LA FRATERNITÉ SANS RIVAGES

72 immortelles

72 jours d’espoir, de joie, de fraternité. Jean Chérasse nous livre une approche originale de la Commune, cette république sociale, à travers une éphéméride précise. Jour après jour, il s’appuie sur le Journal officiel de la Commune , les communiqués, les déclarations, les témoignages des communards, mais aussi des opposants, et même sur le programme de la Comédie-Française et la météo du jour. C’est la vie quotidienne des Parisiens qui nous est relatée.

Après le siège par les Prussiens, ils connaissent celui de Thiers. Une fois passés les jours de liesse de fin mars, les difficultés commencent. L’offensive du plateau de Châtillon montre une armée versaillaise qui ne fait pas de quartier. Faut-il négocier ? Mais Thiers, avec la complicité de Bismarck, veut écraser la canaille et refuse toute discussion – réaction de classe. Comment faire connaître les aspirations de la Commune en province ? Le contact est difficile, même si l’approvisionnement de Paris est maintenu. Comment construire une société alternative, lorsque les versaillais attaquent, bombardent les communes des alentours et pénètrent dans Paris par la trahison ? Et pourtant les clubs, notamment de femmes, réfléchissent à l’organisation du travail, à l’éducation, à la famille.

La Commune est bien le creuset d’une société nouvelle. Écoutez les débats entre les blanquistes, les proudhoniens, les républicains, ceux de l’AIT, les socialistes. En fait, la révolution s’invente en marchant, comme en 1789, souvent cité par les communards. Vous serez dans ces réunions, ces concerts populaires, sur les barricades – celle de la place Blanche – dans le cimetière du Père-Lachaise. Les dernières heures sont intenses de souffrances ; la répression est implacable et sans merci ; la trahison et la dénonciation une sordide réalité.

Vous vivrez les « 72 immortelles », accompagnées de portraits de communards dessinés par Éloi Valat.

FRANCIS PIAN

 

Jean A. Chérasse, Les 72 immortelles. La fraternité sans rivages - Un éphéméride du grand rêve fracassé des Communeux. Dessins d’Éloi Valat, Éd. du Croquant, 2018.

 

 

LA FACE CACHÉE DE LA COMMUNE

LA FACE CACHÉE DE LA COMMUNE

Le titre et l’image de couverture – les Tuileries en feu – retenus pour un ouvrage récent, laisseraient supposer qu’il s’agit d’une charge contre la Commune. Mais la quatrième de couverture révèle un autre positionnement avec les questions suivantes : « Les incendies de la Commune ont-ils été aussi destructeurs que le prétend la version officielle ? » et « Les communards sont-ils les seuls responsables de ce bilan ? »

Avec ce premier livre, Hélène Lewandowski, historienne de l’architecture, rappelle que « la Commune a commencé sans aucune destruction » ; elle évoque les destructions symboliques décidées par la Commune, dont elle analyse le contexte, et elle décrit les monuments et les quartiers en flammes lors de la Semaine sanglante, qualifiés d’ « incendies du désespoir ». Elle note que la majorité des dégradations est la conséquence des bombardements de la guerre de 1870, puis de la guerre civile de 1871.

La thèse centrale du livre consiste à démontrer que, dès juin 1871, l’attrait touristique des ruines « a impulsé la reprise de l’économie », que Paris s’est bientôt couvert d’échafaudages et qu’ « il convient de reconnaître aux incendies de la Commune un effet créateur, une incidence sur la modernisation de Paris qu’ils ont sans doute accélérée ». « De l’haussmannisation … à l’haussmannisation » — sans Haussmann —, ces reconstructions peuvent sans doute être considérées comme « une ruse de l’Histoire », selon le concept créé par l’historien Marc Ferro (Marc Ferro avec Emmanuel Laurentin, Les ruses de l’Histoire, Le passé de notre actualité, Editions Tallandier, Paris 2018.).

ALINE RAIMBAULT

 

Hélène Lewandowski, La face cachée de la Commune, Les Editions du Cerf, Paris, 2018.

 

 

LE DICTIONNAIRE RIMBAUD

Dictionnaire Rimbaud

Le Dictionnaire Rimbaud est un « état des lieux rimbaldiens », dressé par 36 contributeurs, dont seulement 5 femmes…, regroupant près de 630 notices. La Commune y est présente avec une notice « Commune » et des biographies de communards, retenus pour leurs relations et des affinités, que Jules Andrieux, Georges Cavalier, Jules Vallès ou Eugène Vermersch ont eues avec Arthur Rimbaud.

La notice « Commune » évoque « le Rimbaud du temps de la Commune », alors qu’aventure poétique et actualité révolutionnaire sont étroitement liées. Au tournant 1870-1871, Rimbaud est en phase avec la sensibilité du peuple parisien, pour qui « l’ennemi c’est d’abord une Église alors entièrement réactionnaire » ; « L’autre ennemi (est) l’Empire vite remplacé, après la défaite de 1870, par l’ancien parti de l’ordre de 1848 qui devait fournir en 1871 l’essentiel du parti versaillais ». Lors de la guerre civile, le poème Chant de guerre parisien vise « l’offensive versaillaise contre Paris ». Après mai 1871, vient le temps d’écrire « de véritables tombeaux poétiques » : Paris se repeuple , par exemple, « sur le thème du martyre de la ville » ou Les Mains de Jeanne-Marie , « superbe hommage aux femmes de la Commune ». Mais l’évocation de la Commune « ne s’épuise pas avec l’été de 1871 » lorsque Rimbaud a rejoint Verlaine à Paris. Le Bateau Ivre évoque la Commune, « sa chute et son dénouement sanglant » où les pontons – « le dernier mot du poème » – est une allusion aux navires prisons des communards. En juillet 1872, le départ de Paris de Rimbaud et Verlaine « a tout d’un itinéraire communard » vers Bruxelles et Londres, principaux refuges des communards. Après le déluge, poème qui ouvre les Illuminations, est « une allégorie de l’épisode communard ou plus exactement de son échec ».

Parmi les notices de communards, citons Jules Vallès. Suite à son escapade à Paris fin février 1871, Rimbaud évoque, depuis Charleville, la presse lue dans la capitale : « Les choses du jour étaient Le Mot d’ordre et les fantaisies admirables de Vallès et de Vermersch au Cri du peuple. » À Londres, en juillet 1872, Rimbaud et Verlaine ne semblent pas avoir rencontré Vallès, mais ils y ont des amis communs : Georges Cavalier dit Pipe-en-Bois par exemple, qui fut inspecteur des jardins publics et, selon Jules Andrieu, l’un de ses plus fidèles lieutenants. En exil, Cavalier désire lancer un journal – le Journal des vaincus – du même nom que le titre du recueil de poèmes sur lequel Verlaine travaille alors. Jules Andrieu, collègue de Verlaine à l’Hôtel de Ville de Paris, puis chef de l’administration communale, c’est un « frère d’esprit » de Rimbaud, selon Ernest Delahaye proche de Rimbaud, avec « une même boulimie de savoir », une exigence morale et un souci de cohérence entre les paroles et les actes.

Quant à Eugène Vermersch, c’est, « de tous les communards », celui que les deux poètes fréquentent le plus à Londres et il existe, entre Rimbaud et Vermersch, une commune veine littéraire de l’ordre de ces « fantaisies admirables » appréciées et pratiquées par Rimbaud.

ALINE RAIMBAULT

Dictionnaire Rimbaud, sous la direction de Jean- Baptiste Baronian, Editions Robert Laffont, Collection Bouquins, Paris, 2014, 732 p.

 

ÉDOUARD VAILLANT ET L’INVENTION DE LA GAUCHE

Vaillant de Gilles Candar

Cette nouvelle biographie historique d’Edouard Vaillant, par Gilles Candar, est une contribution originale à l’histoire de la gauche française. En effet, l’itinéraire de Vaillant, selon l’auteur, permet d’explorer les caractéristiques de la gauche française et de s’interroger sur l’actualité du politique, de la laïcité, de la nation, des classes, et de beaucoup d’autres questions. Cette biographie examine les multiples appartenances du personnage : « homme de science, de raison et du réel, homme d’espérance, d’idéal et de refus ».

Cet homme de conviction reste fidèle à la Commune révolutionnaire et internationaliste dans son engagement et dans son action, notamment dans les différentes formations politiques (du Comité révolutionnaire central à la SFIO), ainsi que dans sa politique « d’action totale ». Vaillant est certainement plus révolutionnaire que républicain, mais il est aussi socialiste.

Candar a raison d’inscrire Vaillant dans la continuité de son action. C’est particulièrement pertinent au regard de son héritage communard. Le jeune intellectuel révolutionnaire de la Commune et de l’exil est déjà l’homme d’organisation et d’action. Tout au long de son itinéraire militant, Vaillant « a contribué à façonner … une bonne partie de la gauche française, dans son comportement politique, son programme, ses choix et jusqu’à certains de ses réflexes ! ». Concrètement, il a été, notamment, « un des propagateurs de l’idée de référendum d’initiative populaire, du droit de manifester publiquement son opinion dans la rue et pas seulement dans la presse, du contrôle et des échanges incessants entre élus et citoyens. »

Somme toute, Vaillant « réussit mieux que d’autres à ne désavouer aucune des idées de son passé, mais à les intégrer et à les faire vivre dans une forme républicaine et démocratique. »

En conclusion, Candar souligne que Vaillant « n’a pas vu le terme de l’évolution qu’il espérait, la réalisation de la révolution par étapes à laquelle il travaillait, et nous non plus. Mais sa trace demeure dans bien des réalisations politiques, sociales ou culturelles du dernier siècle … ».

MARC LAGANA

 

Gilles Candar, Édouard Vaillant. L’invention de la gauche, Armand Colin, 2018.

 

 

EUGÈNE VARLIN, INTERNATIONALISTE ET COMMUNARD

Cordillot, Eugène Varlin, internationaliste et communard

En rééditant en 2016 l’ouvrage de Michel Cordillot, les éditions Spartacus font œuvre très utile. La première édition, Eugène Varlin, chronique d’un espoir assassiné , remontait en effet à 1991 et était épuisée.

Michel Cordillot s’est borné à en améliorer la forme et à tenir compte des apports de l’historiographie récente sur la période. Il a toutefois remanié les deux derniers chapitres « pour mieux expliquer ce paradoxe apparent : Varlin s’est vu relégué au deuxième plan de la scène politique et sociale, alors même que les idées au service desquelles il s’était tant dévoué semblaient avoir une chance historique de triompher avec la proclamation de la Commune. »

Michel Cordillot présente la vie et l’œuvre de Varlin chronologiquement et avec une très grande précision. Sa documentation est extrêmement riche et ses sources toujours identifiées.

Varlin est incontestablement un personnage hors du commun : il n’a, sa vie durant, jamais fait l’objet de la moindre critique ; il bénéficiait au contraire de beaucoup d’admiration et même d’une certaine forme de respect de la part de ses adversaires. « Bien plus, tous les courants de la pensée sociale sans exception, des coopérateurs aux anarchistes, en passant par toutes les familles du syndicalisme et de la gauche politique, se sont efforcés […] d’en faire un précurseur de leur vues et de leur choix, afin que leur légitimité s’en trouve du même coup renforcée. »

En fait, le destin individuel de Varlin n’est pas dissociable de l’histoire du mouvement ouvrier. Michel Cordillot expose ainsi la jeunesse studieuse de Varlin, à Claye-Souilly (Seine-et-Marne), et ses années d’apprentissage d’ouvrier relieur. Très apprécié professionnellement, il devient l’un des mieux payés de la place de Paris. En 1860, il reprend ses études : il étudie la langue française, l’orthographe, la géométrie et la musique.

Varlin devient membre de la Société de secours mutuels des ouvriers relieurs, fondée en 1858. Il anime les grèves de 1864 et de 1865 : il y gagne une autorité sans égale parmi les relieurs. Il développe la coopération et notamment, avec l’appui de Nathalie Le Mel, une cuisine coopérative, La Marmite.

Il est avant tout le principal animateur du bureau parisien de l’Association Internationale des

Travailleurs (AIT). Il adhère au Comité central de la garde nationale, commande un bataillon, gère les finances, puis les subsistances pendant la Commune dont il est membre élu par plusieurs arrondissements. Il est arrêté, martyrisé et fusillé le 28 mai 1871.

« Si Varlin a conservé cette mystérieuse popularité qui fut la sienne de son vivant, c’est bien parce qu’on retrouve dans sa trop courte vie une dimension universelle. […] Il symbolise le refus du renoncement […] et l’espoir de tous ceux qui croient qu’un avenir plus juste est possible. »

GEORGES BEISSON

Michel Cordillot, Eugène Varlin, internationaliste et communard, Spartacus, 2016, 229 p.

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