Nouvelle-Calédonie, Éditions du Petit Pavé, 2021.
Très beau et très impressionnant livre que cet ouvrage consacré à ce lieu de souffrances, de violences sadiques aux antipodes de la France métropolitaine, Au bagne de Nouvelle-Calédonie.
En effet Marinette Delanné nous révèle la vie des bagnards, leur voyage, le mépris à leur égard de la part de l’administration pénitentiaire et son arbitraire. Elle souligne que cette île fut une concentration de lieux de détention qui visait la colonisation totale et l’élimination de la population kanak. C’est toute l’histoire du bagne qui est rapportée depuis 1864 jusqu’à la fermeture des établissements en 1931. Le livre est illustré de très belles photos prises par l’auteure lors de ses deux séjours. Le texte est enrichi de citations des autorités, de témoignages des bagnards comme Allemane, de biographies des communards. C’est un vrai travail de référence.
Les conditions de vie sont effroyables tant pendant le voyage — les maladies, le scorbut — que sur place ; les individus couchent dehors sous une pluie diluvienne. Les communards savent écrire et parler, ils revendiquent. Alors l’administration les condamne à la mise aux fers, à la prison avec tortures telles que la crapaudine, les poucettes. La haine des garde-chiourmes se traduit au quotidien. Les contrats de chair humaine assuraient aux entreprises locales une main-d’oeuvre bon marché. Les terres kanak sont confisquées au profit des concessionnaires. La perversité du système consiste à opposer les bagnards et les Kanak pourtant objets de la même oppression. Le droit est banni comme le soulignent de nombreux témoignages. Peu de communards s’intéresseront à la culture kanak lors de leur révolte de 1878, hormis Louise Michel ou Allemane.
Dans l’ennui, la souffrance, la vie s’étire, peu d’évasions, plus de 570 communards meurent sur place. Enfin le retour à partir de 1880 est souvent source de désillusions. La commission parlementaire publie un rapport éloquent et les témoignages repris par Marinette Delanné ont la force du vécu.
La terre de Nouvelle-Calédonie contient les vestiges et les symboles des souffrances de celles et ceux qui voulaient un monde meilleur.
Francis Pian
Dictionnaire de la Commune
Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, L’Amourier éditions, 2021.
Le 18 mars 1971, paraissait le Dictionnaire de la Commune de Bernard Noël, le poète, romancier, essayiste, dramaturge et critique d’art qui vient de nous quitter le 13 avril 2021. Ce dictionnaire a été réédité, sans son iconographie première, en 2001 aux éditions Mémoires du livre.
En cette année du 150e anniversaire, ce sont les éditions L’Amourier qui nous proposent cet ouvrage, avec une préface augmentée, de grand intérêt, pour ouvrir des portes vers des découvertes plus complètes. En frontispice, un dessin d’Ernest Pignon-Ernest.
« La vérité d’un événement se limite au fait qu’il a eu lieu. C’est donc son « avoir lieu » qu’il faut saisir, autrement dit, tous les aspects de sa survenue dans leur concomitance (…). La science que pratique la poésie ne passe pas pour être scientifique, qualité que réclame aujourd’hui l’histoire – ou tout au moins les historiens. »
De nombreux renseignements sont tirés des archives, des journaux, des ouvrages connus à l’époque ou des travaux récents jusqu’en 1971.
Ce livre n’aurait sans doute pas existé si Fernand Hazan, son premier éditeur, ne s’était laissé convaincre que le dictionnaire pouvait changer la lecture de l‘histoire.
Ce dictionnaire comporte une chronologie et s’organise suivant un index thématique : la préparation de la Commune, les événements, les noms de 182 hommes et de 15 femmes. Il ajoute des informations sur les ateliers coopératifs, les crèches, le divorce, l’émancipation, la prostitution… Les groupes sociaux sont inventoriés, la vie politique et sociale est analysée, où elle rencontre les vies quotidiennes, intellectuelles et 18 écrivains, dont George Sand.
Ce dictionnaire étale une longue liste des journaux d’époque, ce qui en fait ressortir un de ses points forts. Les grandes idées et les sentiments (autorité, calomnies, ignorance, insurrection, utopies...) se différencient des idéologies (anarchie, athéisme, communisme, socialisme, démocratie, fédéralisme, République…). Les communes de province sont évidemment présentes.
L’armée de la Commune est un autre thème. On ne peut éviter Versailles et la répression.
C’est un dictionnaire. On trouvera donc classés, étiquetés, reliés entre eux, les textes recherchés, selon l’ordre alphabétique, les mots de A à Z, de Aab Pierre, briquetier, l’un des 7496 communards condamnés à la déportation, à Zola et zone, avec une citation de 1891.
Michel Pinglaut
Volito, un poète à l’assaut du ciel
Volito, Le temps des cerises, 2021.
L’histoire de la Commune n’étant pas enseignée à l’école, nombreux sont ceux qui l’ont découverte à l’âge adulte et en ont éprouvé le sentiment d’une bouleversante injustice.
C’est ce qui est arrivé à Volito. Il avait 17 ans lors du 100e anniversaire de la Commune et, ce jour-là, il s’est fait la promesse de combler cette occultation des communards. Comme il est largement poète, il s’est mis en tête d’écrire une nouvelle Chanson de Roland, une épopée relatant les faits et gestes des oubliés de cette histoire.
L’arrivée du 150e anniversaire de la Commune a brusquement remis au premier plan cette promesse d’adolescent que la vie professionnelle, la vie tout court, avait quelque peu éloignée. Les communards étaient partis à l’assaut du ciel, pourquoi Volito ne leur rendrait-il pas hommage en en faisant autant ? Ils le méritaient bien.
Après neuf années de travail, Volito publie une épopée de 60 chants et 17 000 vers en décasyllabes (4+6 ou 6+4) sur l’histoire de la Commune. Pourquoi décasyllabes et pas alexandrins ? Parce qu’ils étaient utilisés pour la Chanson de Roland et pour toute la poésie épique, puis dans les vers lyriques du XIIIe au XVIe siècle. Des vers ciselés pour être déclamés au coin des rues et des places. C’est un livre de poésie de 624 pages qu’il a publié à compte d’auteur sous le titre Le temps des cerises en décembre 2021. Mais il n’y en aura pas pour tout le monde puisque le tirage n’a été que de 100 exemplaires ! On ne le trouvera pas à la FNAC mais quelques exemplaires devraient prendre place au local de notre association ou directement à : printemps1871.wordpress.com.
Volito voulait qu’au-delà de l’histoire parfaitement documentée, la Commune continue à vivre en nous au présent comme un désir de liberté, comme un désir de vivre. Pour lui, la Commune est avant tout une promesse. Et le pari est réussi puisque ce livre sera profondément jubilatoire pour tous les connaisseurs de la Commune.
Au fait, Volito est membre de notre association mais beaucoup le connaissent sous un autre nom !
Jean-Pierre Theurier
En prison de Versailles à Clairvaux
Eugène Émile Robinet, Journal de prison d’un communeux. Éd. Dittmar, 2020.
Eugène-Emile Robinet sera condamné le 23 novembre 1871 à la déportation simple pour avoir participé à l’insurrection parisienne. Cette peine sera commuée en celle de cinq ans de prison avec dégradation civique. Il sera incarcéré comme « détenu insurrectionnel » après remise de peine jusqu’au 22 mars 1874. C’est le journal de ces mois de prison accompagné d’une intéressante iconographie que nous livrent les éditions Dittmar.
Quelle chance pour un éditeur de découvrir un inédit, un témoignage d’un de ces anonymes qui ont participé à la Commune ! Celui-ci, menuisier ébéniste de métier, participe à l’occupation de l’Imprimerie nationale puis du fort de Vanves et d’Issy. Dénoncé, il est arrêté au domicile de ses parents le 20 juillet 1871. Commence pour lui un sinistre cauchemar.
La sinistre quotidienneté
Comme nombre de Fédérés, il est ballotté de prisons parisiennes en docks de Satory. Il subit les insultes, le mépris. La population versaillaise, remise de sa peur, se délectait à voir passer les convois de détenus. Cela nous le savons par P.-O. Lissagaray (1838-1901) et tant d’autres mais l’intérêt de l’ouvrage réside dans la relation au jour le jour de la vie des détenus, cette sinistre quotidienneté, l’attente de la venue des familles au parloir, les espoirs déçus, les angoisses, les condamnations, l’hygiène déplorable, les rats qui courent sur les corps, les brimades, la bêtise crasse des gardiens, bref la vie dans les prisons de la République bourgeoise qui se venge et veut étêter le mouvement ouvrier.
Obligés à insulter l’espoir
Robinet nous livre les interrogatoires bidonnés, les instructeurs militaires qui condamnent avant le jugement, les demandes de grâce trafiquées et dictées par la hiérarchie militaire, incitant les condamnés à honnir la Commune. La pire condamnation que d’obliger à insulter l’espoir que l’on a contribué à bâtir ! Les condamnés à mort ne sont pas tous exécutés mais la déportation en tuera de nombreux à petit feu.
La vie s’installe dans l’attente. Certains chantent, récitent des poésies, élaborent des pièces de théâtre, donnent des cours de français comme Robinet. Les mouchards sont vite repérés. Et puis un jour, c’est le départ vers la prison de Clairvaux, les chaînes au pied, et la nouvelle humiliation que d’être mêlé aux droits communs. Un grand classique de la répression !
Francis Pian
Promenades dans Paris communard
Stefano Siviero, La Commune de 1871 : un voyage dans Paris. Douze promenades dans Paris communard, L’Harmattan, 2021.
Une introduction pour rappeler que la Commune fut l’un des premiers conflits à être photographié, et qu’on dispose d’une riche documentation visuelle. Elle est utilisée ici pour repérer les lieux exacts et les comparer avec leur physionomie actuelle, avec des commentaires intéressants. Plutôt qu’un guide, c’est un livre très complet qui fait des allers-retours entre l’histoire, les lieux de vie quotidienne et le souvenir des barricades. À travers d’excellentes illustrations d’artistes, des plans et des photos, on vit pleinement ce Paris assiégé. Douze promenades replacées dans leur contexte historique illustrées par des plans au format numérique ainsi que par des photos qui comparent l'état des lieux au printemps 1871 et aujourd'hui.
Maguy Roire
Un album sur la Commune
Vive la Commune !, Collection Never Forget, Éditions Krasnyi, 2021.
Ils sont quatre : Sixtine D’Ydewalle, Manu Scordia, Thibaut Dramaix, Karim Brikci-Nigassa à avoir conçu cet étrange album sur le sort tragique de la Commune.
90 pages en noir et blanc réalisées comme des planches à dessins animés, pour nous faire revivre et comprendre ce que fut la Commune.
Très complet, que ce soit sur les réalisations de la Commune, sur la répression, sur sa fin tragique et sur l’expérience transmise, qui permet d’écrire que « la Commune n’est pas morte ». Et avec l’intention, aussi, de faire découvrir ce que fut la Commune à nos amis belges.
Maguy Roire