ROBERT TOMBS
PARIS, BIVOUAC DES RÉVOLUTIONS,  LA COMMUNE DE PARIS DE 1871

ROBERT TOMBS PARIS, BIVOUAC DES RÉVOLUTIONS,  LA COMMUNE DE PARIS DE 1871Ce livre est écrit par Robert Tombs, professeur au Saint John’s Collège de Cambridge, un des grands spécialistes en Grande Bretagne de la Commune [1]. Cette version française d’un livre publié à Londres en 1999 a été mise à jour et tient compte de tous les ouvrages historiographiques écrits depuis dans une synthèse très éclairante.

Dans le droit fil des travaux de Jacques Rougerie [2], auquel le livre est dédié, l’auteur s’efforce d’étudier la Commune à hauteur d’hommes, dans une recherche apaisée ne s’embarrassant pas des mythes et des idéologies. Tombs montre d’abord comment l’événement du 18 mars a été spontané et inattendu. Quelques mois plus tôt, en août 1870, les blanquistes, croyant à une situation révolutionnaire, tentèrent de déclencher une insurrection : ils mobilisèrent soixante militants et ce fut un échec complet. De même en octobre, mais les circonstances vont modifier le contexte.

Rien n’aurait été possible sans la guerre franco-prussienne et les conditions épouvantables du siège qui ne cessèrent de se détériorer : le taux de mortalité fut multiplié par quatre (42 000 morts durant le siège) ; il y eut une paupérisation massive des couches populaires et moyennes, ce qui accentua l’inégalité sociale dans Paris. Deux autres éléments furent déterminants pour expliquer ce qui allait suivre : un patriotisme d’autant plus exacerbé que les Parisiens prenaient conscience que leurs dirigeants étaient capitulards et un républicanisme d’autant plus ardent qu’ils voyaient que la république démocratique et sociale dont ils rêvaient était gravement menacée par l’Assemblée nationale qui venait d’être élue (plus de 400 royalistes).

Les provocations de Thiers et sa désertion de Paris allaient faire le reste.

Pour l’auteur, la Garde nationale de Paris a eu aussi un rôle essentiel : 340 000 hommes avec 280 000 fusils, c’était le peuple en armes. En effet, à l’occasion du siège de Paris, pour combattre les Prussiens, tous les hommes valides furent mobilisés par quartiers et apprirent au fil des mois à se connaître et les solidarités de voisinage furent décisives dans leur engagement dans la Commune : cela permet de comprendre pourquoi certains insurgés, sans expérience militante, ont cependant combattu jusqu’à la mort.

Tombs, au plus près des communards, redonne ainsi à l’événement sa complexité, ses contradictions, sa richesse et sa fraîcheur. Il montre aussi que certains visages de la Commune (libertaire ou autoritaire) ne furent pas contradictoires, mais successifs au fil des événements.

Dans le même état d’esprit, dialoguant avec les diverses thèses développées dans des ouvrages récents, il aborde de nombreux sujets : la place et le rôle des femmes, prolétariat ou peuple, aurore ou crépuscule, le chiffrage des victimes de la Semaine sanglante, l’éducation et la culture, etc.

Documenté, d’une lecture didactique, mais aisée et claire (le livre a été écrit au départ pour des étudiants), posant des questions nouvelles et apportant parfois aussi des réponses nouvelles, ce livre est une synthèse ouverte et stimulante qui montre que la Commune continue à passionner les historiens de tous les pays et à nous poser beaucoup de questions.

PAUL LIDSKY

Libertalia, 2014, 472 p.



LE NOMBRE DE MORTS PENDANT LA SEMAINE SANGLANTE 
UN ASPECT CONTESTABLE DE L’ÉTUDE DE ROBERT TOMBS


Dans une interview à Libération, du 9 avril 2014, le professeur Tombs déclare : «  Il ne s’agit nullement de nier la violence de la répression. Les Versaillais, qui décrivaient les communards comme des ivrognes et des criminels, se sont conduits avec une extrême férocité, dans les combats d’abord, puis en fusillant sur place beaucoup de ceux qu’on trouvait les armes à la main. De 1 000 à 2 000 personnes ont probablement été fusillées après un jugement sommaire, et le nombre total de tués s’élève sans doute à 7 000. C’est beaucoup, mais on est loin des 17 000 fusillés et des 30 000 victimes rapportées par la tradition. Cette idée d’une apocalypse sanglante a été formulée par les communards exilés à Londres, qui n’avaient pas la moindre idée du nombre réel de morts. »

Cette réduction à 1000 à 2000 personnes fusillées après un jugement sommaire lors de la Semaine sanglante n’est pas si clairement précisée dans le livre de l’auteur, Paris, bivouac des révolutions, La Commune de 1871 dont la parution avait entraîné cette interview. Robert Tombs y est plus prudent déclarant que « les données fragmentaires découvertes jusqu’à présent suggèrent qu’il y eut entre 5700 et 7400 personnes tuées durant les combats, blessées mortellement ou victimes des exécutions sommaires  ».

Robert Tombs ne précise pas dans ce livre sa méthode pour établir ces chiffres, renvoyant à des publications antérieures [3] et estimant que « les preuves supposées de leur exactitude (des estimations à 20 000 morts ou plus) trouvées plus tard s’avèrent faibles, invérifiables ou inexistantes  ».

Revenons donc au fond du débat. Les analyses de Robert Tombs s’appuient centralement sur deux séries, celle des inhumations à la suite des journées du 21 au 28 mai 1871 dans les arrondissements périphériques et celle (reprise par Maxime Du Camp, la Préfecture de police et une enquête de 1872) donnant les chiffres des inhumations dans les cimetières dépendant de la Ville de Paris. Ces enquêtes donnent entre 5500 et 7000 victimes inhumées. Robert Tombs « accepte  » ces documents.

Il existe cependant une autre enquête, largement citée par Robert Tombs dans son livre, La guerre contre Paris 1871 (Aubier, 2009), celle que Camille Pelletan effectua auprès des personnels des cimetières et paru dans La semaine de mai chez Flammarion en 1880. Un livre qui mériterait d’ailleurs une réédition critique. L’enquête de Pelletan aboutissait à un chiffre de 18 000 inhumations dans les cimetières. Cette enquête est balayée d’un revers des mains par Robert Tombs, au prétexte que le but politique de Pelletan était de maximiser le nombre de victimes lors de la campagne pour l’amnistie. On peut pourtant penser que Pelletan n’a pas inventé les chiffres qu’il donne, cimetière par cimetière, chiffres qui mériteraient une analyse critique plus approfondie. Ainsi les chiffres de Pelletan, pour le cimetière de Montparnasse, sont-ils proches de ceux fournis par la conservation du cimetière, seul cimetière à avoir gardé, semble-t-il, une liste sérieuse des morts. Ce qui donne une certaine crédibilité aux chiffres de Pelletan.

Et la critique de crédibilité vaut autant pour les autorités policières ou de la Ville, ou pour Maxime Du Camp ! Sacraliser des séries étatiques de 1871 et 1872 paraît très discutable.

Par ailleurs, Robert Tombs ne fait guère entrer dans sa statistique les morts inhumés hors des cimetières parisiens : morts enfouis dans différents lieux de Paris, morts brûlés et dispersés, morts inhumés, sous différentes formes, en banlieue. Son estimation tourne entre 1000 et 2000, au plus. Camille Pelletan, lui, les estimait à beaucoup plus de 10 000.

Certains aspects de la critique de Tombs sur Pelletan paraissent fondés. En effet, on peut penser que les services de la voirie ont apporté l’essentiel des corps dans les cimetières parisiens et non en banlieue. Cependant, il est assuré qu’un nombre considérable de corps ne furent pas transférés dans les cimetières, mais furent brûlés ou enfouis sur place. Les 800 cadavres retrouvés en 1897 lors du percement du nouveau réservoir de Charonne en sont un des plus forts exemples. Mais il y eut aussi des cadavres brûlés en grand nombre dans les fortifications, au parc Monceau, dans des carrières, etc. Le décompte en demeure encore fort incertain. Quant aux morts inhumés en banlieue, leur nombre reste impossible, en l’état actuel, à donner et estimer sérieusement.

Au bilan, 7 000 morts selon Tombs (ce qui compte tenu des morts versaillais et des communards tués au combat donnerait moins de 3 000 exécutés), 30 000 au moins selon Pelletan.

Soyons clair, à mes yeux, même si les sources de Pelletan sont peu vérifiables (ce qui ne signifie pas qu’elles sont fausses), celles de Robert Tombs ne peuvent aussi entraîner l’adhésion. La «  révision  » de Robert Tombs est très loin d’être convaincante et le chiffre de 17 000 à 20 000 morts sur lequel les historiens français se sont généralement accordés n’en paraît pas sérieusement affecté.

L’armée n’a voulu constituer ou garder aucune source et maintenu une opacité délibérée sur les crimes de la Semaine sanglante : nuls procès-verbaux des délibérations des cours martiales, nulle, ou presque, liste de noms des condamnés sommaires ou des exécutés dans la ville. Ce silence des sources, qui vise à interdire un mémorial et une statistique des assassinés, accompagne classiquement les crimes de masse. Et la Semaine sanglante fut bien un des pires crimes de masse de notre histoire.

JEAN-LOUIS ROBERT



GÉRARD DHÔTEL
LOUISE MICHEL : « NON, À L’EXPLOITATION »

GÉRARD DHÔTEL LOUISE MICHEL : « NON, À L’EXPLOITATION »Ce petit livre de 71 pages qu’accompagne une brève histoire illustrée des luttes ouvrières revient sur quelques épisodes importants de la vie de Louise Michel. L’auteur chevronné, Gérard Dhôtel, met en scène les rencontres fictives entre un jeune journaliste et la célèbre communarde, à différents moments de sa vie.

Il évoque tour à tour son procès retentissant de 1883 suite à une manifestation de chômeurs, son retour de Londres en 1895 après un bref exil, l’attentat perpétré contre elle lors d’une conférence au Havre. Cette restitution est l’occasion pour l’auteur de revisiter avec brio l’ensemble de son parcours. Le style est précis, et le récit écrit à la première personne est ponctué de dialogues vifs, propres à plaire à la jeunesse.

Eric Lebouteiller

Actes Sud Junior, 2010.



HENRI GOUGAUD
LE ROMAN DE LOUISE

HENRI GOUGAUD LE ROMAN DE LOUISELa biographie romancée d’Henri Gougaud, Le Roman de Louise, est un réel plaisir de lecture. L’auteur, à la fois écrivain, poète et conteur anarchiste nous restitue avec justesse et passion la vie intense de Louise Michel.

Cependant, le genre de la biographie romancée qui s’adresse au grand public a ses limites : l’absence de critique historique (l’auteur s’appuie d’abord sur les Mémoires de la « Vierge rouge »), la part laissée aux anecdotes…

Il n’y a guère de doute par contre sur la véracité des faits. Certains épisodes sont particulièrement bien rendus, son enfance champêtre et heureuse malgré tout, la Semaine sanglante et la lutte acharnée et sans issue des Communards ou la déportation en Nouvelle-Calédonie et sa découverte d’un monde nouveau.

Du reste, une correction s’impose : André Léo est un pseudonyme masculin, choisi par la célèbre romancière en hommage à ses jumeaux, André et Léo, et en référence à George Sand. Au final, les amateurs d’histoire et les fins connaisseurs de la vie de Louise Michel n’apprendront rien. Par contre, les amoureux de la langue française seront ravis.

Eric Lebouteiller

Albin Michel, 2014.

 

LOUISE MICHEL : L’ERE NOUVELLE

LOUISE MICHEL L’ERE NOUVELLELa passion ! C’est sans doute le mot qui convient le mieux pour aborder cet ouvrage.

Passion rageuse dans la description d’une société se décomposant, mais aussi passion, partagée avec Victor Hugo, dans la certitude que l’humanité, grâce aux progrès techniques, va vers une ère nouvelle, des jours meilleurs… « La science ayant régénéré le monde, nul ne pourra plus être bétail humain ni prolétaire. »

Passionnée et visionnaire parfois, L’Ère nouvelle datant de 1887, en ce qui concerne la situation des États face à la dette : « Épée de Damoclès suspendue sur leur tête : la dette les ronge et l’emprunt qui les fait vivre s’use comme le reste.  »

Passion et certitude que les souffrances endurées par l’humanité vont provoquer et accélérer l’accouchement de jours meilleurs… et puis, bien sûr, la foi de Louise Michel en l’anarchie. Bref, à lire et à méditer.

CLAUDE CHRÉTIEN

D’ores et déjà, 2014.


[1] Il a fait sa thèse en 1981 sur la répression miltaire de la Commune (La guerre contre Paris, Aubier, 1988)

[2] Jacques Rougerie, Procès des Communards, coll. Archives n°11, Julliard, 1964 ; Paris Libre, Seuil, 1971

[3] « How bloody was La Semaine sanglante of 1871 ? A Revision », Paper Presented at 57th Annual Meeting of the Society for French Historical Studies, Charleston, South Carolina 12 February 2011, H-France Salon, Volume 3, Issue 1. On peut consulter ce texte sur Internet.

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