GUSTAVE LEFRANÇAIS UNE NOUVELLE ÉDITION
Gustave Lefrançais : Mouvement communaliste

Condamné à mort par contumace en 1872, Gustave Lefrançais publie en Suisse, dès 1871, Étude sur le mouvement communaliste. Ce livre vient d’être réédité avec une préface de Jacques Rougerie (1). L’Étude est complétée par différents textes, des « pièces justificatives », dont une analyse de la journée du 31 octobre 1870 et un texte court, La Commune et la Révolution, où Lefrançais définit ce qu’il entend par communalisme.

Il a 45 ans lors de la Commune, il a été élu le 26 mars 1871 par le IVe arrondissement et Rougerie rappelle qu’ « il fait partie de la « minorité » de l’assemblée communale, socialiste et surtout opposée à la création d’un Comité de Salut public autoritaire et suranné.

Il est l’un des rares membres de la Commune qu’on trouve sur les barricades pendant la Semaine sanglante. »

Dans son ouvrage, Lefrançais analyse l’évolution du contexte politique et social de la fin du Second Empire, de « La réouverture des réunions publiques (juin 1868), à la révolution du 18 mars 1871 » jusqu’à la « chute de la Commune » suivie de « Vengeances et représailles. » Il étudie avec minutie les 72 jours où la Commune a inventé une nouvelle forme de gestion politique et sociale, seule face à Versailles et à l’occupant étranger.

Il analyse les enjeux, les forces en présence et les faiblesses de la Commune, les mesures prises et les antagonismes existant entre le Comité central de la garde nationale, la Commune élue, puis le Comité de Salut public constitué début mai 1871. La tâche est immense puisqu’il s’agit pour lui de restituer « aux individus et aux groupes communaux le droit de régler directement leurs intérêts politiques et sociaux. » Il critique certaines décisions prises, qu’il qualifie de « fautes » ou d’ « erreurs » ; il en approuve d’autres pleinement, dont celles relevant de la commission du Travail et de l’Échange ainsi que de la commission de l’Enseignement.

Mais sa conclusion sur l’action globale de la Commune est très nette : « trop gouvernementale pour être réellement révolutionnaire ; trop révolutionnaire, par son origine, aux yeux des partisans de la légalité, pour être acceptée par ceux-ci comme un gouvernement réel, telle était l’impasse où la Commune se trouvait engagée et dont elle ne pouvait sortir qu’en revenant promptement à l’observation des principes anti-autoritaires sur lesquels doit s’édifier toute véritable démocratie ! »

En 1896, Lefrançais n’a pas changé d’avis, ainsi qu’en témoigne le court texte transmis à la Revue Blanche pour son Enquête sur la Commune de Paris (2) : « Les 25 années qui se sont écoulées depuis n’ont fait que me convaincre de plus en plus que (la) minorité avait raison et que le prolétariat n’arrivera à s’émanciper réellement qu’à la condition de se débarrasser de la République, dernière forme, et non la moins malfaisante, des gouvernements autoritaires. » Dans son Étude de 1871, il qualifiait déjà le suffrage universel de « leurre » et de « moyen plus ou moins commode de faire sanctionner, comme émanant de la souveraineté collective, des institutions ou des choix de personnes […] par des groupes particuliers et pour leurs seuls intérêts. »

Dans sa préface de 2018, Rougerie s’interroge : « Où situer Lefrançais, ce modéré apparent, radical assurément par devoir, dans la nébuleuse de ceux qui se réclament de la Commune, tentant de lui donner place et sens ? »

Radical certainement puisque, selon Rougerie, Lefrançais « croit pouvoir tirer de l’événement cette leçon décisive : l’abolition de toute autorité extérieure au peuple, d’un quelconque gouvernement (…), est le préalable indispensable à la vraie révolution sociale, l’instauration de la République démocratique et sociale universelle ».

Avec Gustave Lefrançais et son Étude sur le mouvement communaliste, Jacques Rougerie a pu poursuivre sa réflexion personnelle sur l’événement Commune, qu’il a engagée depuis les années 1960.

Notes

(1) Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste à Paris, en 1871 suivi de La Commune et la Révolution (1874), Editions Klincksieck, Paris, 2018.

(2) La Revue Blanche. 1871, Enquête sur la Commune de Paris, 1897, rééd. Les Éditions de l’Amateur, Paris, 2011.

 

 

JACQUES ROUGERIE RÉÉDITÉ

Rougerie réédité

En rééditant Paris insurgé. La Commune de 1871, paru en 1995, et Procès des Communards, paru en 1978, et en les regroupant dans un même ouvrage, Gallimard présente, pour le prix d’un livre de poche, une synthèse des publications de Jacques Rougerie, en quelque sorte ses mini-œuvres complètes.

Cela veut dire qu’il doit impérativement prendre place dans la bibliothèque de quiconque s’intéresse à l’histoire de la Commune de Paris de 1871. Cela veut dire aussi qu’il suffit de l’avoir pour cerner l’apport historique de Rougerie et l’essentiel de sa pensée.

La deuxième partie, Le procès des Communards, est incontestablement la plus intéressante. Rougerie y fait véritablement œuvre d’historien. Il exploite notamment le Rapport d’ensemble de M. le Général Appert sur les opérations de la Justice militaire relatives à l’insurrection de 1871, présenté à l’Assemblée nationale le 20 juillet 1875, de même que les propos du commandant Gaveau, accusateur public au banc du gouvernement au 3e Conseil de guerre. Il exploite surtout les archives des conseils de guerre conservées aux Archives historiques de la Guerre, à Vincennes (cf. p. 119-122).

Il restitue ainsi les procès des rares responsables de la Commune restés en France, mais aussi ceux des fédérés et des combattants les plus modestes, permettant de répondre à la question « Qui étaient les Communards ? » avec précision.

Dans la première partie, Paris insurgé. La Commune de 1871, Rougerie décrit les événements de la Commune chronologiquement et sans sympathie particulière, en tout cas sans concession. Il montre que le 18 mars n’est pas une révolution organisée, mais une suite de ripostes spontanées. « La Commune n’a duré que soixante-douze jours. On ne saurait raisonnablement parler de son “œuvre”. Elle put tout au plus formuler quelques projets. » (p. 31) Le nombre des indifférents croissait « du fait de la médiocrité des réalisations de la Commune. » (p. 61) Les vrais communards n’étaient qu’une minorité.

Elle fut décimée pendant la Semaine sanglante qui fit au moins 20 000 morts et conduisit officiellement à 43 522 arrestations.

Jacques Rougerie veut rétablir la balance entre ceux qui pensent que les communards furent des assassins, des voleurs, des incendiaires et des ivrognes, et ceux pour qui la Commune annonçait une société nouvelle, une véritable République sociale. Pour lui, la Commune est moins aurore que crépuscule : elle est la dernière révolution du XIXe siècle.

GEORGES BEISSON

Jacques Rougerie, La Commune et les Communards, Folio-Histoire Gallimard, Paris, 2018.

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