Nous inaugurons une nouvelle rubrique sur la vie des commissions de l’association. Elles travaillent souvent dans l’ombre, et pourtant sont un élément essentiel de notre activité, dans la durée. Nous commençons cette revue par la commission Patrimoine.
LA COMMISSION PATRIMOINE
Le 7 octobre 2000, notre conseil d’administration décide la création de nouvelles commissions, dont « Connaissance et sauvegarde du patrimoine, à qui est confiée la charge de faire des recherches sur tout ce qui a trait à l’histoire de la Commune de Paris, ainsi que d’animer toute initiative pour la protection de ce patrimoine » (1).
Son premier travail d’ampleur va être la réalisation, sous l’égide de René Bidouze, du Guide des Sources, puis le classement des archives de l’association et le recensement des lieux de mémoire de la Commune.
Au décès de Pierre Biais, en 2009, de nouveaux membres de la commission reprennent les dossiers en cours, parmi lesquels un cas d’école qui illustre les péripéties auxquelles notre commission est confrontée. Ce dossier est celui des Fusillés du Fort de Vincennes, exécutés à la fin de la Commune.
LES FUSILLÉS DE VINCENNES
Différentes pistes nous étaient connues :
- des questions sur la chute du Fort de Vincennes à la fin de la Commune, des courriers ou des courriels adressés par nos adhérents, qui s’interrogeaient sur l’absence de mention des communards fusillés sur place en mai 1871 ;
- des articles sur la reddition des militaires occupant le Fort (2) ;
- la relation qu’en fait Prosper-Olivier Lissagaray dans son Histoire de la Commune de 1871 mentionnant les fédérés Merlet, Bayard, Delorme, Faltot.
- au Service historique de la Défense (SHD), sous les archives de la série Ly7, il est précisé que « La Commune envoya le 4 avril au Fort de Vincennes des troupes fédérées tirées du II e arrondissement ».
- le fort est resté, par sa situation, en dehors de l’action. Il fut un des derniers édifices à arborer le drapeau de la Commune. Le 29 mai 1871, le commandant du fort, Nicolas Faltot, et ses 344 hommes de la Garde nationale se rendent au général Vinoy. Tous sont faits prisonniers. Dans la nuit du 29 au 30 mai, un tribunal militaire désigne et condamne à mort 9 responsables.
- l’existence d’une plaque dans les fossés du fort de Vincennes qui ne mentionne que trois noms.
Débute alors un feuilleton qui va occuper plusieurs membres de la commission, avec pour objectif la recherche de l’identité de ces communards, aux fins d’apporter à nos requêtes un argumentaire historique irréfutable justifiant l’obtention d’une nouvelle plaque.
Au préalable, Vincent Pezon se charge de photographier la plaque située en contrebas des fossés du fort sud-ouest, côté esplanade du Fort de Vincennes (photo ci-dessus).
Mais cette plaque se révèle être fausse. En effet, le commandant Faltot a été jugé et déporté en Nouvelle-Calédonie ; le sergent Merlet s’est suicidé dans le donjon avant la reddition ; seul le colonel Delorme a été fusillé. Nous décidons finalement de ne pas nous occuper de l’ancienne plaque et de privilégier une nouvelle plaque qui portera les noms des 9 fusillés.
Fin 2011, heureuse coïncidence, M. Jollin, descendant du colonel Faltot, commandant le Fort de Vincennes, nous rencontre à sa demande, pour nous présenter — sans nous les confier — ses archives familiales. Nous sommes fascinés, le temps de l’entretien, par ses anecdotes et le récit des évènements. Il nous laisse une photo d’époque sur laquelle figure le commandant Faltot, ses fils avec d’autres officiers, ainsi qu’une liste de personnes de l’État-Major du fort.
Devant la richesse des documents proposés, nous provoquons un nouveau rendez-vous avec M. Jollin, en présence de Marc Forestier et d’Hubert de Leffe, pour évoquer plus en détail son aïeul et les circonstances de la reddition du fort de Vincennes. M. Jollin décline notre invitation, ne souhaitant pas nous permettre de consulter ses archives. Malheureusement, recontacté plus tard par courrier, il ne peut plus nous revoir du fait de son état de santé.
LES LIEUX
Le plan ci-dessus permet de saisir la position des différents lieux du château de Vincennes. Le château est situé sur la commune de Vincennes. Le cours des Maréchaux et l’Esplanade Saint-Louis appartiennent au XII e arrondissement de Paris, au même titre que le bois de Vincennes. Les condamnés descendirent par la Tour du Diable (entourée de bleu) et furent exécutés dans le fossé qui sépare le vieux fort du Fort-Neuf.
Fort des éléments connus, Marc Forestier et Laurence Bourgade vont s’investir dans des recherches, dignes d’un travail de détective. Auprès de la ville de Vincennes, ils tentent de s’informer sur la plaque actuelle, inaugurée en 1947 par les autorités de la ville, dans un contexte postérieur à la fin de la guerre, né de la volonté des municipalités d’honorer toutes les formes de résistances, puis se rendent auprès des archives municipales de la ville pour examiner les PV de réunions des conseils municipaux, dans l’espoir de retrouver les décisions à l’origine de la pose de cette plaque. En vain.
En mai 2014, nos enquêteurs rencontrent la conservatrice du cimetière de Vincennes pour trouver des traces d’inhumation dans le cimetière. Rien. Marc, lors d’un autre déplacement au château de Vincennes, obtient le concours du capitaine Caron qui nous propose son aide. La recherche s’effectue sur les noms ! En vain.
D’autres pistes vont être alors explorées : les Archives de Paris et celles du Service historique de la Défense, récemment rouvert. Ces pistes vont permettre d’identifier quatre des fusillés de Vincennes. En 2015, Sylvie Pépino et Marc Forestier consultent les archives de la Garde nationale aux Archives de Paris, dont celles concernant le bataillon commandé par Rossel. Toujours pas de résultats sur les cinq autres fusillés. Lors d’un déplacement au musée d’Histoire vivante de Montreuil, Marc découvre la liste manuscrite d’un auteur inconnu, donnant dix noms de personnes fusillées au château de Vincennes.
Cette liste s’avère différente de celle de la plaque existante, de celle établie par le SHD en 1970 et de celle de M. Jollin. Il faut préciser qu’au SHD ne sont conservés que les dossiers de jugement des Conseils de Guerre. Nos fusillés sont donc passés par un tribunal militaire.
En 2017, heureux rebondissement : Jean-Louis Robert découvre, par le plus pur des hasards, lors de recherches personnelles aux Archives de la Préfecture de Police, le procès-verbal de l’exécution des neuf fusillés du fort de Vincennes. Il en avise la coordination.
Marc se rend sur place et, à l’aide de la cote d’archives précisée par Jean-Louis, photographie les précieux documents. Ce procès-verbal nous livre la liste des fusillés :
OKOLOWICZ Charles,
DELORME Hippolyte, Louis, Vincent,
BAGRATION Alexandre, Constantin, Edouard,
VAYAN Alfred, VIELLET Jean, Claude,
REVOL Alexandre, Victor,
BOURDIEU Jean,
LEPECHEUX Charles, Eugène,
VANDERBUSSCHE François, Armand.
Le capitaine de gendarmerie, commandant l’arrondissement de Vincennes, signé Handebourg.
Le capitaine commandant la place de Vincennes, signé : Négrier.
Grâce à la gentillesse et l’efficacité de notre regretté ami Jef Baeck, nous avons l’acte de naissance en flamand, et sa traduction en français, de François Armand Vanderbussche.
Munis de ces nouveaux éléments, nous écrivons à la Mairie de Paris, aux ministères, aux édiles, aux administrations, tout en devant composer avec la neutralisation de la vie politique à l’approche d’élections. Les délais de réponse et les démarches sont très longs et systématiquement à réitérer en cas de changement d’interlocuteur, de maire, de député, de président, etc. Suite au courrier adressé au ministère de la Défense, pour solliciter la pose d’une plaque sur le fort de Vincennes ou à proximité, celui-ci nous invite à transmettre le dossier à la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives. Contactée à son tour, cette direction nous renvoie vers le secrétariat aux Anciens combattants et vers le ministère de la Culture. Nouvelle déconvenue, le ministère des Anciens combattants est supprimé. Il nous faut à présent écrire à Mme Darrieussecq, nouvelle secrétaire d’État auprès de la ministre de la Défense.
Aucune réponse…
Ne baissant pas les bras, nous tentons de contourner la difficulté. Jean-Pierre Dharne, membre de la commission, nous propose de rencontrer une élue de Vincennes, puis par son intermédiaire, le député de la circonscription, M. Gouffier-Cha et son attachée parlementaire, Mme Florence Gall. Le député travaillant en commission avec Mme Darrieussecq s’engage à lui en parler ! La magie opère et la secrétaire d’État nous répond en nous livrant une surprenante réponse : « son ministère ne traite que des conflits avec l’étranger ». La Commune relevant d’une guerre civile, elle nous demande de nous rapprocher dans ce cas du ministère de la Culture et du Patrimoine. Nous prenons acte de son conseil et lui demandons néanmoins par courrier d’accepter le principe, le moment venu, de la pose d’une plaque à Vincennes, sur un terrain militaire dépendant de sa juridiction. Aucune réponse…
Quant à la ville de Vincennes, en permettant la pose de cette plaque, elle pourrait lors de ses promenades mémorielles s’enrichir d’un épisode méconnu de son histoire. Bref, le feuilleton continue… Convaincus à ce jour de la légitimité de notre démarche, nous nous obstinons à voir notre requête aboutir.
SYLVIE PÉPINO ET CHARLES FERNANDEZ Commission Patrimoine
Notes
(1) Cf. Article de Pierre Biais dans La Commune n°34, deuxième semestre 2008, p. 17.
(2) Cf. Articles de John Sutton dans La Commune n°52, et une note manuscrite de Marcel Cerf à Pierre Biais en 2008, le renvoyant à son article d’octobre 2000 dans le bulletin n°10, mentionnant la reddition de la garnison du fort avec quelques noms de communards comme le commandant Faltot, vétéran des guerres de Pologne et d’Italie, compagnon de Garibaldi, le colonel Delorme, le prince de Bagration, aide de camp de Rossel et Charles Okolowicz de l’état major de Dombrowski.