UNE HISTOIRE POPULAIRE DE LA FRANCE
Dans la période réjouissante de parutions s’attachant à raconter une histoire populaire, il est plus que temps de présenter l’ouvrage de Michelle Zancarini-Fournel, professeure émérite à l’Université de Lyon 1 : son livre si précieux se situe dans le sillage de la pensée de l’historien Edward P. Thompson, insistant sur la nécessité de faire une « histoire par en bas ».
L’auteure construit son récit très vivant à partir de faits choisis, actant des moments-clés de tensions ou de ruptures et au travers des témoignages de celles et ceux qui les ont vécus quotidiennement, tous groupes sociaux réunis : les « sans nom » de l’histoire, gens du peuple des villes et des campagnes, femmes, déclassés, étrangers, colonisés, retrouvant la parole et puis jouant un premier rôle, recouvrent la renaissance civile et sociale. L’ensemble, situé dans une causalité chronologique, donne sens à l’histoire populaire du pays. Le chapitre « Les Communes au pouvoir ? », intégré nécessairement dans le contexte des révoltes passées, aborde dans cet esprit le printemps 1871. Son déroulé résume la méthode de l’auteure : l’imbrication des faits, mondes urbain et rural confondus, dans l’instant historique du moment. Si le temps parisien est surtout événementiel, ouvrant au débat, les pages sur la province et les campagnes traduisent de vraies réalités : une claire recherche du lien des villes de province en insurrection entre elles et avec Paris, payant cher le soutien ; la même intention manifeste vers les campagnes avec, acte oublié, l‘appel visionnaire à fibre populaire aux ruraux d’Emile Digeon, dès le 18 mars à Narbonne. De même, trop marginalisée, la continuité, durant la Commune, du processus révolutionnaire communaliste de l’automne 1870 permet de cerner la cohérence des acteurs locaux dans les conditions particulières du républicanisme provincial et rural, la signifiante poussée républicaine des élections municipales du 30 avril en attestant. Ainsi que l’auteure le souligne, la mémoire de la Commune fait partie de cette mémoire populaire et sociale des combats passés, transmise depuis des siècles par le bouche à oreille ou par l’écrit, de génération en génération : les luttes et les rêves d’hier sont toujours les luttes et les rêves d’aujourd’hui pour les « sans-nom » et les « sans-voix » qui font l’histoire et dont l’ombre continue à hanter les dominants. Espérons à nouveau que les ouvrages qui sortiront en 2021 sur la Commune porteront autant ce souffle populaire et cette démarche d’histoire simultanée dans le temps et dans l’espace.
JEAN ANNEQUIN
Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Editions La Découverte, Zones, 2016.
L’HONNEUR PERDU DU GÉNÉRAL CLUSERET.
DE L’INTERNATIONALE AU NATIONALISME
Ce très gros livre de près de 300 pages fourmille de renseignements qui éclairent d’un jour nouveau ce personnage très ambigu. De plus, l’ouvrage apporte une foule de renseignements sur ce que fut l’armée avant et durant la Commune. En fin de publication, les notes nombreuses renvoient à une documentation très riche.
L’homme, Gustave Cluseret (1823- 1900), a acquis une très grande expérience militaire, comme le souligne l’auteure de l’ouvrage, Florence Braka. Il fait preuve d’une véritable analyse que seul un professionnel habitué des champs de batailles et suffisamment indépendant du pouvoir peut livrer. Ainsi, il prédit la défaite de l’armée française avant Sedan.
Quel étrange parcours que celui de ce général aventurier, que l’on classe le plus souvent dans la catégorie des communards. Et pourtant… comment oublier qu’il fit ses armes comme lieutenant de la garde mobile lors de la répression du mouvement de 1848 ! Il sera même décoré de la Légion d’honneur pour cela. Un officier royaliste bon teint, mais la France n’est plus royaliste et Cluseret dira : « C’est en combattant les insurgés qu’on devient insurgé ». En fait il montre les véritables raisons de son engagement militaire. Il veut absolument la direction des armées ! Tout ce qui compte pour lui c’est d’obtenir ce commandement général. Étonnant bonhomme, qui rejoint les troupes de Garibaldi en 1860 et sera blessé au siège de Capoue. Toujours présent là où l’on se bat, il part en Amérique et s’engage dans la guerre de Sécession, où il gagne ses galons en se faisant remarquer pour sa bravoure. Il n’obtient pas le commandement général désiré et, dépité, il revient en France.
Lors du conflit avec la Prusse, il prend le visage, sans doute justifié, d’un nationaliste qui défend son pays et, lorsque la guerre contre les Prussiens se déclenche, il veut s’engager, mais sa réputation de farouche opposant à Napoléon III l’a précédé et il est éconduit.
Lorsqu’éclate la révolution du printemps 1871, Il prend fait et cause pour la Commune et se voit confier la direction de la défense de Paris. Il tente de mettre en pratique ce qu’il a écrit dans son ouvrage Armée et démocratie, mais l’ambition est trop grande face aux difficultés de cette armée à organiser totalement – les 3 décrets qu’il fait publier en avril ne suffiront pas. Les mesures qu’il veut prendre pour faire respecter la discipline sont un échec. À la suite de l’ordre d’évacuation du fort d’Issy, il est accusé de trahison par son camp, alors que du côté des versaillais il est condamné à mort. Il s’exile en Suisse et ne reviendra en France qu’à la faveur de l’amnistie en 1880.
De retour d’exil, les années passant, le voilà élu député du Var. Il assurera quatre mandats. Bien élu parfois, car la Commune l’a, semble-t-il, inspiré par ses mesures sociales. Son programme politique reprend des revendications communardes : pour le logement, les salaires etc. Ainsi il se rend populaire.
Il aurait adhéré, au lendemain des élections générales de 1898, au groupe parlementaire antisémite. Cependant le conditionnel s’impose, car certaines listes des membres de ce groupe ne le mentionnent pas. Mais son antisémitisme est bien réel, car il crée une ligue antisémite au moment de l’affaire Dreyfus et participe à la rédaction d’articles publiés par la presse.
Il meurt le 23 août 1900 à Hyères. Ses funérailles ont lieu le 25 août, mais sa dépouille sera transférée quelques mois plus tard, au cimetière de Suresnes, commune des Hauts-de-Seine, où il a longtemps vécu.
Un ouvrage savant très utile pour approfondir et mieux connaitre les difficultés rencontrées sur le terrain militaire.
CLAUDINE REY
Florence Braka, L’Honneur perdu du général Cluseret. De l’Internationale au nationalisme. Préface de Gérard Haddad, Maisonneuve et Larose/Éditions Hémisphères, 2018
DE LA MÊME LIGNÉE…
Et si l’Histoire pouvait se raconter avec la vie des gens du peuple. Catherine Petit, conservatrice en bibliothèque, passionnée de récits de vie, nous livre celui d’un de ses ancêtres, Hippolyte, au XIXe siècle dans l’Est parisien. Pour les amateurs de la Commune de Paris, il est toujours intéressant de suivre l’évolution du monde ouvrier. Cette famille vit à Villiers-sur-Marne, elle se compose d’artisans vitriers, c’est-à-dire facteurs de vitraux, qui connaîtront les mutations de leurs activités d’artisans dotés d’un indéniable savoir-faire. C’est tout un petit peuple des banlieues qui vit les heures terribles de 1848, les espoirs et la répression. Mais Paris reste la ville-flambeau de la Révolution. Pour comprendre la vie quotidienne, Catherine Petit va nous faire rentrer dans cette famille avec un regard d’enfant qui va grandir : la dureté de la vie, les discussions politiques, où les espérances affrontent les propos désabusés, la peur de l’accident du travail, la solidarité du quartier, mais aussi les joies, les mariages, les naissances. L’Empire autoritaire fait place à celui en apparence plus libéral. La guerre de 1870 mal préparée, inutile, provoque la chute du régime et le siège de Paris.
Le Paris bourgeois et le Paris populaire
Nombre d’habitants des banlieues seront hébergés dans Paris intramuros dans les conditions bien connues du Siège : le froid, la faim, les injustices, la montée de la colère du peuple parisien à l’égard du gouvernement, qui ne souhaite que négocier avec l’occupant. Au détour d’une page, nous retrouvons Flourens et ses quatre bataillons de Belleville. Clairement, le Paris populaire et le Paris bourgeois s’observent : la crainte, la méfiance, la réaction face à la montée des idées nouvelles. Et, évidemment, un matin de mars 1871, le peuple de Paris et des environs ne peut supporter que ses sacrifices soient vains, il veut garder les canons rassemblés à Montmartre. Hippolyte va au-devant des évènements, dans une ambiance joyeuse, insouciante. Pourtant sa femme lui fait part de son inquiétude quant aux lendemains. Comment vivre ? Comment faire pour manger ? Payer les dépenses de la famille ?
Mémoire et idées nouvelles
Un passage du livre est particulièrement intéressant, celui où l’auteure nous livre une analyse du fonctionnement de l’Imprimerie nationale, située dans le XVe arrondissement, et les nouveaux rapports au sein du monde du travail, soutenus par Frankel. Et puis vient cette sinistre Semaine sanglante, le barrage des Prussiens à l’Est qui regardent des Français tuer d’autres Français. Cette répression restera longtemps dans les mémoires ouvrières, et Hippolyte en gardera « une plaie ouverte ». Il connaîtra encore l’assassinat de Jaurès et la grande tuerie. Cette famille gardera la mémoire de ces luttes ouvrières. Catherine, par ailleurs aimable adhérente de notre association, la fait vivre et la transmet.
FRANCIS PIAN
Catherine Petit, Le dernier de la lignée. La vie d’Hippolyte Petit, artisan-ouvrier de l’Est parisien au 19e siècle, L’Harmattan, 2019.
LA GRANDE CITOYENNE DANS SES TEXTES
Au titre À mes frères, nous retrouvons le style de Louise Michel, de l’emphase mais aussi de l’empathie. « Un être tout amour, et qui déchaînait les colères. » Rien n’est fade dans les articles, discours, déclaration au tribunal, lettres rassemblés par Eric Fournier dans un petit ouvrage publié aux éditions Libertalia. Ne comptez pas sur elle pour chercher des compromis avec la bourgeoisie, le capital. Elle attaque, elle dénonce, elle se comporte comme une citoyenne, elle appelle à la vengeance pour les morts de la Commune, ses frères de combat, un spectre vengeur ! La « grande citoyenne » savait aussi être la « bonne Louise », toute en compassion, fidèle en amitié, même lorsque certains de ses amis seront tentés par le boulangisme. L’ouvrage débute par un texte de 1861 qui dénonce l’Empire libéral, une approche en apparence classique mais qui permet de montrer le bouillonnement des idées et les aspirations du moment.
Cependant, il y a des revendications plus exigeantes comme le droit des femmes de vivre de leur travail, ce qui n’était pas évident au XIXe siècle.
« Tout appartient à l’avenir »
La Commune de 1871 est certainement le moment qui révèle Louise Michel dans ces actions et lors de la défaite. Même au fond de la prison de Versailles, elle écrit dans Les œillets rouges dédiés à Théophile Ferré : « Tout appartient à l’avenir ». Le lecteur retrouvera le compte rendu d’audience lors de son procès en décembre 1871 : « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! » Sa description de la Semaine sanglante, reprise dans Le Libertaire de 1897, est dans toutes les mémoires.
Intéressante pour les membres de notre association est la publication de ses deux conférences inédites, chargées d’émotions, à son retour de Nouvelle-Calédonie, la première à l’Elysée-Montmartre et l’autre, moins connue, à la Salle Graffard.
Vers la Révolution sociale
Louise Michel, c’est évidemment aussi l’anarchisme, « Le pouvoir est maudit », son opposition farouche à l’égard des prisons et de la peine de mort, qui la conduit à défendre son agresseur au Havre, son appel à la grève générale et plus globalement à la Révolution sociale. La cause des femmes est au premier plan de ses préoccupations : « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire ».
Elle rugit parfois sa rage devant la souffrance après la fusillade de Fourmies : « Oui, chacals, nous irons vous chercher dans vos palais… » et pourtant « l’avènement du monde nouveau […] se fera naturellement grâce aux idées de justice et de liberté », et non dans le sang. Ces extraits, qui montrent la complexité du personnage, sont complétés par des poèmes de Victor Hugo, de Verlaine, un texte de Vallès, qui participent à la légende de Louise Michel.
FRANCIS PIAN
Louise Michel, À mes frères, Ed. Libertalia, 2019, 176 p.
UNE LIBRAIRIE AMIE À HANOVRE :
LA LIBRAIRIE ANNABEE (ANNABEE BUCHLADEN)
La librairie Annabee est née dans le contexte du mouvement des femmes, au cours de l‘année 1976. Au début, Annabee était une librairie de femmes, et elle avait pour objectif la diffusion de la littérature féministe.
Les temps ont changé, Annabee a élargi en 1989 son choix de livres, puis est devenue une librairie de gauche, tout en réservant encore une place importante à la littérature féministe.
Annabee met l’accent sur l’histoire et la résistance contre le national-socialisme ; la politique, la sociologie et l’écologie ; le féminisme ; la littérature lesbienne et homosexuelle ; la littérature étrangère ; la littérature pour les enfants. Une caractéristique de cette librairie consiste dans le fait, que — depuis le début — elle est gérée par un collectif de femmes.
Si l’on s’interroge sur le nom de la librairie : Kurt Schwitters (1887-1948), un artiste de Hanovre, qui a incarné l’esprit individualiste et anarchiste du mouvement dada, dont il fut l’un des principaux animateurs à Hanovre, a écrit un poème intitulé Anna Blume. Le titre est aussi Anna B. Et on arrive à Annabee ! Cette librairie a décidé de faire une présentation de la Commune au moment de notre fête annuelle.
Information transmise par ARGOWLA
Annabee Buchladen, Stephanusstraße 12-14, 30449 Hannover.