La construction.
Les fortifications, telles qu’on les développe, sont la plus flagrante réaction contre la révolution française qui ait jamais été risquée et qui ait jamais été réussie contre elle.
Ce à quoi Thiers répond
C’est calomnier un gouvernement, quel qu’il soit, de supposer qu’il puisse un jour chercher à se maintenir en bombardant la capitale.
On sait ce qu’il en fut.
Contrairement aux forts du nord de Paris, le Fort d’Issy-les-Moulineaux ne fut jamais pris par les prussiens, bien qu’il fût l’un des sites les plus bombardés du siège. Il reçut ainsi 18 000 obus de 100 kg entre le 5 et le 28 janvier 1871. Il est dès ce moment très endommagé.
La Commune.
Les fédérés s’emparent du Fort d’Issy les 19 et 20 mars, mais négligent d’occuper le Mont Valérien que Thiers avait pourtant fait évacuer. Cette grave erreur se paya au prix fort : ce furent les obus du Mont Valérien qui semèrent la panique chez les Fédérés lors de l’offensive du 3 avril. Lors de cette offensive, le général Eudes passe par Issy-les-Moulineaux, il y établit son quartier général au séminaire Saint Sulpice.
Dès les 11 et 12 avril, le 2e corps d’armée de Versailles prend position à proximité du Fort. Ce dernier est soumis à un bombardement incessant venant du Mont Valérien, de la gigantesque batterie installée à Montretout et des 293 grosses pièces de marine que Thiers fit installer à Bellevue, Meudon et Chatillon.
Dans la nuit du 26 au 27 avril, les versaillais s’emparent du village d’Issy-les-Moulineaux et poussent leurs tranchées d’approche jusqu’à 300 m du fort. Le fort est cerné et criblé de balles.
Subissant un bombardement terrible et après avoir repoussé durant trois jours toutes les attaques, les Fédérés décident brusquement dans la nuit du 29 au 30 avril de se replier parce qu’ils ne recevaient ni ordre ni relève.
La nouvelle du repli fait scandale et la désorganisation de la défense apparaît en pleine lumière : en réponse, un « Comité de salut public » sera créé dès le 1er mai.
La résistance héroïque.
Dès la matinée du 30 avril, La Cecilia et Cluseret réoccupent les lieux avec quelques compagnies, les versaillais ne s’étant même pas aperçus de la fuite des défenseurs !
Mais le Fort est en piteux état. Lissagaray :
Ce n’était plus un fort, à peine une position forte, un fouillis de terre et de moellons fouetté par les obus… Les poudrières se découvraient ; la moitié du bastion 3 était dans le fossé… Une dizaine de pièces au plus répondaient à l’averse des soixante bouches à feu versaillaises… Le 3, les versaillais renouvelèrent leur sommation, ils reçurent le mot de Cambronne.
Le Fort résiste héroïquement jusqu’au 8 mai, sous l’autorité du commandant Julien, chef du 141e bataillon de la Garde nationale et de l’ingénieur Rist.
Voici quelques extraits de leur journal :
4 mai : … Les fourgons n’arrivent plus ; les vivres sont rares et les obus de 7, nos meilleures pièces, vont manquer. Les renforts promis tous les jours ne se montrent pas… Nos ambulances sont combles ; la prison et le corridor qui y conduit sont bourrés de cadavres ; il y en a plus de trois cents…
5 mai : … Le feu de l’ennemi ne cesse pas une minute… ; Les Enfants perdus qui servent les pièces du bastion 5 perdent beaucoup de monde ; ils restent solides à leur poste. Il y a maintenant, dans les cachots, des cadavres jusqu’à deux mètres de hauteur…
6 mai : … La batterie de Fleury nous envoie régulièrement ses six coups toutes les cinq minutes. On vient d’apporter à l’ambulance une canonnière qui a reçu une balle dans le côté gauche de l’aine. Depuis quatre jours, il y a trois femmes qui vont au plus fort du feu relever les blessés. Celle-ci se meurt et nous recommande ses deux petits enfants. Plus de vivres. Nous ne mangeons que du cheval. Le soir le rempart est intenable…
7 mai : … Nous recevons jusqu’à dix obus par minute. Les remparts sont totalement à découvert. Toutes les pièces, sauf deux ou trois, sont démontées… Il y a trente cadavres de plus…
L’évacuation.
L’évacuation définitive aura lieu le 8 mai sous l’autorité de Lisbonne.
Lissagaray :
[Le Fort] râlait depuis le matin.
Tout homme qui apparaissait aux pièces était mort.
Sur le soir, les officiers se réunirent et reconnurent qu’on ne pouvait tenir ; leurs hommes chassés de tous côtés par les obus se massaient sous la voute d’entrée ; un obus du Moulin-de-Pierre tomba au milieu et en tua seize. Rist, Julien et plusieurs qui voulaient, malgré tout, s’obstiner dans ces débris, furent forcés de céder. Vers sept heures, l’évacuation commença. Le commandant Lisbonne, d’une grande bravoure, protégea la retraite qui se fit au milieu des balles.
Maxime Lisbonne va se battre héroïquement rue par rue au travers d’Issy-les-Moulineaux, jusqu’à la barricade de la Porte de Versailles. La moitié des maisons isséennes ont été touchées. Les versaillais ont 300 soldats tués et 2000 blessés.
Un parcours communard au fort d’Issy-les-Moulineaux.
Le Fort d’Issy-les-Moulineaux vient d’être transformé en Eco-quartier moderne, abritant 1620 logements. Pourtant la mémoire et l’histoire n’en ont pas été effacées. Bien au contraire, puisqu’une école porte le nom de Louise Michel et que le centre culturel s’intitule « Le Temps des Cerises ».
Le Temps des Cerises abrite un « mur de la Mémoire » qui offre une découverte interactive de l’histoire du Fort dans laquelle la Commune occupe une place importante.
Il est également possible de visiter les fortifications de façon individuelle à l’aide d’une tablette numérique interactive remise au « Temps des Cerises ». Elle sert de guide tout au long du circuit, en présentant de nombreux documents, photos et vidéos.
La plaque mystérieuse.
En fin de circuit, à l’entrée principale du Fort, la mairie a réinstallé en juin 2014 une ancienne plaque en hommage aux Gardes nationaux fédérés de la commune.
L’origine de cette plaque est inconnue. Elle ne peut être que postérieure à l’amnistie de 1880 et pourrait avoir été gravée avant la réunion du village d’Issy et de celui des Moulineaux, comme son libellé l’indique, soit avant 1893.
Comme un œil exercé peut également le voir, la dernière ligne de la plaque « en luttant pour les libertés du peuple » a été ajoutée car les caractères ne sont pas exactement identiques à ceux du dessus. On n’en connaît ni l’auteur ni la date. L’historien de la ville émet l’hypothèse que des « Amis de la Commune » aient pu ajouter cette ligne. Mais aucune trace n’en existe dans nos archives. Le mystère reste entier.
Louise Michel la combattante du fort d’Issy-les-Moulineaux
Louise Michel combattit au Fort d’Issy-les-Moulineaux au sein du 61e bataillon de marche de Montmartre. Elle parle de son passage au Fort d’Issy :
…J’y passe une bonne partie du temps avec les artilleurs… Voici les femmes avec leur drapeau rouge percé de balles qui saluent les fédérés ; elles établissent une ambulance au fort, d’où les blessés sont dirigés sur celles de Paris, mieux agencées… Moi, je m’en vais à la gare de Clamart, battue en brèche toutes les nuits par l’artillerie versaillaise. On va au fort par une petite montée entre les haies, le chemin est tout fleuri de violettes qu’écrasent les obus…
Dans ses mémoires, Louise Michel cite une vingtaine de femmes qui l’accompagnèrent, mi cantinières, mi soldates :
…elles pansèrent les blessés sur les champs de bataille et souvent ramassèrent le fusil d’un mort. » « Je crois que je n’étais pas un mauvais soldat.
On sait qu’elle a tenu, seule avec un africain, ancien zouave pontifical, une tranchée devant la gare de Clamart, pendant une nuit entière.
Le Journal officiel du 10 avril parle d’elle :
Dans les rangs du 61e bataillon, combattait une femme énergique, elle a tué plusieurs gendarmes et gardiens de la paix.
Et Clemenceau, après être allé au Fort d’Issy, dit son admiration :
Jamais je ne la vis plus calme. Comment elle ne fut pas tuée cent fois sous mes yeux, c’est ce que je ne puis comprendre. Et je ne la vis que pendant une heure.
JEAN-PIERRE THEURIER
Aspects pratiques :
Le Temps des cerises est ouvert du mardi au vendredi de 14h à 20h. Samedi et dimanche de 10h à 20h. Fermé le lundi et en août. Accès : 90-98, Promenade du Verger au Fort d’Issy.
Tél. : 01 41 23 84 00