Tenir l’idée debout
Ces lignes sont écrites alors que nous nous apprêtons à célébrer la Fête de la Commune. À n’en pas douter, cela sera encore un moment d’émotion pour notre association, pour toutes celles et ceux qui sont attachés au souvenir des communards. L’occasion de partager des instants, des chansons, des rires et des larmes. L’occasion de découvrir, faire découvrir et redécouvrir. L’occasion de faire vivre la Commune et son souffle le temps d’un après-midi.
Alors, nous évoquerons les noms, les visages et les fulgurances qui ont fait ces semaines. Nous dirons ces femmes et ces hommes qui sont morts pour avoir rêvé d’une existence moins terne. Pour avoir refusé la misère, l’injustice, la privation, l’exploitation et le mépris. Pour avoir décidé de se saisir de leur destin et de le lier à celui du grand nombre. Pour avoir eu l’audace d’être quelque chose. Pour avoir voulu que la vie, parfois, puisse être belle.
Nous parlerons de ces lois qui ont rendu tangible l’espoir d’une existence un peu moins âpre, un peu plus saillante. Une nouvelle fois, nous nous étonnerons de ces accomplissements si nombreux pour une république si jeune. Et nous nous étonnerons de nous en étonner encore.
Nous expliquerons que c’était là l’oeuvre de gens qui n’étaient pas destinés à la peindre. Que la Commune jamais ne compta d’homme providentiel ou qu’elle en comptait mille. Qu’elle était un fourmillement de volontés. Qu’elle était le peuple qui prend conscience de sa force et donc de son droit à accomplir le plus grand. Que cette histoire ne compte pas de Robespierre ou de Lénine, mais des Nathalie, Elisabeth, Eugène, Charles, Gustave, André-Léo ou Benoît. Qu’ils étaient ouvriers, teinturiers, tanneurs, orfèvres, maçons, journalistes, instituteurs. Des gens de peu, destinés à passer sur l’existence comme des ombres et terminer leur course dans la nuit de l’oubli. Et qui, en quelques semaines, ont bâti un monde.
Alors, le coeur lourd, nous évoquerons la terrible Semaine sanglante. Nous dessinerons du bout des mots, la trace indélébile du talon de fer écrasant l’espoir de lendemains meilleurs. Puis, le silence dira notre chagrin et nos regrets.
Ainsi, durant ces quelques heures, nous poursuivrons la lourde tâche que nous ont confiée les fondateurs de notre association : partager avec le plus grand nombre l’héritage tissé de souvenirs, d’anecdotes, de chansons, de textes, de dessins pour que rien n’ait été vain. Nous rendrons hommage à la ténacité avec laquelle ils ont su préserver cette mémoire de l’ardente entreprise d’oubli mise en oeuvre par les versaillais et leurs héritiers. Nous nous féliciterons de ne pas en être tout à fait indignes. Nous tiendrons l’idée debout.
JULIEN LANDUREAU
Cet édito est extrait de l’intervention de Julien Landureau lors de la fête de la Commune en septembre 2022.