ELISÉE RECLUS
Dans le VII e arrondissement de Paris existe, depuis le siècle dernier, une avenue qui porte le nom d’Elisée Reclus. Seule indication sur la plaque : « géographe » ; rien sur son appartenance à la Commune de Paris. Édouard Vaillant, délégué à l’Instruction publique, l’avait nommé en avril 1871 responsable de la Bibliothèque nationale. Son nom est resté dans les mémoires grâce à la parution, entre 1876 et 1894, de sa Nouvelle Géographie universelle en 19 volumes.
Mais voilà qu’un jeune auteur, Thomas Giraud, nous prend par la main pour nous mener sur les pas du jeune Elisée, et à la découverte de ses proches, dans un court roman d’une centaine de pages. Construit en douze petits chapitres, l’auteur nous donne à voir la maison dans le Périgord, la fratrie nombreuse, les traits de caractère de la mère (Zéline) tant aimée, et du père (Jacques) dont Elisée va s’affranchir des sermons et du poids pesant de la foi.
« Je veux l’ombre des arbres et pas celles de mon père », tel un petit « bout de pensée » dont le livre restitue la personnalité rebelle du futur anarchiste.
L’auteur n’hésite pas à semer ces « bouts de pensée », que l’on imagine élaborés par la marche à travers la France de l’adolescent, cherchant çà et là ce qu’il aime : les ruisseaux, les pierres, les montagnes, la flore, les animaux. Elisée marche, flâne, musarde étudie passionnément la nature.
Autre « bout de pensée » du jeune Reclus : « La nature est une et les hommes sont multiples. Ils peuvent être agencés de manière infinie alors que la nature ne peut qu’être acceptée. »
SIMONE MATUSALEM
Thomas Giraud, Elisée : Avant les ruisseaux et les montagnes, Éd. La Contre Allée, Collection La Sentinelle, 2016.
ERNEST PIGNON-ERNEST
Une exposition et un ouvrage ont rendu hommage, en 2019-2020, au travail d’Ernest Pignon-Ernest (1) réalisé depuis les années 1960.
Dans le texte introductif du livre, André Velter note qu’il s’agit d’un artiste pionnier des « formes répertoriées comme art de la rue », puisqu’il appose, sur les murs, de grandes sérigraphies qu’il sait éphémères, mais qu’il prend soin de photographier afin d’en conserver la trace.
Il concilie « exigence éthique sans concession », « singularité radicale servie par une exceptionnelle maîtrise du dessin », la fidélité au noir et blanc et il s’agit, à chaque fois, de trouver le lieu et la formule. Près de trente thèmes associent des personnalités connues de différentes nationalités, des groupes sociaux, des faits de société, des villes et des lieux particuliers avec des textes de plus de 50 auteurs qui évoquent leur admiration et leur rencontre avec l’artiste en commentant ses œuvres. Certaines de ces images sont devenues, selon André Velter, « les véritables icônes des temps modernes », tels « les fusillés de la Commune » et « son Rimbaud vagabond » ou, selon René de Ceccaty, « l’autopietà » de Pasolini : autant de fantômes ressuscités dans les lieux où ils ont vécu.
Après une préface de l’artiste explicitant sa démarche, c’est le geste/manifeste réalisé en mai 1971 qui est évoqué lorsqu’il célèbre, à sa manière, le centenaire de la Commune. Une photographie des « escaliers du Sacré-Cœur », recouverts par des gisants de papier, symbolise, selon Henri Cueco, les morts de la Commune. « Ces morts, tous les mêmes, repliés, allongés sur cet accordéon d’architecture monstrueuse, ensanglantée, tels qu’ils étaient le jour où Ernest Pignon-Ernest les a fait revivre, couchés sur ces marches ». Quant à Régis Debray, dans un texte intitulé Lutte de classes, il évoque « les importants » « sur leur statue, leur buste, leur niche ». « Et puis, il y a les autres, tous les autres », « les frangins de la Commune », tous les anonymes disparus en 1871. « Idée lumineuse » de l’artiste qui a recouvert le grand escalier de Montmartre « de tous ces cadavres montants ». « Loué soit Ernest Pignon-Ernest d’oser juxtaposer le profane et le sacré, le vivace anonyme et le funèbre illustre ».
ALINE RAIMBAULT
LA COMMUNE DE LOUISE MICHEL
Avec une auteure de cette stature on peut dire, sans prendre de grands risques, que ce livre va trouver son public. Bien que beaucoup republiées ces temps-ci — et cela n’a pas toujours été le cas — ces éditions ajoutent un grain de sel qui rend particulière chaque parution. C’est le fait de cet ouvrage, écrit en 1898 et publié en mai 2019, aux Editions de La Lanterne.
Louise écrit comme elle est, spontanée, oubliant bien souvent l’ordre chronologique. Elle nous laisse un récit plein d’interrogations mais évidemment passionnant. Aussi il est bien, lorsque l’on lit ou relit les œuvres de Louise Michel, de s’armer de deux livres : La Vierge rouge (2), ses mémoires remis en ordre chronologique par l’historienne Xavière Gauthier et, précieux également, La Déportation de Louise Michel (3) de Joël Dauphiné, professeur à l’Université d’Aix-en-Provence, qui vécut vingt ans là-bas et a pu vérifier la véracité des faits sur le terrain.
Cela nous permet de réfléchir sur les légendes construites autour de Louise, comme l’apprentissage de la lecture aux enfants kanaks. Elle fut enseignante cependant, de 1879 à 1880, date de son retour en France, mais dans la ville de Nouméa pour les enfants des familles de colons.
Cette édition a aussi le mérite de nous livrer un texte de Rochefort sur l’enterrement de Victor Noir, avant la Commune. Et Il nous offre, dans les appendices, un récit passionnant de la communarde Beatrix Excoffons sur la manifestation des femmes marchant sur Versailles le 4 avril 1871. Nous trouvons également, en fin d’ouvrage, un portfolio comportant une trentaine de photos d’époque.
L’intérêt de cette lecture c’est encore le rappel de l’ampleur de la répression, que certains pourtant tentent aujourd’hui de minimiser. Louise, témoin de son temps, note que « au jour de notre départ en Nouvelle-Calédonie 32 905 décisions de justice sont prononcées... et, ajoute-t-elle, le gouvernement avoua 1179 décès parmi les emprisonnés — 46 enfants au-dessous de 16 ans furent placés dans des maisons de correction pour les punir de ce que leurs pères avaient été fusillés ou qu’ils avaient été adoptés par la Commune ».
Louise continue de nous interpeller. Elle est très souvent, pour beaucoup d’entre nous, la porte d’entrée de la connaissance de ce moment de l’histoire mis trop longtemps sous le boisseau. Elle écrit, comme le signale son avant-propos du 20 mai 1898, sur « des temps héroïques… (où) les foules s’assemblent comme au printemps les essaims d’abeilles… c’est bien la veillée des armes où parlera le spectre de mai ».
Belle image très contemporaine !
CLAUDINE REY
Louise Michel, La Commune, suivi de Histoire de la Commune de 1871 de Lissagaray, Independently published, 2019.
UNE RELECTURE DE LA COMMUNE
L’approche du 150e anniversaire de la Commune suscite d’ores et déjà – et ce n’est pas fini – une activité éditoriale.
Mais ce gros volume est, en fait, une retombée un peu tardive du 140e anniversaire. Il restitue les travaux, jusque-là non publiés, du colloque Regards sur la Commune de 1871 en France : nouvelles approches et perspectives, qui s’est tenu à Narbonne en 2011. Il s’agissait alors de faire le point sur la recherche qui s’était développée dans la foulée du centenaire de 1871. En livrer le contenu en peu de mots n’est pas aisé, tant du fait du nombre de contributions (37) que du volume de l’ouvrage (592 pages). D’entrée, les deux coordinateurs, Marc César et Laure Godineau, insistent sur la complexité de la Commune, sur la multiplicité des lectures et des usages.
Dans un premier temps (« Une vision élargie : l’espace et le temps »), la Commune est « sortie » de 1871 et de Paris. Le temps d’abord : Michèle Riot-Sarcey et Jacques Rougerie reviennent sur le fil qui relie 1848 à 1871. L’espace aussi : on aborde la dimension nationale du mouvement communaliste, au travers des exemples de Lyon, de Perpignan, du Morbihan ou de l’Aveyron.
La deuxième partie est centrée sur la révolution parisienne, dans sa dimension collective et institutionnelle (« La minorité de la Commune », par exemple), mais aussi, en suivant une démarche micro-analytique, à travers des parcours individuels d’anonymes de la Commune.
Une troisième partie s’intéresse aux postérités de la Commune. D’abord la répression et l’exil. Puis « les influences et les héritages » : la mémoire de la Commune dans la chanson ; l’influence de la Commune sur le mouvement anarchiste ; et un focus local sur la mémoire de la Commune chez les socialistes narbonnais. Assez originale est la présentation des perceptions étrangères de la Commune, vue d’Italie, d’Allemagne et d’Autriche, et même de l’Empire ottoman.
Enfin, dans un dernier temps, on s’interroge sur le dilemme : « Écrire l’histoire ou commémorer ». Ce qui nous vaut notamment une copieuse mise au point historiographique de Jacques Rougerie, et une « réflexion sur mémoire et histoire » de Jean-Louis Robert, en sa double qualité d’historien et d’ancien président des Amies et Amis de la Commune de Paris.
Il revenait à Robert Tombs de tirer les conclusions, qui posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. « Pendant quelques semaines… une diversité de gens arrivant de toutes directions se rencontre au carrefour de la Commune : un moment unique, imprévisible, jamais répété ».
Au total, un ouvrage foisonnant, qui ne se lit pas d’une traite. Il ne s‘agit pas d’une nouvelle histoire de la Commune, mais d’un état des lieux, sans doute provisoire. Le lecteur pourra, au gré de ses intérêts, errer dans le sommaire et y trouver de quoi alimenter sa réflexion sur l’évènement.
MICHEL PUZELAT
La Commune de Paris. Une relecture, Marc César et Laure Godineau (dir.) Créaphis éditions, 2019, 592 pages.
Notes
(1) À propos de Ernest PignonErnest : une exposition au Palais des Papes à Avignon, Ecce Homo - Interventions 1966-2019, du 29 juin 2019 au 29 février 2020 et un ouvrage : Face aux murs, Ed. Robert Delpire, réédition 2018 revue et augmentée.
(2) Xavière Gauthier, La Vierge rouge, Éditions de Paris, 1999.
(3) Joël Dauphiné, La déportation de Louise Michel. Vérité et légendes, Les Indes Savantes, 2006.