Va-t-en guerre ou pacifistes ? L’année terrible dans le regard des écrivains

 Pascale Auditeau, La guerre de 1870 vue par les romanciers (1870-1914), L’Harmattan, 2022.

Pascale Auditeau, La guerre de 1870 vue par les romanciers (1870-1914), L’Harmattan, 2022.

Il est un fait sur lequel on continue à s’interroger : pourquoi la majorité des écrivains, contemporains de la Commune n’ont-ils pas mis cet événement au cœur de leurs romans ou nouvelles ? Et quand ils l’ont fait, c’est le plus souvent avec une hostilité hargneuse... L’une des réponses à cette question se trouve dans le livre de Pascale Auditeau, La guerre de 1870 vue par les romanciers, issu d’une thèse en littérature française. Dans le vaste corpus de textes publiés entre 1870 et 1914, le plus souvent d’abord dans la presse, la guerre franco-prussienne est là, partout, au cœur de la fiction ou en arrière-plan des romances. Ses horreurs, son absurdité traversent ces récits pour exalter le patriotisme, le nationalisme, ou au contraire promouvoir le pacifisme, ce que les « revanchistes » qualifiaient de « défaitisme ». Ces romans reflètent les contradictions à l’œuvre dans la société, qui traversèrent aussi les communards.  Pour les nationalistes, les soldats deviennent les héros de la « grande aventure de la guerre ». Ainsi, chez Gustave Aimard ou Alexandre Brot, au fil de leurs abondants écrits publiés en feuilleton dans les journaux avant de devenir des livres, les espions, les complots, les frères ennemis pullulent et invitent à la revanche sur l’héréditaire ennemi prussien. Ces romanciers-là n’ont cependant pas laissé une marque inspirante dans la littérature. Mais, malheureusement, ils ont conquis les esprits.

Les pacifistes, ceux qui ont décrit les horreurs de la guerre, les tourments de soldats engagés dans un conflit obscur entre puissants, déclenché par un empereur à bout de souffle, espéraient sans doute un « plus jamais ça ». Guy de Maupassant, Octave Mirbeau ou Georges Darien ont laissé une empreinte bien réelle dans le roman français. Mais leurs mots furent de bien faibles armes face à l’esprit de revanche qui conduisit à la Première guerre mondiale et ses millions de morts.

Sylvie Braibant

 

 

Justice !

Frédéric Borgella, Justice ! Par un officier d'artillerie de l'Armée de Paris, (1871), Éditions Le bas du pavé, 2022.

Frédéric Borgella, Justice ! Par un officier d'artillerie de l'Armée de Paris, (1871), Éditions Le bas du pavé, 2022.

Une diatribe ou un libelle ? Un cri de rage, en tout cas, que pousse Pierre Frédéric Borgella dans ce petit livre publié à Londres en 1871. Rescapé de la Commune et exilé, Borgella, aide de camp du général Léon Rossel au ministère de la Guerre, s'emploie à faire justice (le titre de ses articles) et à démêler le vrai du faux en ce qui concerne les événements liés à la Commune de Paris. Un style haché, brutal, pour autant très classique, acéré comme la hache des bourreaux de Paris, renforce l'exercice de démonstration effectué par Borgella pour le rétablissement de la vérité. Âmes sensibles s'abstenir : la description des exactions, tueries et viols commis par les Versaillais, dans une froide comptabilité, est bien à la mesure d'une terrible répression qui s'est abattue sur le peuple parisien. Nous connaissons l'histoire, certes, (une « histoire lugubre » nous rappelle Borgella) mais ces pages nous révèlent que le sentiment de vengeance et de vérité qui infuse ce livre est bien l'exact corollaire d'une réalité inexpiable.

Laissons les morts enterrer leurs morts. Et que l'Histoire continue de s'écrire, bien entendu, car nous avons tous une obligation morale à lire et relire ce texte d’une exceptionnelle puissance d'évocation.

La préface de Sylvie Braibant nous rappelle d'ailleurs ce qu'il en est d'une douleur collective qui ne s'efface pas, car elle ne peut s'effacer de nos mémoires.

Ajoutons que ces pages sont adressées d'une part à Léon Gambetta (avis aux historiens), homme de trahison et de faillite, républicain délesté de l'Idée républicaine, et à monsieur Adolphe Thiers, d'autre part, ci-devant Foutriquet.

Nous recommandons aussi le portrait du bourreau de la Commune. En quelques phrases ciselées, caustiques, imagées et pleines de sens, Borgella portraiture un Adolphe Thiers terriblement assimilé à ce qui fut sa tâche, sa mission et son éternel déshonneur.

Que justice soit rendue à Borgella, à Rossel, son ministre, au peuple de Paris et que les mots résonnent.

Lecture conseillée, sans aucun doute, et réflexion assurée.

Jean-Éric Douce

 

 

 

Le sang des cerises

François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.

François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.

Depuis 1980, je suis un fervent lecteur de la série Les Passagers du vent, une bande dessinée de François Bourgeon. Alors, bien sûr, je ne peux pas être impartial. Comment ne pas s’attacher une dernière fois aux aventures de Zabo, qui se fait appeler Clara, et de sa petite protégée Klervi. Petit à petit, Clara nous dévoile ses peurs, ses angoisses et puis, bien sûr, la Commune de Paris et sa Semaine sanglante. L’auteur n’a pas besoin de grandes fresques, de grandes scènes de bataille, pour évoquer la fin de la Commune. Les paroles des nombreuses personnes que l’on découvre au fil de cette histoire nous touchent au fond du cœur. Et que dire du dessin, une merveille de précision ? On y découvrira le Paris de la fin du 19e siècle avec Montmartre ou la Nouvelle-Calédonie. Au hasard des planches on retrouve Louise Michel, Rochefort, Nathalie Le Mel et des anonymes de ce tragique moment de notre histoire.

Cette BD est à lire, à regarder, dans tous les coins de ses 130 pages.

Jean-Louis Guglielmi

 

 

Autour des « Passagers du vent »

Dans le courant de la la Commune. Autour des Passagers du vent de François Bourgeon. Le sang des cerises.  Michel Thiébault. Editions Delcourt. Octobre 2022.

Interview de François Bourgeon. Entretien avec Pierre Serne. Humanité du jeudi 22 décembre 2022(p12-13).

Page  de la BD de François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.   Page  de la BD de François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.  Page  de la BD de François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.
Pages  de la BD de François Bourgeon, Les Passagers du vent T. 9. Le Sang des cerises - Livre 2, Delcourt, 2022.

 La parution du livre 2 du « Sang des Cerises » (voir note de lecture de J.L. Guglielmi) est complétée par un autre ouvrage, chez le même éditeur Delcourt, réalisé par Michel Thiébault, qui allie judicieusement des précisions historiques, une iconographie que les habitués de la Commune reconnaissent et des vignettes de la BD du « sang des Cerises » avec quelques maquettes de François Bourgeon, auteur du dernier épisode des « passagers du vent » (livres 8 et 9).

 Michel Thiebault travaille sur la question de la représentation de l’Histoire par l’image. Cette approche historique s’étend sur un temps long, en deux parties : « la curée du roi », puis « de Montmartre au pays bigouden ». Nous allons de révolution en révolution depuis 1792 pour arriver à la poursuite de la guerre franco-prussienne, la Commune, Thiers, les monarchistes, la Nouvelle- Calédonie, l’amnistie générale, les temps de la IIIe République.

Dans la 2e partie, Michel Thiébault s’appuie sur les personnages de François Bourgeon, à majorité féminins, autour de Zabo et Klervi, pour nous entraîner dans Montmartre, lieu de mémoire et d’images. De Montmartre, nous passons en pays bigouden, par la Compagnie de chemin de fer d’alors, celle du Paris-Orléans. Nous constatons, avec plaisir que le 9e art de Bourgeon s’intègre dans l’iconographie historique : architecture, paysages, moyens de locomotion et galerie de portraits fictionnels ou réels, « dans le courant de la Commune » .  Belle façon de donner chair et émotion aux personnages de « la révolution-monde » de François Bourgeon.

 Michel Pinglaut

 

 

La Commune de Toulouse

Rémy Pech, 1871. La Commune, de la révolte au compromis républicain, Éditions midi-pyrénéennes, 2019.

Rémy Pech, 1871. La Commune, de la révolte au compromis républicain, Éditions midi-pyrénéennes, 2019.

Derrière un titre générique, ce petit livre (48 pages), publié dans une collection d’histoire locale, fait le point sur la Commune de Toulouse, une Commune éphémère, qui ne dure que deux jours, du 25 au 27 mars 1871.

C’est une Commune atypique, puisque le personnage central en est le préfet, Armand Duportal, journaliste républicain, poursuivi sous l’Empire, propulsé par Gambetta à la préfecture de Haute-Garonne après le 4 septembre 1870. « Radical ardent, préfet atypique », il prend des mesures tellement audacieuses qu’il inquiète Gambetta et finit par être révoqué par Thiers le 20 mars 1871. S’ouvre alors une période incertaine où le nouveau préfet, Émile de Kératry, n’ose pas prendre son poste. La Garde nationale tranche la situation le 25 mars : avec la caution de Duportal, elle proclame au Capitole la « Commune révolutionnaire de Toulouse ». S’ensuivent deux journées assez confuses où les forces de la réaction hésitent entre le compromis et la répression, au terme desquelles le Capitole est évacué.

Dans une seconde partie – « pourquoi la Commune à Toulouse ? » – on fait un retour en arrière sur le substrat économique, social et politique, où est mis notamment en lumière la force, à Toulouse, du courant républicain, mais aussi ses contradictions.

L’ouvrage se termine sur « l’héritage invisible » de la Commune de Toulouse. Si l’événement lui-même a laissé peu de traces et a été presque oublié, l’épisode de 1871 est décisif dans « la construction d’une gauche plurielle toulousaine », qui s’installe durablement au Capitole sous la houlette des radicaux d’abord, puis, à partir de 1906, des socialistes, et ce jusqu’en 1971…

Michel Puzelat

 

 

 

 

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