L’ATTERRISSAGE
Gérard Hamon, L'atterrissage : après la Commune de Paris, Du Bois éditions, 2022.
Le livre de Gérard Hamon, mi-récit, mi-documentaire, est une suite de La traversée, cette épopée du retour de Nouvelle-Calédonie de cinq déportés communards. On y retrouve ainsi Paul Chibout et surtout Prosper Quiniou, dont le premier rendez-vous parisien, après le débarquement, rendez-vous manqué et promesse non tenue, sert de prologue voire de fil conducteur au récit.
Après les événements, le retour dans l'anonymat : c'est ainsi que la chronique ordinaire, familiale, autour de Prosper, va se dérouler de manière fracturée le temps de la réadaptation et le temps des souvenirs. Le passé qui ne passe pas, le présent qui fait souvent défaut et le futur incertain tissent les éléments narratifs d'une époque de transition, autant pour les luttes sociales que pour les reconstructions individuelles.
Une séquence historique se met en place, donc, avec ses nostalgies, ses retours en arrière et les regrets parfois désabusés dont Prosper et sa famille sont les témoins hésitants mais toujours curieux et actifs, et toujours profondément attachés aux valeurs de la République sociale.
Les souvenirs de Prosper, de la défaite à la condamnation et à la déportation, représentent avec acuité tant la fragilité des positionnements politiques que les interrogations qui en découlent : est-ce que le combat était bien le même pour tous les exilés ? Tel est, entre autres, le questionnement de Prosper, tout au long de ses rencontres, qui n'altèrent en rien son puissant désir de garder et sauvegarder les leçons et les idéaux de la Commune.
En ce qui concerne le déroulé des événements, entre 1880 et 1890, nous retiendrons principalement la relation des grandes mobilisations sociales de la fin des années quatre-vingt qui rappellent et font resurgir les combats de la Commune, les remarques très précises et documentées sur la vie des communards à la presqu'île Ducos, également l'ascension et la chute du général Boulanger, épisode baroque et émouvant.
Une écriture et un style clairs et pédagogiques, retenus mais empathiques, font de ce récit un réel et profond exercice de réflexion.
JEAN-ÉRIC DOUCE
LA COMMUNE : UN BATEAU IVRE ?
Mathieu Léonard, L’ivresse des communards. Prophylaxie antialcoolique et discours de classe (1871-1914), Lux Québec, 2022.
« Paranoïa, névrose obsidionale, amazones demi-folles, ivrognerie incontrôlable » : dans les commentaires des médecins, au printemps 1871 où a posteriori, la Commune semble n’être qu’une pathologie monstrueuse. C’est ce qui ressort de L’ivresse des communards, prophylaxie antialcoolique et discours de classe (1871 - 1914), essai passionnant de Mathieu Léonard, auquel la triple casquette d’historien-journaliste-vigneron le prédestinait — l’une de ses cuvées de vins naturels porte le nom de « Potlatch », hommage au « pape » du situationnisme Guy Debord.
Dès l’insurrection du 18 mars, suivie de la proclamation de la Commune dix jours plus tard, dans les journaux hostiles à la révolution, deux adjectifs seront répétés à l’infini pour discréditer le peuple de Paris : alcoolique pour les hommes, pétroleuse pour les femmes.
« L’ivrognerie était l’élément de règne de cette révolution crapuleuse. Une vapeur d’alcool flottait sur l’effervescence de sa plèbe. Une bouteille fut un des “instruments de règne” de la Commune. Elle abrutissait avec le vin et l’eau-de-vie les bandes imbéciles qu’elle expédiait à la mort, comme le Vieux de la Montagne hallucinait ses séides avec le haschisch », écrit ainsi Paul de Saint-Victor, mémorialiste de Lamartine.
Cette assimilation entre Commune et alcoolisme est le point de départ, selon Mathieu Léonard, de l’hygiénisme qui allait s’emparer du corps médical, une prophylaxie antialcoolique, derrière laquelle les pouvoirs politiques allaient s’abriter, au fil des décennies, pour habiller leur mépris de classe et disqualifier par avance toute révolte populaire. L’auteur rappelle en conclusion qu’en novembre 2018, alors que les gilets jaunes s’installaient sur les ronds-points de France, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner lançait « qu’il y avait beaucoup d’alcool dans certains endroits », ce qui conduisit plusieurs préfets à interdire la vente d’alcool les samedis, jours d’action collective. Un éternel recommencement…
À lire un article intéressant : https://lepoing.net/livresse-des-communards-une-conference-pour-debunker-la-propagande-bourgeoise-du-xixe-siecle/
SYLVIE BRAIBANT
L’EXIL DES COMMUNARDS
François Gaudin, L’exil des communards. Lettres inédites (1872-1879), Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2022.
Un petit livre de 180 pages qui contiennent de grandes émotions puisque nous entendons, à travers la lecture des lettres envoyées à leur éditeur par des exilés communards, leur triste condition.
Ils souffrent de la difficulté de survivre sans ressource et sans activité littéraire et font appel à leur ancien éditeur et néanmoins ami, Maurice Lachâtre, lui-même exilé, qui se souvient d’eux et tente de les aider. À tous, il répond !
Le document a été retrouvé par François Gaudin, professeur en sciences du langage à l’université de Rouen, docteur en histoire. Il est préfacé par Michel Cordillot, qui rappelle toute l’ampleur de la répression subie par les communards et les communardes et replace dans son contexte cet exil.
Dans une introduction d’une quarantaine de pages passionnantes, François Gaudin nous raconte la vie de Maurice Lachâtre, cet éditeur très particulier, ami et éditeur d’Eugène Sue, et de communards tels Jean Baptiste Clément, Henri Rochefort, Arthur Arnoult, Félix Pyat et quelques autres. Cette étude très précise permet un éclairage sur ces exilés et sur cette période dont nous ignorons encore, pour beaucoup, les conditions de vie.
Cet éditeur, qui a hébergé Félix Pyat, a dû s’enfuir en Espagne pendant la Commune. Il a créé autour de lui un réseau, sur lequel il peut compter, et a continué à gérer sa librairie. Il entretient des liens importants avec les auteurs qu’il fréquentait. Sa situation matérielle lui permet de les aider financièrement et de répondre favorablement à leurs demandes d’aide. S’il peut tenir compte de leur appel, c’est que, sans nul doute, il y a encore de l’intérêt à éditer leurs ouvrages, mais c’est aussi la preuve d’une incontestable fidélité.
Avec une très belle écriture, les auteurs de ces lettres font part de leurs grandes difficultés financières, mais aussi de leur engagement à soutenir d’autres causes solidaires comme l’école pour les enfants de réfugiés, que Jean Baptiste Clément veut créer en Belgique. Pour cela il pense éditer et vendre une chanson appelée Communardes. Il s’empresse de s’adresser à Maurice Lachâtre pour l’édition et n’hésite pas à lui demander sa propre souscription.
L’ouvrage est illustré par la publication de photocopies des lettres autographes. Une grande émotion, donc, en lisant leurs appels à pouvoir publier. Appels pressants, certes, mais écrits avec beaucoup de pudeur et de dignité et nous prenons conscience fortement de ce qu’ont pu être pour eux l’exil et la difficulté qu’il y a à être privé du droit au travail.
CLAUDINE REY
LA COMMUNE DE MARSEILLE
Chantal Champet, La Commune de Marseille. Libre Pensée marseillaise, groupe Louise Michel, Gaston Crémieux, la franc-maçonnerie et la Commune de Marseille.
La Commune de Paris, par sa densité politique et le massacre qui l’a défaite, a souvent éclipsé les mouvements insurrectionnels qui ont agité de nombreuses villes de France. Ce fut le cas de Marseille. Le groupe Louise Michel de la Libre Pensée marseillaise raconte l’histoire de cette Commune dans un fascicule complet et documenté. On y apprend comment elle débute, dès août 1870, où des journées insurrectionnelles sont déclenchées par l’annonce des défaites contre la Prusse. Une manifestation républicaine aboutit à l’occupation de l’Hôtel de Ville, avant l’intervention de la police. Les leaders sont arrêtés et emprisonnés.
Après la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, une Ligue du Midi, regroupant 13 départements, est constituée. Elle proposera des réformes politiques et sociales d’inspiration révolutionnaire, mais c’est surtout sur la question religieuse que la majorité de la Ligue et une partie de la population marseillaise s’opposeront au pouvoir central. Ainsi, dès le 1er novembre, la proclamation d’une Commune révolutionnaire répond à une aspiration de république fédérale, sociale et laïque.
Les événements de Marseille de 1870-1871 ont eu leurs leaders, souvent méconnus nationalement. Le groupe Louise Michel consacre un fascicule à part au plus exposé d’entre eux, Gaston Crémieux. Cet avocat, engagé dans le mouvement social marseillais et l’éducation populaire dès les années 1860, sera condamné à mort pour sa participation à la Commune et exécuté en novembre 1871. À travers lui, le fascicule détaille l’influence et l’action de la franc-maçonnerie sur les événements de Marseille. Gaston Crémieux a été le fondateur, en 1869, d’une nouvelle loge, La Réforme, « pour agir et élargir », et bousculer l’immobilisme des loges existantes. Son but était en cohérence avec les ambitions sociales et politique de Crémieux : progrès, égalité, fraternité et liberté de pensée.
PHILIPPE MANGION
UNE FIGURE DE LA COMMUNE : LÉO MELLIET
Pierre Philippe, Léo Melliet, figure de la Commune de Paris, député du Lot-et-Garonne, directeur de l’asile d’aliénés de Cadillac (1843-1909), Éditions de l’Entre-deux-Mers, 2021
Pierre Philippe nous propose, à l’occasion du 150e anniversaire de la Commune, la biographie de Léo Melliet, personnage peu connu, excepté peut-être de nos adhérents du 13e arrondissement de Paris, puisqu’il fut l’un des quatre élus de ce quartier lors de l’élection du 26 mars 1871.
Jeune homme de province, il naît dans le Lot-et-Garonne en 1843, monte à Paris pour des études de droit, et participe activement à la Commune. Il fait partie des 140 signataires de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871. Condamné à mort à la fin de la Commune, il s‘enfuit et s’exile en Écosse. Après l’amnistie, il rentre en France, puis est élu député du Marmandais en 1898, mais est battu en 1902. Il finit sa vie en tant que directeur de l’asile d’aliénés de Cadillac (Gironde).
Si le livre rend bien compte de la vie de Léo Melliet, l’ouvrage est parsemé de citations, d’extraits, de compte rendus qui tendent à alourdir un texte, lequel finit par ressembler à ces trop nombreuses thèses de compilation actuelles. Si Melliet est un brillant orateur, il reste dans les faits un conciliateur, souvent opposé à Émile Duval, autre élu du 13e arrondissement lors de la Commune de Paris. On retiendra cependant sa belle intervention sur l’enseignement en 1900 (page 138).
JEAN-LOUIS GUGLIELMI
L’ANARCHIE AU PRÉTOIRE
Claude Rétat, L’anarchie au prétoire. Vienne, 1er mai 1890. Une insurrection et ses juges, Éditions Bleu autour, 2022.
En 1890, pour la première fois en France, on célèbre le 1er mai. À Vienne, dans l’Isère, une foule de femmes, d’hommes et d’enfants se met en grève et manifeste, emmenée par l’anarchiste Pierre Martin. Un commissaire est malmené, une pièce de drap est volée dans une fabrique.
L’avant-veille, au terme d’une tournée de meetings dans la région, Louise Michel, la grande Citoyenne, et Alexandre Tennevin, un autre orateur anarchiste, avaient chauffé les ouvriers au théâtre municipal de la ville.
Ils sont arrêtés pour « provocation directe à commettre des crimes et délits ». Tennevin et Martin seront jugés avec d’autres meneurs viennois, mais pas Louise Michel qui bénéficiera d’un non-lieu, ce qui provoque sa colère au point d’être déclarée folle.
Claude Rétat nous raconte cette histoire avec une analyse sur plusieurs axes. D’abord les faits, avec une précision journalistique : les meetings qui s’enchaînent, jusqu’à trois par jour, dans des salles pleines, la police sur les dents, les incidents de Vienne, le procès.
Ensuite les personnages. Louise Michel, qui ne fuit jamais devant ses responsabilités, Alexandre Tennevin, cogneur dans ses discours mais procédurier froid devant le tribunal, Pierre Martin, le tribun qui soulève les foules. Les personnages secondaires, le maire, le sous-préfet, le commissaire, comme dans un roman historique, complètent avantageusement la galerie de portraits.
Enfin il y a les mots, les images, les rythmes, dans les récits qu’en font les différents acteurs, durant le procès comme dans des essais plus tardifs. En particulier l’épopée élaborée par les anarchistes, pour qui les déclarations au tribunal sont l’occasion de manifestes largement diffusés à travers des brochures.
« L’affaire de Vienne a quelque chose d’une lanterne magique, lieu d’apparitions que nous conservent le procès et les récits, nous dit Claude Rétat. Elle fourmille de figures [et] fait apparaître en son centre un grand personnage collectif : la Vienne de la misère et de la révolte. »
Comme dans ses précédents ouvrages autour de Louise Michel, Claude Rétat apporte un éclairage littéraire, passionnant et très documenté, sur les événements de Vienne et le procès qui s’en est suivi.
PHILIPPE MANGION