horsEntre 1872 et 1879, plus de 2000 com­munards sont passés par Belle-Île-en-Mer. La plupart y resteront jusqu'à l'amnistie, tandis que d'autres seront déportés en Nouvelle-Calédonie. Vingt ans auparavant, Auguste Blanqui y fut incarcéré. Il tenta de s'en évader en 1853, mais fut repris sur la Côte sauvage.

 

La citadelle de Belle-Île.
La citadelle de Belle-Île.

 

L’évasion de Blanqui.

Précédant les com­munards emprisonnés après 1871, Auguste Blanqui est enfermé dans le pénitencier de Haute-Boulogne, dans la citadelle Vauban de Belle-Île (Morbihan) de 1850 à 1857. Le 5 avril 1853, il tente de s'évader en compagnie de Barthélémy Cazavan, occupant de la cellule n°15, voisine de la sienne. Ils allument les lampes dans leurs cachots et installent des mannequins qui prendront leur place. Ils ne rentrent pas de la promenade et se cachent jusqu'à la nuit dans le jardin. « Les rondes passent, on marche dans les couloirs, on ouvre les portes, on fait l'appel. Blanqui ! Cazavan ! Ils sont là tous les deux. Blanqui absorbé dans la lecture, son chapeau de paille sur la tête, Cazavan qui écrit sur sa table. On referme les portes », raconte Gustave Geffroy (1), le biographe de Blanqui. C'est la ferme­ture, la ronde achevée dans les cellules. « Victoire ! les mannequins ont vaincu. Vivent les manne­quins ! », s'exclament les deux évadés.

Victoire ! Nous voici enfin hors de ces cata­combes, debout sur le glacis, la bise nous soufflant au visage, raconte Blanqui. En face, à deux lieues, le phare de Bangor promène son cercle dans le brouil­lard, l'éclair intermittent de ses feux. Je propose de marcher droit sur ce grand oeil rouge qui nous regarde avec un étrange clignotement d'éclats et d'éclipses.

 

Portrait d'Auguste Blanqui peint par son épouse Amélie-Suzanne Serre, vers 1835. (Paris, Musée Carnavalet.)
Portrait d'Auguste Blanqui peint par son épouse Amélie-Suzanne Serre, vers 1835. (Paris, Musée Carnavalet.)

 

La trahison.

N'osant pas suivre la route, les deux hommes coupent à travers champs et arrivent à deux heures du matin à la maison de Jean-Louis à Radenec, au-dessus de Port-Goulphar, sur la Côte sauvage. Un jeune marin propose de les convoyer le lendemain, car la tempête fait rage. Rassurés, Blanqui et Cazavan s'étendent sur la paille d'un gre­nier. Réveillés à l'aube, ils sont jetés à bas par le gardien-chef de la prison et les gendarmes. Ils ont été trahis. On les ramène en charrette au péniten­cier. Vingt-neuf jours de cachot, c'est le prix à payer par les deux évadés. En 1857, trente-trois détenus, dont Blanqui, sont transférés à la citadelle de Corte (Corse), à bord du Tanger. Lorsque Gustave Geffroy enquête à Belle-Île en 1886, le souvenir de Blanqui et de son évasion manquée est encore vivant. La maison construite avec l'argent de la trahison est encore debout. Les bellilois l'appellent « le château Blanqui », qui fut incendié deux fois.

Près de vingt ans après le séjour de l'Enfermé, la plus grande île de la façade atlantique servit de pri­son pour les communards. En mai 1872, les ports de Brest, Lorient et Belle-Île voient passer des milliers d'entre eux en route pour la Nouvelle-Calédonie. Près de 4000 communards sont déportés dans cette colonie pénitentiaire entre 1871 et 1878.

 

Vive les parisiens ! à bas la rousse !

Belle-Île ne fut pas qu'une étape vers une autre destination. Le dépôt d'insurgés, ouvert en avril 1871, reçut 752 combattants dans sa maison de détention et 2245 condamnés sur les 10 137 recensés par l'historien Jacques Rougerie (2). La question du lieu d'incarcération des prisonniers se pose dès les premières sorties des communards contre les versaillais. Thiers n'a pas oublié les leçons de 1848, lorsqu'il siégeait à la commission de la Marine, et reprend les mêmes méthodes (3). Le 7 avril 1871, deux convois conduisent à Lorient 1600 prisonniers de Versailles : 600 repartent ensuite pour Brest, 612 mettent le cap sur Belle-Île, tandis que les 400 derniers sont débarqués à Port-Louis. Selon le commissaire de Lorient, « le plus grand ordre s'est maintenu à la gare et dans les envi­rons pendant le stationnement et le passage des convois ». Cependant, « sept à huit jeunes gens de 17 à 18 ans, qui se trouvaient dans la foule, ont crié "Vive les Parisiens !", "À bas la rousse ! »

 

Bâtiments de la colonie pénitentiaire, carte postale, [déb. 20e s.]. Archives départementales du Morbihan, 9 Fi 154/259
Bâtiments de la colonie pénitentiaire, carte postale, [déb. 20e s.]. Archives départementales du Morbihan, 9 Fi 154/259

 

Trochu : participe passé du verbe trop choir.

Parmi les communards condamnés, Jean-Yves Mollier (3) relève quelques noms célèbres ou inconnus. Le garibaldien Amilcare Cipriani, arrêté avec Gustave Flourens lors de la sortie du 3 avril 1871, sera déporté en Nouvelle-Calédonie. Lucien Henry, colonel de la XIVe légion, fait prisonnier le même jour, fut condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée. Jules Lorion mourut à l'île des Pins. Désiré Gerich, jeune fondeur de la Butte-aux-Cailles, sera lui aussi transporté. Une seule famille belliloise profitait du travail gratuit des prisonniers sur son domaine agricole, celle du général Trochu, gouverneur de Paris pendant le Siège. Celui dont Victor Hugo a résumé la carrière dans ce bon mot :

Trochu, participe passé du verbe trop choir.

L'immense majorité des premiers communards condamnés par les Conseils de guerre s'est vu infli­ger des peines de deux ans de prison, souvent assorties d'interdictions de séjour et de dégrada­tions civiques. Qui étaient les détenus soumis au régime de correction pénale ? L'immense majorité était composée de communards parisiens jugés fin 1871, auxquels s'ajoutaient les insurgés des Communes de province, notamment celles de Saint-Étienne et de la Nièvre. Les derniers condamnés des conseils de guerre de 1876-1877, quand ils ne sont pas expédiés en Nouvelle-Calédonie, sont envoyés à Belle-Île. En octobre 1875, la fermeture du quartier spécial de la prison de Clairvaux entraîne le trans­fert en Bretagne de cinquante prisonniers. Parmi eux, le vieil ami de Charles Gambon, membre de la commission de la Justice pendant la Commune, Hippolyte Alexis Asselineau, mort le 28 juillet 1876 en détention à Belle-Île. Les communards exilés en Suisse apprendront par la voix de Gambon qu'à Belle-Île, on assassine leurs camarades. En 1876, Victor Hugo interviendra en faveur d'un autre détenu de Belle-Île, renouant avec la tradition par­lementaire d'intervention en faveur des Bellilois, mise à l'honneur en 1850 par Victor Schoelcher et d'autres républicains.

 

JOHN SUTTON

 

Notes

(1) Gustave Geffroy, Blanqui, l'Enfermé, [1897], rééd. L'Amourier, 2015. Avec un avant-propos de Bernard Noël et des dessins d’Ernest Pignon-Ernest.

(2) Jacques Rougerie, Paris libre 1871, Le Seuil, 1971 (rééd. 2004).

(3) Jean-Yves Mollier, « Belle-Île-en-Mer, prison politique après la Commune (1871-1880) », Criminocorpus. Revue hypermedia, 2014 ; en ligne sur : journals.openedition.org/criminocorpus/2664

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