Discours prononcé par Roger Martelli, sur la place de la République, le 29 mai 2021, au nom de l’Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871.
Nous allons aujourd’hui accomplir un geste collectif qui n’a pas moins de 140 ans. Dès 1880, une fois acquise l’amnistie des communards condamnés, les survivants ont pris l’habitude de monter à ce Mur des Fédérés où, le 27 mai 1871, quelques dizaines de leurs camarades ont été fusillés par les soldats de Versailles et enterrés sommairement, dans une fosse commune.
En faisant cela, les anciens de la Commune saluaient les morts, mais pour dire que l’oeuvre qu’ils avaient entreprise était irrémédiablement vivante et que les fusils et les mitrailleuses de tous les versaillais de la Terre n’y pouvaient rien. Le mouvement ouvrier a trouvé, dans cette déambulation vers le Mur, l’occasion d’affirmer son existence et de redire, publiquement, son désir farouche de dignité pour l’immense cohorte de celles et ceux qui en étaient privés.
Nos prédécesseurs avaient raison de le faire, et nous avons raison de suivre leur trace. Contrairement à ce qui continue de se dire cent cinquante ans plus tard, la Commune ne fut pas une convulsion éphémère, le sursaut barbare d’une plèbe barbare et avide de sang. Elle fut une révolution, la troisième du XIXe siècle. Elle fut donc un de ces moments où des femmes et des hommes se dressent en masse, où les invisibles se manifestent pour dire qu’il n’y a pas de fatalité, ni aux inégalités, ni à l’oppression du plus grand nombre, ni au mépris des plus modestes.
La Commune fut un grand et beau mouvement populaire, qui déboucha sur ce qui ne s’était jamais vu auparavant et qui ne se verra plus avec la même force par la suite : elle mit en place une assemblée dans laquelle la population pouvait se reconnaître, parce qu’elle était enfin à son image, parce que les ouvriers y étaient enfin en nombre. Ajoutons qu’elle a mis en place des élus qui ne considéraient pas qu’ils étaient tout-puissants, mais qu’ils étaient mandatés par leurs électeurs et qu’ils devaient respecter leur mandat. Et, dans leur esprit, ce mandat était clair. La République, bien sûr, mais pas n’importe laquelle, la République démocratique, sociale et universelle.
En quelques courtes semaines, les hommes de la Commune cherchèrent à appliquer ce pour quoi ils avaient été élus. Ils durent pourtant faire face à la plus cruelle des guerres, une guerre civile, celle que leur ont imposée l’Assemblée des monarchistes de Versailles et leur gouvernement, dirigé par le sinistre Adolphe Thiers. Ils firent la guerre, donc, mais ils assurèrent aussi le ravitaillement de la capitale à nouveau assiégée, ils redémarrèrent les administrations délaissées. Ils le firent en s’appuyant sur le peuple lui-même, sur les commissions d’arrondissement, sur les clubs, sur l’Union des femmes pour la défense de Paris, sur les chambres syndicales, en bref sur cette société civile dont on nous dit tant, aujourd’hui, qu’il faut l’intégrer à tout prix dans les rouages de la démocratie.
Et malgré ces tâches écrasantes, ces gens ordinaires voulurent avancer, pas à pas, vers la République, vers la « Sociale » comme on disait autrefois, celle que le peuple attendait depuis la révolution de 1848. Ils s’attachèrent à remédier aux difficultés pressantes de la vie quotidienne, aux questions du logement des familles les plus modestes, au fardeau du crédit pour les classes populaires endettées. Ils voulurent faire du droit au travail une réalité et pas seulement un voeu pieux. Pour la première fois, ils se mirent du côté des ouvriers et pas des patrons, firent des chambres syndicales et des coopératives des moteurs des choix économiques et sociaux. Ils légiférèrent sur la durée du travail, ils soumirent les marchés publics à des normes sociales, ils confièrent aux travailleurs eux-mêmes la gestion des ateliers abandonnés par leurs propriétaires. Bien avant que la République officielle le fasse, ils séparèrent l’Église et l’État, décrétèrent l’école laïque et gratuite, ouvrirent l’enseignement professionnel revalorisé aux filles comme aux garçons. Ils admirent en leur sein des étrangers et ils voulurent que le « luxe communal » des arts et de la culture soit accessible à toutes et tous et pas à un petit nombre.
En conjuguant l’attention concrète au social et le désir d’une démocratie plus universelle et plus directe, ils ouvrirent à la République des portes dont nous souffrons encore qu’elles restent fermées. Quand la régression sociale nous mine, quand la démocratie doute d’elle-même, quand le ressentiment divise les catégories populaires et ouvre la porte aux aventures les plus funestes, l’esprit de la Commune de Paris est un formidable outil de rassemblement et d’émancipation, indissociablement collective et individuelle. Il ne nous dit pas comment faire dans le détail, il ne nous dispense pas d’inventer des réponses, mais il nous indique dans quelle direction il faut aller. Pour éviter le pire, bien sûr, mais surtout pour entretenir l’espoir dans cette société d’égalité, de citoyenneté et de solidarité dont rêvaient les communardes et communards de 1871 et dont nous devons et pouvons rêver encore aujourd’hui.
Pour la première fois depuis bien longtemps, nous allons marcher dans les rues de Paris, de la République qui en a bien besoin jusqu’au Mur des Fédérés, où le peuple a tant souffert. Nous qui nous réclamons de l’héritage de la Commune, nous allons marcher ensemble. On ne pouvait espérer un plus beau cadeau d’anniversaire, 150 ans après.
Ainsi, plus que jamais, toutes et tous nous pouvons joyeusement crier : Vive la Commune !
Combien sont-ils, les exilés de la Commune, à rejoindre clandestinement la France avant les lois d’amnistie de 1879 et 1880 ? Ils semblent avoir été peu...
Il contient les événements organisés par l'association et ceux que nous relayons. Pour consulter les rendez-vous d'un jour, il faut cliquer sur celui sélectionné.