C’était le 29 novembre 2020, veille de la date anniversaire de son exécution. Le comité des Bouches-du-Rhône des Amies et Amis de la Commune de Paris a décidé que, malgré les circonstances, cet hommage aurait lieu !
Dans l’ignorance des décisions gouvernementales, nous avions décidé d’inviter celles et ceux qui habitaient à un quart d’heure de marche du Pharo (ce qui correspond à environ 1 km) et d’avoir une demi-heure de prises de parole. Déjà, dans ce contexte, une dizaine de camarades nous avaient fait savoir qu’ils seraient présents. Le premier adjoint à la maire du secteur 1-7 de Marseille, notre camarade Christian, aussi.
Promemo (Provence Mémoire Ouvrière) avait été invitée, ainsi que La Libre Pensée. Celle-ci nous a fait savoir qu’une association dont elle avait assuré la paternité, l’ALPMR13 (Association Laïque Pour la Mémoire Républicaine 13) souhaitait elle aussi intervenir : elle a de multiples renseignements et documents sur la période dont nous célébrons le cent cinquantième anniversaire. En particulier elle a réussi à déterminer l’endroit exact où avait été fusillé ce pauvre Gaston Crémieux (un terrain militaire dans une anse, en contrebas des jardins du Pharo, qui se trouvent à l’entrée du Vieux Port). Une de nos adhérentes, qui travaille sur Gaston Crémieux, a préparé une communication.
L’assouplissement du confinement a permis que nous invitions en très peu de jours plus largement nos Amies et Amis. C’est près d’une vingtaine de Marseillaises et Marseillais qui étaient présents, et ont pu entendre les textes magnifiques de Gaston Crémieux sur lesquels se sont appuyés les intervenants.
Il a été annoncé que les démarches pour la pose d’une stèle seront relancées.
Pour clore l’évènement, nous sommes descendus à proximité du mur devant lequel l’armée plaçait les fusillés.
Discours des Amies et Amis de la Commune de Paris-1871
Gaston Crémieux a fait partie de cette jeunesse de la fin du Second Empire, marquée par le romantisme. N’a-t-il pas écrit, dans un ouvrage intitulé Les voix du peuple, en 1868 : « Lève-toi ! De la force, indomptable victime, montre comment l’agneau se transforme en lion. Que ta dolente voix qui gémit dans l’abîme jette le cri de la rébellion ! »
Gaston Crémieux avait 32 ans. Ce romantisme-là, au-delà de son lyrisme, était tourné vers le progrès, vers le progrès social en particulier. Et la chape de plomb qui pesait sur la liberté d’expression était de moins en moins supportée. Être classé républicain valait d’être surveillé par la police. Victor Hugo, comme beaucoup, était en exil. La censure régnait, la moindre critique contre Napoléon III pouvait vous envoyer en prison. C’est au moyen de banquets que les membres de divers courants progressistes pouvaient se réunir. Gaston Crémieux a publié des textes dans Le Peuple, journal édité par Gustave Naquet (qui était Radical) sous le titre Les Marseillaises : Némésis. Némésis était la déesse grecque de la justice vengeresse, soucieuse de redistribution, celle qui rend son dû à chacun ! L’aspiration à la démocratie, il l’exprime ainsi : « Peuple, bouc émissaire éternel de l’Histoire, chargeant ton cou des fers que l’on t’a fait briser, vainqueur, de ton triomphe on te vole la gloire, vaincu, dans ta défaite on te laisse écraser. Ils t’ont dit que la force était la loi suprême et que le plus grand nombre a le droit d’ordonner. Sur ton auguste front mets donc le diadème ; si le plus fort est roi, c’est à toi de régner. » Et il nous dit aussi : « Le droit de travailler pour soi, de vivre libre, égaux devant la loi, nous appartient à tous. » Rien d’étonnant à ce qu’il ait contribué à l’organisation de la classe ouvrière marseillaise en se mettant au service d’associations ouvrières, à ce qu’il ait plaidé pour les déshérités. Attaché à la révolution de 1789, il a donné comme prénom à l’un de ses enfants Maximilien, celui de Robespierre. Et dans la continuité de ses idées, alors que Marseille depuis le 1er novembre 1870 avait marqué une pause dans les mouvements qui l’avaient agitée, le 22 mars 1871, quand on apprend que Paris s’est soulevé, il prend la parole devant une foule rassemblée dans une salle de spectacles et appelle à se soulever aussi pour soutenir Paris. La bourgeoisie affolée a fait intervenir l’armée, commandée par un général qui a ordonné fusillades et canonnades. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec des évènements récents, où des forces de police utilisent la violence pour réprimer des Gilets jaunes, s’en prendre à des réfugiés sans toit, disperser des manifestations ouvrières. Gaston Crémieux a payé de sa vie son action. Il a été fusillé juste à côté, devant le mur de soutènement du terrain où il y a le bâtiment de l’INSERM consacré à la médecine tropicale. Il y avait là, en contrebas, un champ de tir de l’armée. Aujourd’hui, honorer la mémoire de Gaston Crémieux, au-delà des hommages, c’est poursuivre le combat, comme hier avec la magnifique manifestation de Marche des Libertés, comme nous le ferons demain pour préserver les acquis de la civilisation, bien menacés. |
Michel Kadouch