Métropole Vincent Farasse
Métropole - Vincent Farasse

Extraits de Métropole

«  J’ai fait un rêve. Cette nuit. Je marchais dans une rue. Une petite rue. Une petite rue de Montmartre. Ça ressemblait à Montmartre. C’était Montmartre. J’entendais des cris. Des cris de femmes. Quelqu’un m’a pris la main. Une femme m’a pris la main. Elle courait. Elle m’entraînait dans sa course. Je courais derrière elle, qui me tenait la main, et nous avons rejoint d’autres femmes, qui couraient, qui criaient. Elles couraient vers la butte, elles criaient, réveillez-vous, ils veulent nous prendre nos canons, réveillez-vous !

(…) On voit une file immense de carrosses fuir la ville et partir à Versailles. Nous faisons une grande fête. Nous dansons, nous chantons, dans les rues, sur les places. Sur les toits de Paris flotte le drapeau rouge.

(…) Nous sommes rue Saint-Maur, rue de Belleville, rue de Ménilmontant, des rues où l’on se promène aujourd’hui, des rues où il y a des enseignes, des magasins, des gens qui font leurs courses. Dans ces rues, cette nuit, des femmes richement vêtues poussaient des cris perçants, et crevaient les yeux de nos cadavres ».

MÉTROPOLE ET LA COMMUNE

Vincent nous a déclaré :

« Quand je commençais à écrire Métropole [2], j’imaginais six personnages, d’âges et de milieux sociaux différents, et j’imaginais la manière dont ils pouvaient se croiser, se rencontrer, dans une métropole d’aujourd’hui. Je commençais à écrire des scènes, des situations, et dans ces situations, s’exprimaient des rapports de pouvoir. De situation en situation, de scène en scène, ces gens se recroisaient, leurs relations se développaient, et une histoire a commencé à se construire.

Une histoire du XXIe siècle, dans une métropole d’aujourd’hui, soumise aux lois du marché, aux mutations récentes du monde du travail, rendant ce dernier de plus en plus dur. Une histoire qui voyait s’affirmer et se développer des rapports de pouvoir de plus en plus violents.

Et peu à peu s’est imposée, ou plutôt devrais-je dire, s’est dressée, l’image de la Commune. La Commune est arrivée, s’est dressée, contre les scènes, situations, dialogues, que j’écrivais, contre le monde qui s’écrivait dans cette pièce. Parce qu’en réalité le monde d’aujourd’hui, sur lequel j’écris, entretient bien des points communs avec le Second Empire : capitalisme débridé sur fond de spéculation immobilière, accroissement vertigineux des inégalités, la misère la plus noire côtoyant une richesse de plus en plus ostentatoire et provocante.

C’est par le personnage de Latifa que la Commune est entrée dans cette pièce, ce qui n’est pas un hasard. Latifa est une femme de ménage, travaillant dans une société de nettoyage, à laquelle de grandes entreprises sous-traitent. C’est par le personnage le plus humble, celui qui subit le plus la violence du capitalisme, que la Commune arrive.

Il était nécessaire qu’un personnage oppose une autre image à celle du consumérisme et du capitalisme. Décrire notre société faisait apparaître le besoin urgent d’imaginer une autre société. L’image qui s’est imposée est celle de ce moment, où, pendant quelques semaines, un monde nouveau s’est inventé. Un monde nouveau qui a été écrasé dans le sang. D’où l’ambivalence de cette image, et ce pourquoi elle ne nous laisse pas tranquille : image à la fois de la plus belle expérience de démocratie réelle, et du plus noir massacre. Image de la possibilité réelle d’un autre monde, et de l’extrême violence des dominants qui s’y opposent. C’est cette image à deux faces, cette image à la fois d’espoir et de tristesse, qui est plus que jamais contemporaine. »

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL PINGLAUT

 

Notes

[1] Vincent Farasse est venu en Berry à Saint-Germain-du-Puy (18), puis stagiaire à Théâtre en juillet de 1997 à 2000, il joue dans : Ubu roi, À tous ceux qui, Compagnons compagnons, Et la fête continue

[2] Vincent Farasse, Métropole, suivi de Un incident, Actes Sud-Papiers, 2017

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